J’ai fait mon coming out tardivement – pour découvrir que les lesbiennes avaient glissé à l’arrière de la file d’attente.

par Kathleen Stock, The Guardian, 12 mars 2023

La codirectrice du Lesbian Project, lancé la semaine dernière, explique pourquoi le « L » de LGBTQ+ ne doit pas disparaître dans la soupe arc-en-ciel.

L’activisme LGBTQ+ est omniprésent dans la Grande-Bretagne moderne. Aux côtés des lesbiennes, des gays et des bisexuel-les, de nouvelles orientations et identités viennent chaque année s’abriter sous le parapluie arc-en-ciel – des personnes trans et non binaires aux personnes intersexuées, asexuelles, polyamoureuses, queer et bien d’autres encore. À distance, tout cela semble admirablement progressiste. Mais si l’on y regarde de plus près, il apparaît que les lesbiennes – le « L » ostensiblement placé au premier plan du mouvement LGBTQ+ – manquent cruellement à l’appel. Dans l’élaboration des politiques, le secteur caritatif, la recherche universitaire, la collecte de données, la représentation dans les médias et l’attention politique – pour ne citer que quelques domaines – les lesbiennes ont bel et bien été reléguées à l’arrière de la file d’attente.

La fierté est l’émotion généralement associée à la coalition arc-en-ciel, et les militants LGBTQ+ peuvent certainement être fiers de nombreuses réalisations historiques. Cependant, on a peu distingué les intérêts des différents groupes membres de la coalition arc-en-ciel et leur niveau de priorité sous cette égide.  Le secteur LGBTQ+ reçoit beaucoup d’argent, de ressources et d’attention de la part du public, mais comment ce pactole est-il réparti ?

Au début de l’année 2022, mon amie Julie Bindel, la militante féministe et journaliste bien connue, m’a demandé de réfléchir à la création d’une nouvelle organisation avec elle, qui serait dédiée à la compréhension et à l’amélioration de la vie des lesbiennes au Royaume-Uni. J’ai sauté sur l’occasion. Je venais de quitter mon poste universitaire dans des circonstances difficiles. Quoi que je fasse, je savais que je voulais pouvoir continuer à m’exprimer sur ce qui comptait le plus pour moi. Et une chose qui comptait beaucoup, c’était d’être lesbienne.

J’avais fait mon coming out relativement tard, à la fin de la trentaine. Ce fut un moment crucial de ma vie, qui a tout changé pour le mieux et qui a saupoudré le monde qui m’entourait de magie en Technicolor. J’ai saisi le label « lesbienne » sans hésiter, considérant qu’il me reliait psychiquement à un monde d’aventurières et de guerrières passionnantes, audacieuses et courageuses qui m’avaient précédée et qui assumaient fièrement leur propre vie. Mais lorsque j’ai regardé autour de moi, j’ai été déconfite de constater que d’autres lesbiennes, et en particulier les plus jeunes, ne ressentaient pas la même émotion.

Je savais déjà, pour avoir vécu à Brighton, que la scène sociale lesbienne des années 80 et 90, autrefois très vivante, avait pratiquement disparu, et que les jeunes lesbiennes avaient peu d’occasions de se retrouver entre elles. Je savais aussi, par mon expérience du milieu scolaire, que le mot « lesbienne » était devenu stigmatisé par les jeunes. Certains m’avaient fait part de leur dégoût pour le « mot en L », qui leur semblait porteur d’un soupçon d’insensibilité et d’exclusion, ou qui les gênait en évoquant une recherche à thème pornographique. Pour la plupart des étudiantes que je considère toujours, à mon ancienne façon, comme des femmes attirées par les gens de leur sexe, le mot lesbienne avait été remplacé par des termes plus vagues et plus propices au défilement ; des mots qui peuvent être partagés avec les gens du sexe masculin, comme « queer » ou « bisexuel » ou « non-binaire » ou « trans ».

Pourtant, je n’étais pas préparée au portrait désolant qui a émergé du dossier que Julie m’a fait parvenir. Dans la recherche en sciences sociales, par exemple, les informations sur les lesbiennes sont rarement désagrégées d’ensembles plus vastes. En tant que sujets de recherche, les lesbiennes sont souvent regroupées avec les hommes gays, les femmes bisexuelles ou les transfemmes. Parfois, le sexe biologique n’est même pas désagrégé du tout dans les recherches, de sorte que l’on ne peut distinguer les répondantes des répondants. Dans d’autres cas, elles le sont, mais les lesbiennes et les femmes bisexuelles sont traitées comme une seule et même catégorie, y compris les femmes bisexuelles vivant en relations exclusives avec des hommes.

Toutes ces imprécisions signifient qu’il existe de grandes domaines sur la vie lesbienne contemporaine à propos desquelles nous ne savons pas grand-chose

Dans le domaine des sciences humaines, la situation est encore pire. On voit persister la notion postmoderne voulant que les catégories d’orientation sexuelle telles que celle de « lesbienne » sont entièrement créées par le langage, ce qui tend à renforcer les relations de pouvoir occultes qui maintiennent certaines personnes « à l’intérieur » et d’autres « à l’extérieur » d’un groupe. Au lieu de traiter le mot lesbienne comme une simple désignation d’un certain groupe de femmes, les universitaires ont tendance à considérer qu’il s’agit d’un phénomène culturel et historique relatif, que l’on devrait rendre plus inclusif au nom de la justice sociale. Et c’est ainsi qu’on en vient à parler de lesbiennes à biologie masculine.

Dans la pratique, tout ce flou sur les personnes dont on parle, concrètement, signifie qu’il y a de grandes questions sur la vie des lesbiennes contemporaines à propos desquelles nous ne savons pas grand-chose. Nos données sont tout simplement insuffisantes. Par exemple : Quelle place occupent les lesbiennes sur le marché du travail britannique ? Quelle est leur expérience des mariages et partenariats civils entre personnes du même sexe ? En quoi l’expérience lesbienne de la maternité diffère-t-elle de l’expérience hétérosexuelle correspondante ? Quels sont les besoins spécifiques des lesbiennes en matière de santé ? Ce ne sont là que quelques-unes des grandes questions à propos desquelles nous disposons de relativement peu d’informations fiables. Les informations disponibles sont souvent très marquées au plan idéologique et produites ou financées par des activistes visant certains objectifs stratégiques. Le monde universitaire LGBTQ+ manque cruellement d’enquêtes méthodologiques solides et aux coudées franches.

Et puis il y a le secteur caritatif LGBTQ+. Malgré la présence de quelques lesbiennes très en vue à la tête d’organisations traditionnelles au cours des dernières années, on constate que, dans la pratique, l’énergie de leurs campagnes a rarement été orientée vers les intérêts particuliers des lesbiennes. Les financements dédiés aux projets réservés aux lesbiennes sont aujourd’hui excessivement rares, ce qui a pour effet de réduire comme peau de chagrin l’information sur les besoins de ces femmes. On voit même le mot « lesbiennes » disparaître rapidement des rapports annuels des organisations caritatives LGBTQ+, tandis que d’autres termes identitaires ont le vent en poupe. Les organismes gouvernementaux chargés de l’égalité des chances ne font guère mieux. Les initiatives dédiées aux personnes LGBTQ+ n’ont pas tendance à enregistrer de données désagrégées selon le sexe, de sorte qu’une fois de plus, les lesbiennes disparaissent en tant que groupe ayant des intérêts propres.

Voilà donc le mandat de notre Lesbian Project : remettre en lumière les besoins et les intérêts propres aux lesbiennes, empêcher celles-ci de disparaître dans la soupe arc-en-ciel et leur conférer une voix politique non partisane. Les femmes attirées par le même sexe sont toujours là, mais la compréhension du public à leur égard est en train de disparaître et les jeunes lesbiennes en particulier en paient le prix – quelle que soit leur identité et quels que soient les noms qu’elles se donnent. Nous pensons que notre tâche est urgente. Et nous sommes impatientes de commencer.

Kathleen Stock est philosophe et écrivaine. Elle a récemment signé Material Girls : Why Reality Matters for Feminism, chez Little&Brown.

Traduction: TRADFEM

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