LES ENFANTS DE PORNHUB

Serena K. Fleites, 19 ans, avait 14 ans lorsqu’un garçon dont elle était amoureuse lui a demandé de tourner une vidéo nue et de la lui envoyer. Elle l’a fait, et ces images ont abouti sur Pornhub.

Pourquoi le Canada permet-il à cette entreprise de tirer profit de vidéos d’exploitation et d’agression ?

Par Nicholas Kristof, chroniqueur d’opinion, The New York Times, le 4 décembre 2020

(Cet article contient des descriptions d’agressions sexuelles.)

Pornhub s’enorgueillit d’être le visage joyeux et rigolard du vice, le site web qui se paie un panneau d’affichage à Times Square et offre des chasse-neige pour dégager les rues de Boston. L’entreprise fait des dons à des organisations luttant pour l’égalité raciale et offre des contenus égrillards sans frais aux gens confinés chez eux par la Covid-19.

Ce Pornhub soi-disant « sain » attire 3,5 milliards de visites par mois, soit plus que Netflix, Yahoo ou Amazon. Pornhub rafle en revenus près de trois milliards d’impressions publicitaires par jour. Selon un classement, Pornhub est le 10e site web le plus visité au monde.

Mais il existe aussi une autre facette de cette entreprise : son site est infesté de vidéos de viols. Il monétise des viols d’enfants, de la pornographie de vengeance, des vidéos espionnant des femmes prenant une douche, des contenus racistes et misogynes, et des images de femmes que l’on asphyxie dans des sacs en plastique. Une recherche de l’expression « filles de moins de 18 ans » (sans espaces) ou même de « 14 ans » conduit dans chaque cas à plus de 100 000 vidéos en ligne. La plupart ne sont pas des images d’enfants agressés, mais un trop grand nombre le sont.

Après la disparition d’une jeune fille de 15 ans en Floride, sa mère l’a retrouvée sur Pornhub – dans 58 vidéos sexuelles. Des agressions sexuelles commises contre une Californienne de 14 ans ont été affichées sur Pornhub et ont été signalées aux autorités non pas par l’entreprise mais par un camarade de classe qui a vu ces vidéos. Dans chaque cas, les délinquants ont été arrêtés pour ces agressions, mais Pornhub a échappé à la responsabilité d’avoir partagé ces vidéos et d’en avoir tiré profit.

Pornhub ressemble à la chaîne Youtube en ce sens qu’il permet aux membres du public d’y télécharger leurs propres vidéos. Une grande majorité des 6,8 millions de nouvelles vidéos publiées sur le site chaque année impliquent probablement des adultes consentants, mais beaucoup dépeignent des agressions d’enfants et des violences non consenties. Comme il est impossible de savoir avec certitude si une jeune montrée dans une vidéo a 14 ou 18 ans, ni Pornhub ni personne d’autre n’a une idée précise de la quantité de contenu illégal exploité sur ce site.

Contrairement à Youtube, Pornhub permet de télécharger ces vidéos directement à partir de son site web. Ainsi, même si une vidéo de viol est retirée à la demande des autorités, il peut déjà être trop tard : La vidéo continue de vivre, car elle est partagée avec d’autres personnes ou téléchargée encore et encore.

La lettre d’information de Nicholas Kristof est en ligne au https://kristofimpact.org/ Découvrez les coulisses du journalisme courageux de Nick lors de ses voyages aux États-Unis et dans le monde.

« Pornhub est devenu mon trafiquant », m’a dit une femme nommée Cali. Elle raconte qu’elle a été adoptée aux États-Unis en provenance de Chine, puis qu’elle a été soumise à la traite sexuelle par sa famille adoptive et forcée de figurer dans des vidéos pornographiques à partir de l’âge de 9 ans. Certaines vidéos où elle est maltraitée ont fini sur Pornhub et y réapparaissent régulièrement, dit-elle.

« Je continue à être vendue quotidiennement, même si j’ai quitté cette vie depuis cinq ans », déclare-t-elle. Aujourd’hui âgée de 23 ans, elle étudie à l’université et espère devenir avocate – mais ces vieilles vidéos lui pèsent.

« Je ne pourrai peut-être jamais m’en sortir », dit-elle. « J’aurai peut-être 40 ans et huit enfants, et les gens se masturberont encore devant mes photos. »

« Si vous inscrivez les mots ‘Jeune asiatique’, vous me trouverez probablement », ajoute-t-elle.

En fait, peut-être pas,  car encore tout récemment, Pornhub proposait 26 000 vidéos en réponse à cette expression. Et cela ne tient pas compte des vidéos qui apparaissent dans les « recherches connexes » que Pornhub suggère, y compris « jeune petite adolescente », « extra petite adolescente », « petite asiatique » ou simplement « jeune fille ». Cela ne compte pas non plus nécessairement les vidéos d’un canal de Pornhub intitulé « exploited teen Asia » (adolescent-es exploité-es en Asie).

Le problème n’est pas la pornographie mais le viol. Convenons au moins que la promotion d’agressions sur des enfants ou sur toute personne sans son consentement est inadmissible. Le problème des affaires Bill Cosby ou Harvey Weinstein ou Jeffrey Epstein n’était pas le sexe mais l’absence de consentement – et il en est de même avec Pornhub.

Je suis tombé sur de nombreuses vidéos affichées sur Pornhub qui étaient des enregistrements d’agressions sur des femmes et des filles inconscientes. Les violeurs ouvraient les paupières des victimes et touchaient leurs globes oculaires pour bien montrer leur absence de réaction.

Pornhub a tiré profit cet automne d’une vidéo d’une femme nue torturée par un gang d’hommes en Chine. Il monétise des compilations vidéo portant des titres comme « Screaming Teen », « Degraded Teen » et « Extreme Choking ». Si vous visionnez une vidéo d’étouffement, on pourra vous suggérer d’autres titres comme « She Can’t Breathe ».

Il devrait être possible d’être positif à propos du sexe et négatif à propos de Pornhub.

Pornhub a refusé de laisser ses cadres répondre à des questions pour le présent dossier, mais elle a fourni une déclaration à l’effet que « Pornhub s’est engagé sans équivoque à lutter contre le matériel pédopornographique et a mis en place une politique de confiance et de sécurité complète et à la pointe de l’industrie pour identifier et éradiquer le matériel illégal de notre communauté ». Pornhub a ajouté que toute affirmation selon laquelle la société autorise des vidéos d’enfants sur son site « est irresponsable et manifestement fausse ».

II.

À 14 ans, Serena K. Fleites était une étudiante très douée à Bakersfield, en Californie, qui n’avait jamais embrassé un garçon. Mais en huitième année, elle a développé un béguin pour un garçon d’un an son aîné, et il lui a demandé de prendre une vidéo d’elle nue. Elle la lui a envoyée, et cela a changé sa vie.

Il en a demandé une autre, puis une autre ; elle était nerveuse mais flattée. « C’est à ce moment-là que j’ai commencé à subir des regards étranges à l’école », se souvient-elle. Il avait partagé ces vidéos avec d’autres garçons, et quelqu’un les avait mises en ligne sur Pornhub.

Le monde de Fleites a alors implosé. C’est déjà assez difficile d’avoir 14 ans sans que ses camarades de classe s’amusent en la regardant nue, puis se moquent d’elle en la traitant de salope. « Les gens m’envoyaient des SMS en me disant que si je ne leur envoyais pas de vidéo, ils allaient envoyer mes images à ma mère », dit-elle.

Serena Fleites, qui vit maintenant dans sa voiture avec trois chiens, dit : « Une vie entière peut être changée à cause d’une petite erreur ».

L’étudiant a été suspendu, mais la jeune Fleites a commencé à sécher les cours parce qu’elle ne pouvait pas supporter la honte. Sa mère a finalement persuadé Pornhub de retirer ces vidéos, et Serena a changé d’école. Mais des rumeurs sont parvenues à la nouvelle école, et bientôt les vidéos ont été téléchargées à nouveau sur Pornhub et sur d’autres sites web.

L’adolescente s’est disputée avec sa mère et a commencé à s’automutiler. Un jour, elle a ouvert l’armoire aux médicaments et a pris toutes les pilules antidépressives qu’elle a pu trouver.

Trois jours plus tard, elle s’est réveillée à l’hôpital, frustrée d’être encore en vie. Ensuite, elle s’est pendue dans la salle de bain ; sa petite sœur l’a trouvée et les médecins l’ont ranimée.

Alors que la situation des Fleites se détériorait, un ami a fait découvrir à Serena les méthamphétamines et les opioïdes, et elle est devenue dépendante de ces deux drogues. Elle a abandonné l’école et est devenue sans-abri.

À 16 ans, elle a fait de la publicité sur Craigslist et a commencé à vendre des photos et des vidéos d’elle nue. C’était un moyen de gagner un peu d’argent, et peut-être aussi une façon de se punir. Elle s’est dit : « Je ne vaux plus rien parce que tout le monde a déjà vu mon corps », m’a-t-elle dit.

Ces vidéos ont également abouti sur Pornhub. Les Fleites demandaient qu’elles soient retirées. Elles l’étaient généralement, dit-elle, mais elles étaient ensuite téléchargées à nouveau. Une vidéo d’elle nue à 14 ans a été visionnée 400 000 fois, dit-elle, ce qui lui a fait craindre de postuler pour des emplois dans la restauration rapide de peur que quelqu’un ne la reconnaisse.

Aujourd’hui, Fleites, 19 ans, qui ne se drogue plus depuis un an mais est au chômage et polytraumatisée, vit dans sa voiture à Bakersfield, avec trois chiens qui se sont révélés plus loyaux et plus affectueux que l’espèce humaine. Elle rêve de devenir technicienne vétérinaire, mais ne sait pas comment y parvenir. « C’est un peu difficile d’aller à l’école quand on vit dans une voiture avec des chiens », dit-elle.

« J’ai été stupide », a-t-elle reconnu, notant qu’elle n’avait jamais imaginé que ces vidéos pouvaient être partagées en ligne. « C’est une petite chose que fait une adolescente, et c’est fou comme cela se transforme en quelque chose de beaucoup plus grand ».

« Une vie entière peut être changée à cause d’une petite erreur. »

Le problème va bien au-delà d’une seule entreprise. En effet, un rival de Pornhub, XVideos, qui a sans doute encore moins de scrupules, pourrait attirer plus de visiteurs. Des images d’agressions sur enfants apparaissent également sur des sites grand public comme Twitter, Reddit et Facebook. Et Google soutient les modèles économiques d’entreprises qui prospèrent grâce à la maltraitance d’enfants.

Google renvoie 920 millions de vidéos sur une recherche des mots « young porn ». Parmi les résultats les plus populaires figurent une vidéo d’une « très jeune adolescente » nue se livrant à des actes sexuels sur XVideo, ainsi qu’une vidéo sur Pornhub dont le titre est trop obscène pour être reproduit ici.

J’ai demandé au National Center for Missing and Exploited Children de compiler le nombre d’images, de vidéos et d’autres contenus liés à l’exploitation sexuelle d’enfants qui lui sont signalés chaque année. En 2015, cet organisme a reçu des signalements sur 6,5 millions de vidéos ou autres fichiers ; en 2017, 20,6 millions ; et en 2019, 69,2 millions.

Cette année, Facebook a retiré en trois mois de son site 12,4 millions d’images liées à l’exploitation d’enfants. En comparaison, le réseau Twitter a fermé en six mois 264 000 comptes l’année dernière pour exploitation sexuelle d’enfants. La direction de Pornhub répond à cela que l’Internet Watch Foundation, une organisation à but non lucratif basée en Angleterre qui lutte contre les images d’agressions sexuelles d’enfants, n’a signalé que 118 cas d’images d’agressions sexuelles sur Pornhub en près de trois ans, un chiffre apparemment négligeable. « L’élimination des contenus illégaux est une bataille permanente pour toutes les plateformes de contenu modernes, et nous sommes déterminés à rester en première ligne de cette lutte », a affirmé Pornhub dans sa déclaration.

L’Internet Watch Fondation Internet n’a pas pu expliquer pourquoi son chiffre pour Pornhub était si bas. C’est peut-être parce que les utilisateurs de Pornhub sont habitués à ces contenus et peu susceptibles de s’en plaindre. Mais si vous savez quoi chercher, il est possible de trouver en 30 minutes des centaines de vidéos d’agressions sexuelles d’enfants sur Pornhub. L’entreprise a même récemment proposé des playlists comprenant des titres comme « moins de 18 ans », « la meilleure collection de jeunes garçons » et « under-age » (mineurs). Le Congrès et les présidents successifs n’ont pratiquement rien fait à mesure que le problème s’aggravait. Le monde de la technologie, qui a rendu possible cette dérive, est resté essentiellement passif, dans une posture d’accroupissement défensif. Mais des reportages novateurs de mes collègues du Times en 2019 ont poussé le Congrès à commencer à débattre de stratégies concurrentes pour stopper l’exploitation des enfants.

Les inquiétudes concernant Pornhub se multiplient. Une pétition visant à fermer le site a reçu 2,1 millions de signatures. Le sénateur Ben Sasse, un Républicain du Nebraska, a réclamé du ministère de la Justice qu’il fasse enquête sur Pornhub. PayPal a maintenant interrompu ses services à l’entreprise, et les sociétés de crédit ont été priées de faire de même. Une organisation appelée Traffickinghub, dirigée par la militante Laila Mickelwait, documente les violations et réclame la fermeture du site. Vingt député-es canadiens ont demandé à leur gouvernement de sévir contre Pornhub, qui est basée à Montréal.

« Ils ont accumulé de l’argent grâce à ma douleur et ma souffrance », m’a dit une jeune femme de 18 ans, Taylor. Un petit ami avait secrètement fait une vidéo d’elle en train d’accomplir un acte sexuel quand elle avait 14 ans, et cela a fini sur Pornhub, a confirmé la police. « Je suis allée à l’école le lendemain et tout le monde regardait son téléphone et moi quand j’ai traversé le couloir », a-t-elle ajouté en pleurant. « Ils riaient. »

Taylor dit que l’humiliation et le traumatisme résultants l’ont amenée à deux tentatives de suicide. Comme d’autres personnes citées ici, elle a accepté de raconter son histoire et d’aider à la documenter parce qu’elle pensait que cela pourrait aider d’autres filles à éviter de souffrir comme elle l’a fait.

IV.

Pornhub est la propriété de la société Mindgeek, un conglomérat privé de pornocrates qui compte plus de 100 sites web, sociétés de production et marques de commerce. Ses sites comprennent Redtube, Youporn, XTube, SpankWire, ExtremeTube, Men.com, My Dirty Hobby, Thumbzilla, PornMD, Brazzers et GayTube. Il existe d’autres acteurs majeurs du porno en dehors du parapluie Mindgeek, notamment XHamster et XVideos, mais Mindgeek est un titan de cette industrie. S’il opérait dans une autre industrie, le ministère de la Justice pourrait envisager un recours antitrust contre lui.

Pornhub et Mindgeek se distinguent également par leur influence. Une étude réalisée cette année par une société de marketing numérique a conclu que Pornhub était la société technologique ayant le troisième plus grand impact sur la société au XXIe siècle, après Facebook et Google mais devant Microsoft, Apple et Amazon.

Basée au Luxembourg pour des raisons fiscales, Mindgeek est une société privée dirigée depuis Montréal. Elle ne révèle pas qui en est propriétaire, mais elle est dirigée par Feras Antoon et David Tassillo, tous deux Canadiens, qui ont refusé d’être interviewés.

Le Premier ministre canadien Justin Trudeau se dit féministe et est fier des efforts de son gouvernement pour contribuer aux droits des femmes dans le monde. Une question se pose donc pour Trudeau et l’ensemble des Canadien-nes : pourquoi le Canada accueille-t-il une société qui inflige au monde entier des vidéos de viols ?

Les modérateurs de Mindgeek sont chargés de filtrer les vidéos d’enfants, mais le modèle commercial de l’entreprise tire profit des vidéos sexuelles mettant en scène des jeunes.

« L’objectif d’un modérateur de contenu est de laisser passer le plus de contenu possible », m’a expliqué un ancien employé de Mindgeek. Il m’a dit croire que les cadres supérieurs n’étaient pas pervers mais qu’ils étaient avant tout concentrés sur une maximisation de leurs revenus.

Bien que Pornhub ne veuille pas me dire combien de modérateurs elle emploie, j’en ai interrogé un qui m’a dit qu’environ 80 personnes travaillaient dans le monde sur les sites de Mindgeek.  (En comparaison, Facebook m’a dit employer 15 000 modérateurs de contenus). Avec 1,36 million de nouvelles heures de vidéo téléchargées par an sur Pornhub, cela signifie que chaque modérateur doit autoriser plusieurs centaines d’heures de contenu par semaine.

Les modérateurs visionnent les vidéos en « Fast Forward », et il est souvent difficile d’évaluer si une personne a 14 ou 18 ans, ou si la torture qu’on lui inflige est réelle ou factice. La plupart des contenus qui mettent en scène des mineur-es concernent des adolescent-es, a déclaré le modérateur avec qui j’ai parlé, mais certains proviennent de caméras d’espionnage placées dans des toilettes ou des vestiaires et ne montrent que des jeunes de 8 à 12 ans.

« Ce travail est en soi destructeur d’âme », a déclaré ce modérateur.

Pornhub semble s’alarmer de plus en plus de sa responsabilité civile ou pénale. De plus en plus avocats s’activent dans le dossier et neuf femmes ont poursuivi l’entreprise devant un tribunal fédéral après que des vidéos de caméras d’espionnage aient fait surface sur Pornhub. Ces vidéos ont été tournées dans un vestiaire du Limestone College en Caroline du Sud et montraient des femmes se douchant et se changeant.

Les dirigeants de Pornhub semblent avoir pris pour acquis par le passé qu’ils bénéficiaient de l’immunité en vertu de l’article 230 du Communications Decency Act (Loi étasunienne sur la décence dans les communications), qui protège les plateformes Internet sur lesquelles des membres du public affichent des contenus. Mais en 2018, le Congrès a limité la portée de cet article de sorte qu’il pourrait ne pas suffire à protéger l’entreprise, ce qui a conduit Mindgeek à surveiller ses arrières.

Le nombre de modérateurs a doublé ces deux dernières années, m’a dit mon interlocuteur, et cette année, Pornhub a commencé à signaler volontairement le matériel illégal au National Center for Missing and Exploited Children (Centre national pour les enfants disparus et exploités). Après s’être jusque là traîné les pieds pour retirer les vidéos d’enfants et les contenus non consensuels, Pornhub réagit maintenant plus rapidement.

Il a également établi une liste de contenus interdits. J’ai obtenu une copie de cette liste, qui vise à interdire les vidéos comportant des termes ou des thèmes tels que « viol », « préadolescent », « pédophilie » et « bestialité » (elle précise utilement que cela « inclut les anguilles, les poissons, les pieuvres et les insectes »). Les images de couches sont OK « si on n’y voit pas de scatophilie ». La mutilation dépend du contexte mais « ne peut pas représenter l’amputation de parties du corps ».

De plus, certaines vidéos semblent contredire la liste des contenus interdits. Une des vidéos affichées sur Pornhub a pour titre « Runaway Girl Gets Ultimatum, Anal or the Streets » (Une fugueuse reçoit un ultimatum: du sexe anal ou la rue). Un autre utilisateur met en ligne des vidéos documentant des rapports sexuels avec des adolescentes alors qu’elles pleurent, protestent et crient de douleur.

Si Pornhub se montre de plus en plus prudent avec les vidéos d’Étasuniennes susceptibles de le poursuivre en justice, l’entreprise demeure cavalière en ce qui concerne les victimes filmées à l’étranger. Une vidéo indonésienne est intitulée « Junior High School Girl After Class » et montre ce qui semble être une très jeune adolescente ayant des relations sexuelles. Une vidéo chinoise de sexe, qui vient d’être retirée, était étiquetée : « Une belle lycéenne est piégée par ses camarades de classe et emmenée en haut d’un immeuble où elle est insultée et violée. »

« Ils se font de l’argent à même le pire moment de ma vie, à même mon corps », m’a dit une adolescente colombienne qui a demandé à être appelée Xela, un pseudonyme. Deux Étasuniens l’ont payée à 16 ans pour une relation sexuelle qu’ils ont filmée puis affichée sur Pornhub. Elle est l’une des nombreuses survivantes de Pornhub qui m’ont dit avoir pensé au suicide ou en avoir fait des tentatives.

Ces derniers jours, alors que je terminais cet article, Pornhub a publié deux nouvelles vidéos de filles pré pubères agressées, ainsi qu’une vidéo sexuelle d’une jeune fille de 15 ans qui s’est suicidée après sa mise en ligne. Je ne vois pas comment des modérateurs de bonne foi pourraient approuver l’une ou l’autre de ces vidéos.

V.

« Ce sera toujours en ligne », m’a dit Nicole, une Britannique qui a vu publiées des vidéos d’elle nue sur Pornhub. « C’est ma grande peur d’avoir des enfants, qu’ils en viennent à voir cela un jour. »

C’est un thème récurrent chez les survivantes : Une agression finit par se terminer, mais Pornhub rend la souffrance interminable.

Des vidéos de Nicole nue à 15 ans ont été postées sur Pornhub. Maintenant âgée de 19 ans, elle essaie depuis deux ans de les faire retirer.

« Pourquoi des vidéos de moi filmées quand j’avais 15 ans et soumise à du chantage, c’est-à-dire de la pornographie enfantine, sont-elles continuellement remises en ligne ? » Nicole a protesté plaintivement auprès de Pornhub l’année dernière, en leur écrivant. « Vous avez vraiment besoin d’un meilleur système. … J’ai essayé de me suicider à plusieurs reprises après m’être retrouvée téléchargée à nouveau sur votre site. »

L’avocat de Nicole, Dani Pinter, dit qu’il y a encore au moins trois vidéos de Nicole nue à 15 ou 16 ans sur Pornhub, qu’ils essaient de faire retirer.

« Ça ne finira jamais », a déclaré Nicole. « Ils tirent tellement d’argent de notre traumatisme. »

Pornhub a introduit un logiciel qui est censé pouvoir « prendre les empreintes digitales » des vidéos de viol et empêcher qu’elles soient à nouveau téléchargées. Mais le magazine Vice a démontré à quel point il est facile de contourner ce dispositif sur Pornhub.

Un des scandales qui ont discrédité Pornhub concernait la société de production Girls Do Porn, qui recrutait des jeunes femmes pour des contrats de mannequinat habillé et les poussait ensuite à se produire dans des vidéos sexuelles, en prétendant que les vidéos ne seraient vendues que sous forme de DVD dans d’autres pays et ne seraient jamais mises en ligne. Rassurées que personne ne le saurait jamais, certaines des femmes ont accepté – et ont ensuite été brisées lorsque leurs images ont été agressivement commercialisées sur Pornhub.

L’entreprise Girls Do Porn a été poursuivie pour trafic sexuel et fermée. Mais ces vidéos continuent de faire régulièrement surface sur Pornhub ; la dernière fois que j’ai vérifié, les vidéos de six victimes de Girls Do Porn étaient toujours affichées sur Pornhub, qui continue d’en tirer profit.

VI.

Alors, quelle est la solution ?

Je m’attendais à ce que les survivantes veuillent faire fermer Pornhub et envoyer ses cadres en prison. Certaines le souhaitaient; d’autres étaient plus nuancées. Lydia, aujourd’hui âgée de 20 ans, a été victime de la traite à des fins sexuelles dans son enfance et a fait l’objet de nombreuses vidéos de viol affichées sur le site. « J’ai constamment mal au ventre à cause de la tension nerveuse », m’a-t-elle dit, mais elle ne veut pas paraître hostile au porno lui-même.

Je ne veux pas que les gens entendent le message « Non au porno ! ». dit Lydia. « C’est plutôt : ‘Arrêtez de faire du mal aux enfants’. »

Susan Padron m’a dit qu’elle avait supposé que la pornographie était consensuelle, jusqu’à ce qu’un copain la filme  à 15 ans au cours d’un acte sexuel et affiche cette vidéo sur Pornhub. Elle en a beaucoup souffert depuis et pense que seules les personnes ayant confirmé leur identité devraient être autorisées à mettre en ligne des vidéos.

Jessica Shumway, qui a elle aussi été victime de la traite et dont un client a affiché une vidéo sexuelle sur Pornhub, est d’accord : « Ils doivent déterminer qui est mineur dans les vidéos et qu’il y a consentement de toutes les personnes qui y figurent. »

J’ai demandé à Leo, 18 ans, qui avait mis en ligne sur Pornhub des vidéos de lui à 14 ans, ce qu’il suggérait.

« C’est difficile », a-t-il répondu. « Ma solution serait de laisser le porno aux sociétés de production professionnelles, car elles exigent une preuve d’âge et de consentement. »

Pour l’instant, ces sociétés ne peuvent pas concurrencer des sites pour la plupart gratuits comme Pornhub et XVideos.

« Pornhub a déjà détruit le modèle économique des sites payants », a déclaré Stoya, actrice et scénariste de films pour adultes. Elle pense elle aussi que toutes les plateformes – de Youtube à Pornhub – devraient exiger une preuve de consentement pour télécharger des vidéos de particuliers.

Les chroniqueurs sont censés apporter des réponses, mais je me m’interroge sur d’éventuelles solutions. Si Pornhub faisait preuve de plus de rigueur dans la sélection des vidéos, le matériel le plus offensant pourrait simplement migrer vers le « Dark Web » ou sur des sites web de pays moins exigeants. Mais au moins, elles ne seraient pas normalisées sur un site grand public.

Plus de pression et moins d’impunité aideraient. Nous constatons déjà que la limitation de l’immunité en vertu de l’article 230 conduit à une meilleure autosurveillance.

Et traitez-moi de prude si vous le voulez, mais je ne vois pas pourquoi les moteurs de recherche, les banques ou les sociétés de cartes de crédit devraient soutenir une société qui monétise des agressions sexuelles sur des enfants ou des femmes inconscientes. Si PayPal peut suspendre sa coopération avec Pornhub, American Express, Mastercard et Visa le peuvent aussi.

Je ne vois pas de solution évidente. Mais outre la limitation de l’immunité pour inciter les entreprises à mieux se comporter, voici trois mesures qui seraient utiles : 1) N’autoriser que les utilisateurs vérifiés à afficher des vidéos. 2) Interdire les téléchargements. 3) Améliorer la modération.

Ces mesures ne tueraient pas le porno et ne dérangeraient pas beaucoup ses consommateurs ; la chaîne Youtube prospère sans téléchargements. Siri Dahl, une éminente star du porno qui fait affaire avec Pornhub, m’a dit que mes trois propositions sont « incroyablement raisonnables ».

Le monde a souvent fermé les yeux sur les agressions sexuelles infligées aux enfants, de l’Église catholique aux Scouts. Nous avons intenté des poursuites – mais trop tard – à des individus comme Jeffrey Epstein ou le rappeur R. Kelly. Mais nous devons aussi tenir tête aux grandes entreprises qui exploitent systématiquement des jeunes. Pornhub, c’est Jeffrey Epstein multiplié par 1 000.

Nicholas Kristof

Columnist au NYT et détenteur de deux Prix Pulitzer pour meilleur commentaire politique (2006) et meilleur reportage international (1990)

Si vous éprouvez des pensées suicidaires en raison de votre vécu d’exploitation sexuelle, appelez la National Suicide Prevention Lifeline (USA) au 1-800-273-8255 (TALK) ou contactez le site https://SpeakingOfSuicide.com/resources ou une ressource semblable dans votre pays.

Version originale : https://www.nytimes.com/2020/12/04/opinion/sunday/pornhub-rape-trafficking.html

Traduction : TRADFEM

“Pornhub profits off of the rape and torture of women and children. Take a stand against these monsters at MindGeek…Shut it DOWN.”

Jenna Jameson Jenna Jameson, ex-actrice du porno

DERNIÈRE HEURE
8 décembre 19h00: Ébranlée par ce reportage et par les 2,1 millions de signatures sur une pétition de TraffickingHub réclamant sa fermeture, la direction de Pornhub dit faire amende honorable et promet de réformer son modèle d’affaires.

Voici la réponse de TraffickingHub:

  1. Pornhub vient de céder à la pression, a admis sa culpabilité et dit apporter des changements d’envergure à son mode de fonctionnement. C’est une grande victoire pour le mouvement ! Cependant, nous avons besoin d’une mise en œuvre fiable, d’excuses aux victimes, d’une compensation pour celles-ci et plus encore.
  2. Pornhub a démontré qu’on ne peut pas lui faire confiance pour s’auto-policer. Elle a passé des années à faire sciemment des centaines de millions de dollars sur les corps ensanglantés, meurtris, maltraités, violés et victimes de traite des personnes les plus vulnérables de la société.
  3. Pornhub doit d’abord supprimer du site toutes les vidéos amateurs générées par ses utilisateurs ; trop d’entre elles sont manifestement illégales. La proposition de Pornhub de ne vérifier que les téléchargements est insuffisante, car il suffit d’une photo et d’un nom d’utilisateur pour être « vérifié » sur Pornub.
  4. Actuellement, aucune pièce d’identité délivrée par le gouvernement ou consentement réel n’est nécessaire pour la « vérification » de Pornhub. Ceci est inacceptable. La vérification doit signifier plus que cela. Ils doivent immédiatement mettre en place une vérification fiable de l’âge et du consentement des personnes par une tierce partie en utilisant une pièce d’identité délivrée par le gouvernement.
  5. Pornhub doit présenter des excuses et offrir un dédommagement à toutes les victimes dont la vie a été détruite par leur négligence criminelle et leur insouciance intentionnelle pour la sécurité des enfants et des adultes.
  6. Pornhub doit encore faire l’objet d’une enquête des ministères américain et canadien de la Justice pour violation flagrante et délibérée du code pénal. Pourquoi ?
  7. Parce que nous ne permettons pas aux prédateurs sexuels et aux trafiquants sexuels de s’en tirer avec une tape sur la main et la promesse d’un meilleur comportement. Pour les victimes, la justice signifie des poursuites pénales et des dédommagements, rien de moins. @JustinTrudeau, @TheJusticeDept, c’est vous qui êtes responsable. Agissez maintenant.
  8. Enfin, ces changements doivent s’appliquer à TOUS les sites de vidéos en ligne appartenant à MindGeek. MindGeek détient actuellement un monopole sur la pornographie Internet générée par les utilisateurs du monde entier et ces changements et exigences doivent s’appliquer à tous leurs sites.

Laila Micklewait, Traffickinginghub, sur Twitter (@TraffickingHub)

DERNIÈRE HEURE: NICHOLAS KRISTOF A PUBLIÉ LE 16 AVRIL UN ARTICLE DE SUIVI AU REPORTAGE CI-DESSUS: « Why Do We Let Corporations Profit From Rape Videos? »

6 réflexions sur “LES ENFANTS DE PORNHUB

  1. Savez-vous que votre compagnie de carte de crédit est complice de l’industrie de l’exploitation sexuelle? Suite à ce reportage-choc d’un journaliste primé du New York Times, ces entreprises remettent actuellement en question leur collaboration avec les entremetteurs du site montréalais Pornhub.
    Pesez dans la balance SVP en leur écrivant votre opinion!
    Besoin d’arguments? On trouve une lettre-type adressée à 28 entreprises sur le site du National Center on Sexual Exploitation au https://ncose.salsalabs.org/12-09-2020_actionalert_shutitdown_2?wvpId=102b6825-c0eb-4277-ad5f-6c76c1aa5d20https://ncose.salsalabs.org/12-09-2020_actionalert_shutitdown_2?wvpId=102b6825-c0eb-4277-ad5f-6c76c1aa5d20
    À la question « Zip Code? » du formulaire, écrire 90218.

    J’aime

  2. Est-ce que ce genre d’agissements sera un jour considéré comme il devrait l’être : un crime contre l’humanité d’un genre nouveau ?
    Comment considérer autrement cette violence : faire de l’argent sur le traumatisme de femmes, en ajoutant à une agression la publicité de celle-ci, et en mettant en place les conditions pour que cette agression soit répétée ad vidam aeternam ?
    Car cette violence dure toute la vie, influe sur la totalité de la vie de la victime (la peur d’avoir des enfants, le suicide dans le pire des cas), la stabilité de sa vie familiale, et pourra même influer sur la vie de ses enfants.
    Elle influe aussi sur toutes les femmes, en renforçant le contrôle social qui pèse sur elles.
    Je pense qu’il faudrait en parler à nos députés, si l’occasion s’y prête.

    J’aime

    • Je suis d’accord avec vous.
      Comme le démontre cet article, c’est surtout l’exposé qu’a fait Nicholas Kristof – un journaliste détenteur d’un Prix Pulitzer – et la réputation du New York Times qui ont fait plier Pornhub.
      Cela suggère l’utilité d’un texte aussi ferme rédigé par un ou une journaliste de premier plan en France, capable de faire le lien avec les violences sexuelles infligées aux jeunes.
      À qui enverriez-vous ce texte pour la ou le convaincre d’accrocher le grelot?

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      • Réponse difficile, surtout avec une telle assemblée.

        Je propose plusieurs pistes de réponses, sans pouvoir répondre exactement à votre question (je ne connais pas de nom précis d’une députée ou d’un député qui serait susceptible de porter la question, pour le dire autrement, et je ne connais pas de député personnellement)
        :
        – solution individuelle, peu efficace à mon avis, mais c’est une possibilité : chacune et chacun (dans la mesure de leur possibilité) s’adresse des députés pour sa circonscription sur le sujet.

        – solution plutôt collective : trouver les coordonnées des députés et députées, les démarcher pour savoir comment ils et elles voient la question, et pousser celles et ceux qui sont favorables aux droits des femmes en leur préparant un texte « clef-en-main ».
        Cela demande un travail de type « démarchage » assez long, et dans l’idéal il faudrait que cela soit fait par un collectif, plutôt que par une personne seule. Parce que c’est long et pour être plus crédible. Mais la solution est sûrement meilleure que la première.

        Exemple avec un autre collectif (la Quadrature du net), collectif de défense des droits des utilisateurs d’internet : ça donne quelques pistes, et ils ont l’air d’obtenir quelques résultats, au moins médiatiques (Le Monde a fait un article sur ce collectif, et donc à rendu publiques leurs idées).
        Par exemple sur la loi sécurité globale, le collectif Quadrature du net propose  » d’appeler les personnes censées nous représenter. » (1er solution)
        https://www.laquadrature.net/securiteglobale/

        L’article est intéressant, surtout parce qu’il donne les coordonnées des députés qui nous représentent (ça facilitera l’étape du démarchage), par groupe politique et par région.

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  3. Par ailleurs, je viens de me rendre compte que vous avez le même nom que le traduction de Dworkin.
    Si par hasard vous êtes le même Martin Dufresne que celui qui a traduit Les Femmes de droite : merci pour cette traduction, je l’offre et j’en fais la publicité dès que l’occasion s’y prête, c’est devenu mon livre de référence pour faire comprendre le féminisme à celles et ceux qui s’y intéressent.

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    • Merci beaucoup pour votre travail de diffusion d’une oeuvre effectivement fondatrice de Dworkin.
      Depuis, nous avons traduit d’autres ouvrages de cette autrice, dont « COÏTS », « Souvenez-vous, Résistez, Ne cédez pas », et « Notre sang » (à paraître en avril).

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