Par Suzanne Moore, sur son substack, il y a quelques heures
J’ai beaucoup de sympathie pour Sir Billy Bragg (un musicien engagé britannique). Il est là, jouant devant des auditoires enthousiastes en Australie, et pourtant il a beaucoup de choses en tête. Quelque part de l’autre côté de la planète, des pimbêches à l’esprit torve ont décidé de s’organiser sans son autorisation. Mais quelle mouche a pu les piquer ?
M. Bragg est profondément troublé par The Lesbian Project, une nouvelle organisation créée par les écrivaines Julie Bindel et Kathleen Stock, avec l’illustre Martina Navratilova comme marraine. Cette nouvelle organisation entend défendre les intérêts des lesbiennes au Royaume-Uni.
Peut-on imaginer rien de plus dégueu?
Je suis consternée qu’un tel groupe puisse exister. Et c’est bien pire pour moi que pour Sir William. Il n’a pas été consulté, mais moi non plus, alors que je connais personnellement ces dévoyées. Le fait que je ne sois pas lesbienne, à ce moment précis, n’a aucun rapport. Ma sexualité est aussi alphabeti-spaghetti que celle de n’importe qui, ou elle pourrait l’être. Comment ces femmes attirées par les personnes de leur sexe, qui ont subi des violences et des préjudices en raison de leurs choix, peuvent-elles décider de se rassembler ?
Comment osent-elles affirmer que leurs besoins en matière de santé, de divorce, de garde d’enfants, de contrainte au mariage ou, ces jours-ci, de contrainte à des relations sexuelles avec des hommes qui s’identifient maintenant comme « lesbiennes », pourraient être différents de ceux de leurs frères homosexuels ?
Pourquoi n’ai-je pas été placée en charge de cette organisation ? Me voila exclue pour la seule raison que je n’aime pas les chemises à carreaux. Mais pas autant exclue que Sir William, qui sait ce dont les vraies lesbiennes ont besoin. Les hommes semblent toujours savoir ce dont les vraies lesbiennes ont besoin et sont plus qu’heureux de le leur dire. D’après mon expérience, ils le font crûment et explicitement, en accompagnant leurs propos de menaces.
Mais Sir William n’est pas ce genre d’homme. Oh non, il est plus éclairé que cela et il se fait le champion des nouvelles meilleures lesbiennes, celles qui peuvent éventuellement avoir un pénis. Il considère la formation de ce nouveau groupe comme une menace pour les personnes transgenres. Lorsque Julie Bindel est venue sur la chaîne télé GB News pour parler du Lesbian Project avec Andrew Doyle, qui est gay, Sir William a vu quelque chose que les autres n’ont pas vu et a tweeté :
« Julie Bindel se présente à la chaîne télé de droite GB News pour dénigrer la communauté transgenre en utilisant le même cliché que celui utilisé contre les homosexuels dans les années 1980, à savoir que ce sont tous des pédophiles. A-t-elle oublié que cet argument a fait des gays la cible d’agressions physiques ? Se soucie-t-elle du fait que les personnes transgenres sont désormais elles aussi visées ? »
En fait, Mme Bindel n’a même pas mentionné les personnes transgenres lors de cette émission. Il est clair que leur nouveau groupe s’adresse aux femmes, qui ont une biologie féminine et qui aiment d’autres femmes ayant une biologie féminine. Je sais que cette réalité peut contrarier Sir William, mais ces personnes existent, croyez-moi, elles existent. Ces impudentes n’adhèrent pas à l’idéologie actuelle du genre et veulent conserver leurs propres espaces et fixer leurs propres limites. Elles regrettent la scène lesbienne florissante des décennies précédentes, qui a été englobée dans le carnaval gay et hautement commercialisé du queer.
Affirmer que leurs besoins ne sont pas les mêmes que ceux des hommes gays – ou des hommes hétérosexuels – est manifestement scandaleux pour euh… un homme hétérosexuel.
Mon Dieu, que les choses ont progressé.
En fait, pour citer Kathleen Stock, « laissons mille fleurs s’épanouir ». Tout groupe peut s’organiser, il ne prétend pas parler au nom de l’ensemble des lesbiennes mais, comme l’a écrit Stock, « je savais, par mon expérience du milieu scolaire, que le mot « lesbienne » était devenu stigmatisé par les jeunes. Certains m’avaient fait part de leur dégoût pour le « mot en L », qui leur semblait porteur d’un soupçon d’insensibilité et d’exclusion, ou qui les gênait en évoquant une recherche à thème pornographique. Pour la plupart des étudiantes que je considère toujours, à mon ancienne façon, comme des femmes attirées par les gens de leur sexe, le mot lesbienne avait été remplacé par des termes plus vagues et plus propices au défilement ; des mots qui pouvaient être partagés avec les gens du sexe masculin, comme « queer » ou « bisexuel » ou « non-binaire » ou « trans ».:
Il se trouve donc que ce groupe n’inclut ni moi, ni Sir William, ni même le gay en chef du journal The Guardian, Owen Jones, qui est également contrarié par son existence même.
Comme l’a écrit une horrible abonnée au réseau Mumsnet, « Owen Jones est terriblement contrarié par le Lesbian Project. Cela ne peut être qu’une bonne chose. »
Ce qui est, à tout prendre, un excellent critère dans la vie.
Ce qui me sidère, c’est que ces types pensent qu’ils peuvent, en public, dire aux femmes ce qu’elles doivent faire, qui elles peuvent rencontrer, et contrôler ce que Bragg appellerait leur SEXUALITÉÉÉÉ.
S’imaginent-ils que cela crée une impression favorable ?
Qu’est-ce qui les dérange tant chez ces lesbiennes ? Il est clair qu’il ne s’agit pas du bon type de lesbiennes. Elles sont intelligentes, elles ont passé des années sur les barricades, elles se sont battues pour les droits des homosexuels et contre l’article 28 (une initiative du gouvernement Thatcher pour interdire toute référence positive à l’homosexualité), elles ne comprennent que trop bien la violence masculine. Elles s’opposent simplement à leur inclusion forcée dans le monde hétérosexuel par le mariage, le viol ou par cette nouvelle idéologie qui décrit leur aversion pour les bites comme une sorte de « racisme ». C’est complètement fou alors que mon point de vue est plutôt romantique : les personnes devraient baiser avec qui elles veulent bien baiser.
Contrairement à Sir William, même si je suis contrariée de ne pas me retrouver en charge de ce projet, je n’ai vraiment pas le temps de contrôler les choix sexuels de ces gouines impertinentes. Et je trouve assez incroyable que Sir William l’ait.
Chaque fois que je pense que les enjeux du genre ne peuvent pas devenir plus délirants, on me prouve le contraire. Des femmes qui s’organisent, des femmes qui s’expriment, des femmes qui revendiquent un espace, des femmes qui disent « non » – tout cela est maintenant considéré comme une menace.
Quelle est la fragilité d’un système de croyances qui craint de s’effondrer si certaines personnes attirées par des gens du même sexe – pas toutes mais seulement certaines – insistent simplement sur le fait que leur identité tient à cela ? Des adultes qui décident avec qui elles couchent ? Jusqu’où ira-t-on? N’est-ce pas proprement stupéfiant? Si vous voulez une preuve de l’avertissement lancé par Bindel – « Que nous en soyons conscientes ou non, les lesbiennes constituent à la fois une menace et un défi direct à la domination des hommes sur les femmes » – Sir William est heureux de démontrer exactement à quel point cette menace est réelle.
J’ai de la peine pour lui, vraiment. Sir William connaît le bon type de lesbiennes alors que je ne connais que le mauvais type. Pour ce qui est de l’inévitable lancement de cette organisation, je suppose que je devrais aller manifester à leurs portes. Ou plutôt m’en tenir à la sagesse de ma mère sur ces questions : « Tout le monde est queer après quelques bières panachées ». L’important est de garder le cap. Et de rester fluide. (Just keeping it real. And fluid.)
Suzanne Moore sur son substack, où l’on s’abonne ici
Traduction: TRADFEM