Une foule hostile a pris d’assaut un événement proféministe à la faculté de Droit de l’université McGill la semaine dernière à Montréal – afin de se porter à la défense de la justice de genre, bien sûr.

Conçue comme une expression des droits des transgenres, cette échauffourée a plutôt illustré pourquoi de nombreuses féministes LGB veulent échapper à toute « association forcée » avec les transactivistes.

par Jonathan Kay, sur Quillette, le 12 janv. 2023

Photo: Celeste Trianon, un entrepreneur trans qui se décrit comme une « activiste saphique transféministe ». Photo publiée sur Facebook à l’occasion d’un événement avorté qu’a tenté d’organiser le Centre des droits de la personne et du pluralisme juridique de l’Université McGill à Montréal.

J’ai appris un nouveau terme cette semaine : « association forcée » (forced teaming). Il décrit ce qui se passe lorsqu’un groupe de personnes – par exemple, les hommes gays et les femmes lesbiennes – se voient interdire de rompre les rangs avec un groupe plus vaste, comme (dans ce cas) la mouvance LGBT.

L’exemple dont je parle ici en est un que les rédacteurs du magazine Quillette explorent depuis plusieurs années maintenant. Comme l’a noté l’auteur Allan Stratton l’année dernière, la fixation idéologique centrale de nombreux militants pour les droits des transgenres est la négation du sexe biologique comme marqueur significatif de l’identité humaine. Ils insistent pour affirmer que la véritable source de l’attirance sexuelle n’est pas la réalité des corps masculins et féminins sexués, mais plutôt un esprit de genre abstrait logé dans nos âmes, qui se diffuse en quelque sorte d’une manière que d’éventuels partenaires romantiques sont capables de percevoir et d’interpréter. Comme le fait remarquer Stratton, cette mythologie n’est pas seulement manifestement fausse. Elle est également homophobe, dans la mesure où elle nie la nature sexuellement définie de l’identité gaie. De plus, cet élément homophobe ne peut être éliminé de l’idéologie genriste sans compromettre la mission (généralement non exprimée) de nombreux transactivistes biologiquement masculins, car renoncer à cette revendication « reviendrait à admettre qu’une lesbienne ne sera pas attirée par un corps masculin, sans égard au nombre de fois où on lui assure que le corps en question appartient à quelqu’un qui s’identifie comme une femme ».

Mercredi, la rédactrice sur Substack Eliza Mondegreen, basée à Montréal, a publié un compte rendu oculaire qui permet d’illustrer ce à quoi ressemble désormais l' »association forcée » d’hommes et de femmes LGB qui s’avèrent idéologiquement rétifs à l’association aux personnes transgenres. Le Centre des droits de la personne et du pluralisme juridique (CDPPJ) de l’Université McGill avait prévu d’organiser le 9 janvier une conférence sur la tension actuelle entre les concepts de sexe (sex) et d’identité sexuelle (gender identity), un débat qui devait impliquer Robert Wintemute, professeur en droit des droits de la personne au King’s College de Londres. Selon la page de l’événement, il devait discuter « de la nécessité ou non de modifier la loi pour faciliter le changement de sexe légal d’une personne transgenre par rapport à son sexe de naissance, et des situations exceptionnelles, comme les espaces réservés aux femmes et les sports, dans lesquelles le sexe de naissance de la personne devrait avoir priorité sur son identité sexuelle, indépendamment de son sexe juridique ».

Bien que le professeur Wintemute semble être tout sauf un réactionnaire (ou même un conservateur), il est détesté par de nombreux transactivistes en raison de ce que ces personnes considèrent comme un acte d’apostasie impardonnable. En 2006, Wintemute a cosigné un document appelé « les Principes de Jogjakarta », un manifeste signé par des activistes de plusieurs pays dont les auteurs réclamaient que l’auto-identification sans entrave (gender self-ID) soit reconnue comme le seul et unique moyen de distinguer les hommes des femmes. Mais Wintemute s’est rétracté par la suite, déclarant qu' »un facteur clé de mon changement d’opinion a été d’écouter les femmes ». Inutile de dire que nombre de ses anciens amis ont alors commencé à le traiter comme une nouvelle incarnation de Lord Voldemort. Et le journal montréalais The Gazette, se faisant l’écho de ces dénonciations, a averti sombrement ses lecteurs que le spécialiste des droits de la personne en visite à Montréal avait « des liens avec la LGB Alliance, un groupe de défense décrit par diverses organisations et militants LGBTQ2+ comme un groupe haineux transphobe ». (En réalité, la LGB Alliance est simplement une organisation caritative britannique qui, comme son nom l’indique, soutient les lesbiennes, les gays et les bisexuels, même lorsqu’ils pensent que les intérêts des L, G et B divergent parfois de ceux des T).

Les féministes britanniques, qui sont maintenant habituées à ce que des hordes de soi-disant progressistes fassent annuler des conférences au nom d’une solidarité avec l’idéologie transgenriste, peuvent deviner les contours de ce qui s’est passé ensuite. Celeste Trianon, un trans qui se décrit comme « une activiste saphique transféministe », a comparé Wintemute à un « cannibale » et a annoncé une manifestation, suggérant à ses partisans de « sortir les fourches ».

Conformément à cette consigne, des supporters de Trianon se sont rassemblés à McGill et ont commencé à hurler des slogans selon lesquels laisser parler M. Wintemute équivaudrait à être complice d’un « génocide ». Les membres de cette foule croissante ont ensuite encerclé les membres de l’auditoire pour les empêcher d’entrer dans la salle de conférence. Selon la description qu’en a fait Mme Mondegreen sur son site:

« Les activistes ont particulièrement harcelé deux femmes, en poussant l’une à terre et en hurlant sur elles à l’aide d’un porte-voix. À un moment donné, les militants ont raillé : « Pourquoi restez-vous donc ? » L’une des femmes a répondu, très courageusement, je pouvais à peine l’entendre à travers ce tintamarre : « Nous ne voulons pas céder à ce genre d’intimidation ». Et la militante de répondre : « Quelle intimidation? Ce n’est pas de l’intimidation ! » … Lorsque [mes amies et moi] sommes sorties pour échapper à la cohue, un homme (qui s’identifie comme une translesbienne, naturellement) nous a suivies. Il a affirmé connaître très bien les gens comme nous, car il était lui-même un néo-nazi… « Voilà ce qui va arriver dans ce pays pour les gens comme vous », nous a-t-il prévenues… Pendant ce temps, à l’intérieur, ces activistes ont enfoncé les portes de la salle, interrompu la conférence, débranché le projecteur du conférencier et lui ont jeté de la farine au visage. »


À la fin de la conférence, Trianon s’est réjoui sur Facebook de la façon dont ses partisans et lui avaient réussi à prendre d’assaut l’événement. Et un militant local qui signe ses posts sur Twitter du nom de « Autogynéphiles anonymes » s’est réjoui du fait que « la manifestation contre l’Alliance LGB à l’Université McGill a été un énorme succès… Presque personne n’a assisté à la conférence du TERF, qui a été interrompue et empêchée avec succès par des personnes transgenres engagées et passionnées et leurs alliés « . (« TERF », ou trans-exclusionary radical feminist, est une expression injurieuse employée par certains activistes pour décrire toute personne qui s’écarte des principes de l’idéologie transgenriste).

« Je dois remercier les manifestants de m’avoir fourni une expérience de première main de ce type d’intimidation », a déclaré le professeur Wintemute aux médias. « Il est probable que la majorité des femmes de nos pays ne sont pas d’accord avec certaines des revendications transgenristes, mais elles choisissent de ne pas le dire de peur d’être diffamées comme intolérantes. » La conférence annoncée avait pour titre « Débat sur le sexe c. l’identité (sexuelle) au Royaume-Uni et le divorce entre LGB et T« . Et il n’y a vraiment pas de meilleure façon d’expliquer pourquoi un nombre croissant de femmes LGB (en particulier) veulent échapper à leur « association forcée » avec des transactivistes à corps masculin qu’en faisant référence à des charmeurs tels que les « Autogynephiles anonymes » qui se réjouissent d’avoir crevé le ballon parce qu’ils ont réussi à intimider un groupe de femmes et à faire taire un orateur proféministe.

L’autre bonne nouvelle est que le doyen de la faculté de droit, Robert Leckey, a fait preuve d’une admirable détermination en défendant le droit de parole de Wintemute. Dans un courriel envoyé à toute l’école peu avant l’événement avorté, Leckey a écrit :

Je vous écris pour réitérer mon engagement à soutenir la Faculté de droit en tant que lieu inclusif où des personnes de nombreuses identités et expériences peuvent apprendre ensemble et s’épanouir, ainsi qu’un lieu où nous pouvons entendre et critiquer des points de vue avec lesquels nous sommes en vigoureux désaccord. Nous pouvons apprendre dans le processus, notamment en affinant l’articulation de nos points de vue. La faculté de droit est également un lieu où les membres de la communauté universitaire peuvent manifester pacifiquement. Quelques rappels s’imposent. Une institution universitaire n’endosse pas toutes les opinions de chaque orateur qu’elle accueille. Les membres d’un conseil d’administration n’approuvent pas tout ce que disent ou font les organisations qu’ils aident à gouverner. De même, les avocats n’approuvent pas tout ce que disent ou font les clients qu’ils défendent vigoureusement. Je crois fermement que, sur le long terme, il est important de préserver cette séparation, y compris pour les membres de nos communautés LGBTQ+.


Le lendemain, M. Leckey a diffusé un nouveau message, dans lequel il reproche aux manifestants d’avoir interrompu un événement universitaire, jeté de la farine sur un orateur invité et empêché la libre circulation du personnel. Il a également révélé que « des murs ont été défigurés, de même qu’un panneau de bois rendant hommage à des décennies de récipiendaires de la médaille d’or Elizabeth Torrance [décernée chaque année à l’étudiant-e qui obtient son diplôme de droit à McGill avec les meilleures notes] ».

L’Association des étudiants en droit (AED) de McGill, quant à elle, a pris part à la manifestation. Vers 11h30 mardi, peu avant que Mondegreen et ses amies ne commencent à se faire tabasser par les champions transféminins de la justice sociale susmentionnés, l’AED a envoyé un courriel de masse pour « dénoncer sans équivoque la promotion de la transphobie à la Faculté et à McGill ». L’AED a également diffusé des informations sur la manifestation (qu’elle a décrite comme s’opposant à « la promotion par McGill de la violence anti-trans ») et une lettre ouverte associée, qui consistait principalement en des accusations de complot selon lesquelles Wintemute est un sinistre homme de paille pour toutes sortes d’influences, allant de suprémacistes blancs à des « groupes de réflexion d’extrême droite ».

Cette lettre est elle-même cosignée par trois organisateurs de manifestations identifiés : Trianon, Queer McGill et RadLaw McGill (qui rapportera plus tard sur sa page Facebook que – horreur des horreurs – « Il y a eu dans notre école une personne portant un chemisier où l’on pouvait lire ‘I ♥️ JK Rowling' »). Les manifestants ont été enragés lorsque Wintemute a comparé leur attaque à une version miniature de l’émeute du 6 janvier à Washington. Mais les preuves disponibles amènent certainement à s’interroger sur la part de spontanéité de ce harcèlement moral survenu à la faculté de droit de McGill et sur sa part de planification préalable, peut-être par les étudiants en droit eux-mêmes. Si le doyen Leckey veut vraiment décourager ce genre de violence à l’avenir, il se fera un devoir de découvrir la réponse à cette question.

Naturellement, les deux parties cherchent à modeler la couverture médiatique de cet affrontement, qui a été couverte par les mêmes médias qui avaient relayé au départ les dénonciations apocalyptiques du professeur Wintemute par Trianon. Pour sa part, la CBC, le radiodiffuseur national canadien financé par le gouvernement, a confié cette tâche à Erika Morris, qui se décrit comme une « journaliste gothique », pour couvrir les retombées de l’affaire. Dans un article ayant pour sous-titre « Les défenseurs des droits des transfemmes disent que le débat sur ces droits est préjudiciable à toutes les femmes », la journaliste commence par répéter l’affirmation de Trianon selon laquelle l’orateur de l’événement est « notoirement transphobe et trans-exclusif », suivie de l’affirmation selon laquelle l’Alliance LGB, dont Wintemute est fiduciaire, est un « groupe haineux ».

Mme Morris, et c’est tout à son honneur, a donné à Wintemute tout l’espace nécessaire pour réfuter les accusations portées contre lui, dont il a qualifié à juste titre les plus hyperboliques d' »absurdes ». Mais elle a ensuite conclu l’article en laissant la parole à Trianon, qui s’est plaint à Morris du « pernicieux stéréotype du prédateur transféminin ».

Morris aurait pu mentionner qu’une façon particulièrement fiable de promouvoir le « stéréotype du prédateur transféminin » serait d’attaquer physiquement un événement féministe sur un campus universitaire, d’intimider les participantes, puis de féliciter les autres membres de la foule « transféminine » sur les médias sociaux pour avoir saboté l’événement. Hélas, la journaliste de la CBC n’a jamais abordé ce point. Elle a sans doute manqué d’espace.

Jonathan Kay

Jonathan Kay est un rédacteur de Quillette, un podcasteur et un conseiller de la Fondation contre l’intolérance et le racisme. Il a notamment publié les ouvrages Among the Truthers, Legacy, Panics & Persecutions, et Magic in the Dark.

Version originale: https://quillette.com/2023/01/12/feminists-tried-to-meet-at-mcgill-law-school-fortunately/

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