On nous ressort le cliché d’une « crise de la masculinité » après l’arrestation du proxénète influenceur misogyne Andrew Tate, mais…

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Boys aren’t losing role models – girls are

Responses to online misogyny have missed the point

par Victoria Smith, Artillery Row, The Critic, 18 January, 2023

Following the arrest of influencer Andrew Tate for human trafficking, parents of teenage boys are being encouraged to talk to their sons about online misogyny. I am one such parent, though precisely what I am supposed to say, I’m not sure. 

That misogyny is bad? That rape isn’t fun? That women and girls are people, too? If my sons don’t know this already, what hope is there? (…)

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Traduction d’Audrey A. et Martin D. de l’article de Victoria Smith référencé ci-dessus

Après l’arrestation de l’influenceur Andrew Tate pour trafic d’êtres humains, on a vu les parents d’adolescents être encouragés à parler à leurs fils de la misogynie en ligne. Je fais partie de ces parents, mais je ne sais pas exactement ce que je suis censée dire.

Dois-je dire que la misogynie est une mauvaise chose? Que le viol n’est pas marrant ? Que les femmes et les filles sont aussi des personnes ? Si mes fils ne savent pas déjà cela, quel espoir y a-t-il ?

Ce n’est pas que je n’ai pas essayé, malgré l’impression familière de jardiner en plein ouragan. Quelles que soient les graines que je plante, elles peuvent être aussi vite emportées par le vent. D’une part, il semble stupide, voire offensant, de me comporter soudainement comme si les garçons que je connais et que j’aime pourraient être sous l’emprise de la culture des « incels ». Si cette hypothèse met mes fils sur la défensive, je ne peux pas leur en vouloir. D’autre part, je soupçonne qu’ils ne remarquent pas toutes les façons dont les croyances sur l’infériorité des femmes sont graduellement implantées en eux. J’ai eu du mal à les remarquer, moi aussi.

Pourtant, l’arrestation d’Andrew Tate doit signifier quelque chose, et il faut agir. D’où une pléthore d’articles qui se demandent pourquoi les garçons sont attirés par lui et comment on pourrait les en détourner. On nous dit que les fans de Tate sont « vulnérables« , qu’en raison d’une « pénurie d’alternatives », Tate leur offre « un modèle de comportement masculin« , qu’il est devenu « un modèle pour une génération de garçons perdus« . C’est ainsi qu’un reportage dont l’essence dépeint la haine et la maltraitance des femmes et des filles finit par susciter des appels à plus d’attention et de sympathie pour les hommes et les garçons.

Sauf que, comme l’écrit Martha Gill dans le Guardian, « les hommes ne manquent pas, en fait, de modèles : ils en ont des bibliothèques entières, toute l’histoire du cinéma et les dirigeants de presque tous les pays et toutes les professions ». L’insistance mise sur la notion que la plus  récente expression de misogynie est un symptôme d’une « masculinité en crise » n’a rien de nouveau. Comme l’écrivait Tanya Modleski en 1991 dans Feminism Without Women, « le pouvoir masculin est, en fait, consolidé par des cycles de crise et de résolution, par lesquels les hommes finissent par faire face à la menace du pouvoir féminin en se l’appropriant ».

Dans un grand nombre de réactions médiatiques aux hommes comme Tate, je ne vois pas tant un engagement face à la menace d’une misogynie violente que le déploiement d’une « bonne » masculinité à l’instar d’un racket de protection. Faites en sorte que les garçons se sentent en sécurité dans leur masculinité, nous dit-on, et ils ne vous feront pas de mal. Comment s’y prendre ? Comment les filles doivent-elles s’y prendre pour assurer les garçons de leur différence – de leur qualité spécifique – sans dévaloriser les filles elles-mêmes ?

Le problème de la masculinité n’est pas qu’il existe de bonnes versions et des versions « toxiques ». C’est qu’il s’agit d’un concept relationnel. Pour avoir un sens quelconque, la masculinité doit être quelque chose qui manque à la féminité ou à la condition féminine. L’obsession permanente de présenter aux garçons de « bons » modèles de masculinité se heurtera toujours au fait qu’au-delà d’une plus grande force physique, il existe très peu de qualités positives que les hommes possèdent et que les femmes ne partagent pas aussi. Ainsi, ceux qui cherchent des alternatives à ce que Tate propose finissent par présenter une version édulcorée de la même misogynie : le cliché voulant que « les garçons ont besoin de plus de modèles » signifie réellement « les femmes et les filles devraient être limitées dans ce qu’elles peuvent dire et faire – ce à quoi elles sont ‘destinées’ – afin que les hommes et les garçons puissent se sentir exceptionnels, pas en tant qu’humains, mais en tant que mâles ».

Je ne doute pas que la vie soit difficile pour mes fils adolescents. Tout comme leurs homologues de sexe féminin, ils sont confrontés à d’énormes niveaux de stress et d’incertitude. Je leur parle rarement de concepts tels que le privilège masculin, car je sais qu’à ce stade de leur vie, ils ne se sentent pas puissants en regard de beaucoup de gens. Ils savent peut-être, dans l’abstrait, qu’ils sont privilégiés, mais ce n’est pas quelque chose qu’ils ressentent par rapport à leurs pairs. Pourquoi le feraient-ils ? À leur âge, ils doivent faire face à une pression sociale énorme, avec peu de liberté personnelle ou financière et peu de garanties pour l’avenir. C’est une situation difficile, mais je ne pense pas qu’on les aide en les encourageant à ancrer leur sentiment d’identité dans la possession d’attributs qui, dans l’imaginaire misogyne, manquent aux femmes et aux filles.

Depuis que j’ai eu l’âge de mes fils, j’ai remarqué que chaque fois que les filles prouvent qu’elles sont dignes des droits pour lesquels les premières féministes se sont battues, cela devient un argument pour affirmer que la masculinité est menacée. Lorsque les filles obtiennent de meilleurs résultats que les garçons aux examens, par exemple, cela est traité, non pas comme une preuve de l’énorme injustice qu’a représenté l’exclusion des femmes de l’accès à éducation, mais comme une sorte de vol. Lorsque les femmes gagnent suffisamment d’argent pour devenir autonomes, on dit qu’elles privent les hommes du rôle de soutien de famille. Lorsqu’elles se montrent capables de gérer leurs choix reproductifs et la cellule familiale, on prétend qu’elles « réduisent les hommes au statut de donneurs de sperme ».

Les garçons n’ont pas besoin d’une nouvelle mise à l’écart des filles

On peut considérer de tels propos comme de la paranoïa masculiniste, mais la vérité est que les femmes réalisent ces avancées. Elles démantèlent les fondations fragiles de la masculinité en révélant à quel point se ressemblent les désirs et les capacités des hommes et des femmes. Les hommes peuvent nier cette correspondance, et recourir à la violence pour imposer leur politique de déni, mais les femmes vont conserver le même potentiel, même si on ne lui permet pas de s’épanouir. Tant que les hommes ne voudront pas accepter qu’ils ne sont pas plus uniques, plus intéressants et plus quintessentiellement humains que les femmes, ils ne seront pas heureux. Tant que les hommes ne l’accepteront pas (puisqu’ils savent cela de toute façon), ils ne cesseront pas de nous faire du mal.

Tandis que les hommes soi-disant « progressistes » s’imaginent à l’opposé des activistes des droits masculins (masculinistes), leur investissement dans le concept de l’identité de genre ou sexuelle — un concept qui essentialise la masculinité et la féminité — révèle un même attachement au mythe de l’exceptionnalisme masculin. La féminité reste ce que la masculinité n’est pas. Et cela ne nous conduit pas à un monde dans lequel les garçons sont privés d’identité, mais à un monde qui en prive les filles.

Nous ne sommes pas dans un monde où les organisations caritatives de lutte contre le cancer du col de l’utérus font de la publicité avec des slogans tels que « Les femmes : Elles valent la peine d’être sauvées », tandis que les organismes de sensibilisation au cancer de la prostate lancent des appels timides aux « porteurs de prostate ». Nous ne sommes pas dans un monde où quantité d’adolescents se désidentifient de la masculinité du fait d’avoir l’impression d’être « une personne » [référence à Bella Ramsey, qui dit être non binaire parce qu’elle se sent comme une personne humaine (sous-entendu et non comme une femme, de la viande hyperpornifiée à fourrer)]. Nous ne sommes pas dans un monde où les hommes exceptionnels de l’histoire sont maintenant présentés comme ayant été des femmes trans après tout [référence aux masculinistes gardiens de Wikipédo qui transitionnent les femmes de l’histoire en « hommes-trans » (Louisa May Alcott, Jeanne d’Arc pour les dernières en date), si elles étaient exceptionnelles, c’est parce que ce sont des hommes au fond, et non des femmes]. Nous ne sommes pas dans un monde où les hommes perdent leur place dans les arts [référence aux derniers Brits awards devenus « de genre neutre » ou tous les nominés ne sont que des hommes] et le sport de compétition [j’ai suffisamment écrit là-dessus. Mais s’il vous en faut un ou deux, voir William « Lia » Thomas, Gavin « Laurel » Hubbard.]

Ce ne sont pas les garçons qui perdent leurs modèles, mais les filles. Cela n’est pas dû à une tentative mal conçue d’inclusivité. Elles perdent leurs modèles pour la même raison qu’elles les ont toujours perdus, pour la même raison qu’elles ont été exclues des activités dont seuls les hommes étaient censés être capables, pour la même raison qu’on leur a refusé une histoire et un héritage : parce que les hommes n’ont pas encore trouvé le moyen de s’assurer de leur propre existence en dehors de leur relation à l’infériorité des femmes.

[Et c’est la raison d’être du patriarcat. Créer les conditions matérielles, économiques, sociales, sanitaires, psychologiques, intellectuelles et culturelles, de l’infériorité des femmes. Parce que les XY sont en insécurité existentielle fondamentale du fait d’être biologiquement incapables de créer la vie.]

Dans Le Deuxième Sexe (p. 186-7), Simone de Beauvoir a soutenu que « l’homme est défini comme un être humain et la femme comme une femelle – chaque fois qu’elle se comporte comme un être humain, on dit qu’elle imite le mâle ». En tant que féministe, je refuse d’accepter que les femmes déshumanisent les hommes – les dépouillant de leur identité – en se comportant comme des êtres humains.

Je veux que mes fils soient heureux et sûrs d’eux. Cette sécurité ne peut pas dépendre du maintien d’une distinction artificielle entre eux et leurs camarades féminines. C’est ce qui conduit les garçons et les hommes à considérer la réussite féminine comme un affront, un vol, une chose à réprimer. À l’heure actuelle, cette réussite est très durement réprimée.

Les garçons n’ont pas besoin d’une nouvelle mise à l’écart des filles – trompeusement présentée comme une « célébration des hommes et des garçons » ou une « intégration » – pour leur dire qu’ils sont suffisants. Réussir aussi bien que les filles est suffisant. J’ai confiance qu’ils en sont capables.

Victoria Smith

Victoria Smith est une écrivaine féministe, qui s’intéresse particulièrement à la maternité et aux intersections de la misogynie et de l’âgisme. Son plus récent livre, Hags, sur la diabolisation des femmes d’âge moyen, sera publié en mars. Elle tweete à @glosswitch. Dans Hags, Victoria Smith se demande pourquoi ces femmes sont traitées avec un dédain aussi virulent. Chaque chapitre aborde un thème différent – le travail de soin, la beauté, la violence, l’organisation politique, le sexe – et l’explore en relation avec les croyances, les corps, les histoires et les choix des femmes d’âge moyen.

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