Il y a deux semaines, je me tenais sur une place publique avec un groupe de femmes déterminées à défendre nos droits humains et civils fondamentaux à nous réunir, à formuler nos griefs et à nous exprimer d’une manière qui soit socialement significative. Nos doléances sont profondes. Des délinquants sexuels masculins sont désormais placés dans des prisons pour femmes, où ils font ce que toute personne sensée aurait pu prévoir : menacer, agresser et violer leurs victimes captives. Les femmes sont tellement terrifiées qu’elles se relaient pour dormir. Ces hommes, bien sûr, prétendent être des femmes.
Soyez gentilles, nous a-t-on dit. Utilisez les bons pronoms. Quel est le problème ? Et voilà où nous en sommes.
En Angleterre, une femme était à l’hôpital, dans une aile supposément réservée aux femmes. Seulement, un homme s’y trouvait. Il l’a violée. L’horreur ne s’arrête pas là, ce qu’il s’est passé ensuite est indescriptible. Pendant une année entière, l’hôpital et la police ont refusé — refusé — de faire quoi que ce soit d’autre que de répéter le mantra « les femmes trans sont des femmes ». Aucun homme ne se trouvait dans cette aile de l’hôpital, il ne pouvait donc pas y avoir eu de viol. Une année entière. La seule chose qui lui a permis d’obtenir justice, c’est que le viol avait été filmé par une caméra de surveillance. La politique de l’hôpital demeure inchangée. Les hommes peuvent se déclarer femmes et obtenir un lit dans les espaces réservés aux femmes. Le personnel a reçu l’ordre de mentir aux femmes et de dire qu’aucun homme ne s’y trouve. Même s’il vous viole, le personnel vous répétera qu’il n’y a pas d’homme.
Soyez gentilles, nous a-t-on dit. Utilisez les bons pronoms. Quel est le problème ? Et voilà où nous en sommes.
Et les enfants. Parce qu’ils aiment la mauvaise couleur ou choisissent les mauvais jouets, des enfants se voient refuser l’intégrité biologique de leur propre corps. Ils reçoivent des produits chimiques et subissent des opérations chirurgicales qui détruisent leur fertilité, leurs organes sexuels, leurs os, leur cœur, leur foie et leur espérance de vie. Le seul mot que je trouve pour décrire cela est « sadisme ». Marci Bowers, directrice de la WPATH (World Professional Association for Transgender Health, l’Association mondiale des professionnels de la santé des personnes trans) et médecin ayant mutilé le pénis parfaitement sain de Jazz Jennings, admet qu’aucun des enfants — aucun — soumis à ce protocole ne connaîtra d’orgasme. De jeunes enfants sont déclarés « inadaptés » et voient leur capacité à éprouver du plaisir sexuel détruite, volée avant même qu’ils ne sachent ce que c’est.
Soyez gentilles, nous a-t-on dit. Utilisez les bons pronoms. Quel est le problème ? Et voilà où nous en sommes.
Il s’agit d’un mouvement pour les droits sexuels des hommes. Pendant des décennies, ils ont œuvré à dissimuler ce fait et y sont largement parvenus. Ce que l’on appelait autrefois « travestissement fétichiste » a été rebaptisé « transsexualisme » puis aseptisé sous l’appellation « transgenrisme ». Les enfants sont les boucliers humains qui protègent leur fétiche de l’examen public : ne prêtez pas attention à l’homme derrière le rideau. Ils ont besoin des enfants pour que le tour de magie fonctionne.
Et puis il y a ce qui arrive aux lesbiennes, qui ne sont plus autorisées à être des femmes qui aiment les femmes. Les lesbiennes qui refusent d’accepter des hommes comme partenaires sexuels sont traitées de tous les noms. On fait pression sur elles pour qu’elles changent d’avis, on les chasse de leurs cercles sociaux, et pire encore. J’ai parlé avec suffisamment de jeunes lesbiennes gravement traumatisées pour savoir que le viol correctif est désormais considéré comme une pratique du « bon côté de l’histoire ».
Soyez gentilles, nous a-t-on dit. Utilisez les bons pronoms. Quel est le problème ? Et voilà où nous en sommes.
Il y a deux semaines, sur cette place publique, tandis que je participais à l’une des activités les plus fondamentales de la démocratie, mon groupe de femmes a été confronté par une foule d’hommes enragés et leurs partisanes narquoises. Pendant mon intervention au micro, un homme en jupe et chaussettes d’écolière s’est précipité derrière moi pour me pousser. Sans l’intervention rapide de ma collègue Amy Sousa, qui s’est interposée entre lui et moi, mes os, le visage en premier, auraient heurté le trottoir de plein fouet. Pendant l’heure qui a suivi, on nous a insultées, craché dessus, bombardées d’objets, menacées et finalement encerclées. Mon amie et co-organisatrice, April Morrow, une femme adorable et sept fois grand-mère, a clairement été prise pour cible. L’un des hommes l’a attrapée, lui a arraché son téléphone de la main, puis a délibérément écrasé ses doigts jusqu’à ce qu’ils se brisent. Dans la vidéo de l’évènement, on peut entendre son cri déchirant au-dessus des huées de la foule.
Voilà où nous en sommes.
Le féminisme radical est unique. Il s’agit de la seule philosophie politique qui place les femmes au centre et du seul mouvement politique qui se bat pour la libération des femmes. Les femmes se sont saisies des outils d’analyse politique de la gauche et les ont appliqués à leur propre vie. Apprenez à lire aux esclaves et ils finiront par se révolter. Ils finiront aussi par écrire leur propre théorie politique.
Sans le féminisme, chaque femme se retrouve à la dérive dans une mer hostile et chaotique. Introduisez l’expression « classe sexuelle », et ce chaos se transforme en un modèle de subordination très net, depuis les petites insultes quotidiennes visant le corps et l’âme jusqu’aux traumatismes de l’inceste et du viol. Les crimes que les hommes commettent à l’encontre des femmes ne visent pas les femmes en tant qu’individus aléatoires ; ils les visent parce que les femmes appartiennent à une classe subordonnée, et pour que les femmes demeurent une classe subordonnée.
Le fait de placer les femmes au centre de l’analyse a produit quelque chose de nouveau. Contrairement à d’autres hiérarchies sociales, l’oppression des femmes ne consiste pas fondamentalement à les tenir éloignées de la vie publique. Elle repose plutôt sur la manière dont l’ensemble du domaine « privé » est en réalité politique. Le viol, les coups, l’inceste, la prostitution et le meurtre créent une barricade de terrorisme sexuel, aussi politique que toute autre forme de terrorisme si l’on considère les femmes comme des êtres humains. Pour affronter ce « si », nos théoriciennes ont dû faire à la fois preuve d’un courage de guerrière et d’une vision de prophétesse.
La prophétesse s’est avérée être Cassandre. Andrea Dworkin a révélé les horreurs de la pornographie, s’écriant, en 1981, que c’était « le cimetière où la gauche est allée mourir ». Elle a essayé de nous avertir. Et puis Internet a frappé comme un tsunami, noyant la culture sous le sadisme sexuel. Mary Daly a exposé la véritable nature du patriarcat dans toutes ses institutions, écrivant, en 1978, que « son message essentiel est la nécrophilie ». Désormais, la vie elle-même est au bord de l’extinction. Et en 1979, Janice Raymond a perçu la menace imminente du transsexualisme — qui s’est concrétisée.
Raymond a interviewé des « transsexuels » ainsi que des médecins, des psychiatres et des chercheurs pour analyser ce phénomène d’hommes, principalement (à l’époque), qui prétendaient être « nés dans le mauvais corps », ainsi que l’industrie médicale qui métastase autour d’eux. En tant qu’éthicienne et féministe, la conception que les idéologues du genre se font du corps en tant que « parties artefactuelles du tout artefactuel » lui apparaît hautement dommageable. Elle devrait apparaître ainsi à chacune et chacun d’entre nous, quelles que soient nos convictions politiques. L’animal humain mérite à la fois notre amour et notre défense. Et les femmes ne sont pas une collection de parties fétichisées à vendre. Une telle idée correspond à la définition que les pornographes donnent de la femme, et les hommes la revendiquent maintenant avec avidité pour eux-mêmes. Lorsque Raymond écrivait L’Empire transsexuel, le concept d’autogynéphilie n’avait pas encore été développé, mais elle l’avait clairement perçu. Elle remarquait la tendance des hommes à l’exhibitionnisme, y compris l’étalage de leurs résultats chirurgicaux, et la façon dont ils associaient la prostitution à leur « nouveau statut féminin », tandis que les véritables femmes étaient victimes de violations graves et traumatisantes.
Raymond a également prédit « l’érosion des limites authentiques des femmes » ainsi que la prise de contrôle des espaces lesbiens par les hommes. La lecture de sa prophétie vieille de plus de quarante ans fait froid dans le dos : « L’acceptation des [transsexuels] conduira-t-elle à l’enfermement et au contrôle des féministes lesbiennes ? Est-ce que chaque espace féministe lesbien deviendra un harem ? ».
Enfin, elle a vu la manière dont les cliniques de « genre » fonctionnent comme des « centres de contrôle du rôle sexuel, pour les femmes déviantes, non féminines, et les hommes non masculins ». L’idéologie du genre et ses mandats médicaux ont « domestiqué le potentiel révolutionnaire » des hommes et des femmes en détresse quant à leur place dans une société phallocratique. Il n’y a pas si longtemps, l’ovariectomie, l’hystérectomie et la clitoridectomie étaient utilisées pour dompter les femmes, à une époque où leurs corps étaient déjà enfermés dans des corsets. Je n’aurais jamais pensé que ces pratiques reviendraient de mon vivant, pourtant les jeunes femmes recourent aujourd’hui aux binders [des brassières compressives, NdT], qui endommagent de façon permanente les côtes et les seins, ainsi qu’à des produits chimiques et des opérations chirurgicales qui détruisent leurs organes sexuels. Beaucoup d’entre elles sont lesbiennes et toutes devraient être féministes, mais au lieu de cela elles mènent une guerre sans merci contre leur corps de femme.
Tout cela, Raymond l’avait prévu. Elle nous a fourni non seulement l’analyse intellectuelle, mais aussi la clarté morale qui jaillit d’un amour profond et biophile pour les femmes et la justice. C’est à nous maintenant de nous lever et de nous battre.
Lierre Keith, 2022
