La pornographie sape la base du mouvement #MeToo

Par Gail Dines et Robert Jensen, le 5 décembre 2019, dans le Houston Chronicle

photo Charde JohnsonCharde Jackson, travailleuse en restauration rapide, brandit une affiche lors d’une manifestation contre le harcèlement sexuel, dans un McDonald’s de St. Louis, le 18 septembre 2018. Une grève nationale, déclenchée par l’organisation Fight for 15, est survenue après que des travailleuses de la chaîne McDonald’s aient porté plainte contre l’entreprise en mai. (Nick Schnelle/New York Times)

 

Avec le traitement en manchettes d’allégations contre le Prince Andrew et son association avec (le milliardaire pédophile) Jeffrey Epstein, le mouvement #MeToo poursuit une longue lutte contre le harcèlement et les agressions sexuelles, en rejetant l’idée que les femmes existent pour le plaisir sexuel des hommes.

Mais parallèlement au succès croissant de ce mouvement, l’industrie de la pornographie continue de prospérer en présentant des images explicites qui sexualisent exactement cette notion, celle que les femmes existent pour servir les désirs des hommes, quels que soient ces désirs, sans égard à la quantité d’humiliation et de souffrance qu’ils imposent aux femmes.

La contradiction est évidente : au moment où les hommes commencent à être tenus responsables de l’utilisation de leur pouvoir pour manipuler et agresser sexuellement des femmes, l’industrie de la pornographie continue de socialiser les hommes à adopter précisément ces comportements. Il est temps pour le mouvement #MeToo — et pour le féminisme de façon plus générale — d’inclure une critique de la pornographie dans le projet d’abolition de la violence à l’égard des femmes.

La société étatsunienne est inondée de divertissements et de publicités qui présentent les femmes comme des objets sexuels plutôt que comme des êtres humains à part entière, et ces messages ne sont nulle part aussi intenses que dans la pornographie. Est-ce important ? Bien sûr, parce que les images des médias de masse jouent un rôle important dans la culture contemporaine, et parce que des sociétés à but lucratif façonnent ces images médiatiques.

Le mouvement #MeToo ne doit pas ignorer le problème de la pornographie.

Au cours du dernier demi-siècle, tout le monde sait que l’industrie de la pornographie s’est considérablement développée, surtout en ligne. Mais ce que des gens ignorent peut-être, c’est que les pratiques sexuelles qui sont devenues la norme dans l’industrie — pénétrations multiples d’une femme par plus d’un homme en même temps, sexe oral agressif jusqu’à l’étouffement, et scénarios et langage ouvertement racistes — ont intensifié le message de la domination masculine. Au fur et à mesure que cette cruauté envers les femmes s’est aggravée, le recours des garçons et des jeunes hommes à ces images est devenu si courant que la pornographie est aujourd’hui devenue l’éducation sexuelle par défaut aux États-Unis et dans la plupart des autres pays du monde.

Mise en garde : Reconnaître que la pornographie contribue à façonner les imaginaires sexuels ne signifie pas que la pornographie « cause » le harcèlement sexuel et le viol. La pornographie n’est pas le seul endroit où les garçons et les hommes sont formés à contrôler les femmes comme instrument de plaisir sexuel. Mais des études démontrent qu’il s’agit d’un élément clé de cette formation pour beaucoup, et il est dangereux d’ignorer cette réalité.

Autre mise en garde : Critiquer l’industrie de la pornographie n’équivaut pas à attaque les femmes utilisées dans la pornographie ; beaucoup d’entre elles subissent de graves préjudices psychologiques et physiques en raison des actes sexuels pénibles qu’elles doivent constamment endurer.

La plupart des hommes rejettent le recours à la coercition et à la violence pour forcer les femmes à des rapports sexuels. Grâce en grande partie au mouvement #MeToo, un plus grand nombre d’hommes examinent leur vie et modifient leurs comportements lorsqu’ils sont interpellés par les femmes. Mais moins nombreux sont les hommes prêts à explorer à quel point la pornographie va au cœur de leur expérience du plaisir sexuel, par le biais d’un sentiment de pouvoir et de contrôle. Il est plus difficile de convaincre les hommes de sacrifier les orgasmes rapides et apparemment faciles que procure la pornographie. (Nous mettons l’accent sur les hommes hétérosexuels, mais ce problème concerne également la pornographie gaie.)

Des femmes hétérosexuelles ont recours à de la pornographie, mais dans une proportion beaucoup plus faible, et bon nombre des femmes qui s’opposent à ces images gardent le silence à ce sujet, peut-être par crainte d’être étiquetées comme prudes.

L’industrie de la pornographie tient à ce que nous ayons peur d’aborder cette question. Les producteurs de porno enveloppent leur misogynie et leur racisme de propos éculés sur la liberté d’expression et, comme toute industrie, ils dépensent beaucoup d’argent en campagnes de relations publiques et en lobbying pour protéger leurs profits.

Nous ne préconisons pas la censure, mais encourageons plutôt une critique de la domination masculine sexualisée que met en valeur l’industrie du porno. Dans les années 1980, des féministes ont proposé une approche fondée sur les droits civils pour donner aux femmes des manières  de contester la pornographie ; cette approche a été bloquée par les tribunaux étatsuniens au nom du Premier amendement de leur Constitution. À l’ère de l’Internet, nous préconisons une variété d’approches juridiques et sociales. Certaines solutions sont techniques, notamment la vérification de l’âge des internautes pour bloquer l’accès des enfants au porno. Il est également essentiel d’investir dans une éducation sexuelle franche, en utilisant un modèle de santé publique qui ressemble un peu au traitement de la conduite en état d’ébriété.

Le rejet de cette domination au sein de la pornographie relève du même principe que le rejet du harcèlement et des agressions sexuelles, soit la revendication d’une liberté et d’une autonomie réelle pour les femmes, qui rende possible une vie plus riche et plus satisfaisante pour toutes et pour tous.

Version originale: https://www.houstonchronicle.com/opinion/outlook/article/Pornography-undermines-the-MeToo-movement-14882621.php?fbclid=IwAR3AEpxxa7K-YzzuecPz_kiHHR712YR5sVUVhVpjb2GJ4qKFm2CcK-o2nyE

Traduction: TRADFEM

Mme Dines est professeure émérite de sociologie et d’études féminines au Wheelock College de Boston et auteure de Pornland : Comment le porno a détourné notre sexualité (à paraître aux Éditions LIBRE)  m. Jensen est professeur émérite à l’école de journalisme de l’Université du Texas et auteur de plusieurs livres, dontThe End of Patriarchy : Radical Feminism for Men ET Getting Off : Pornography and the End of Masculinity.

COV PORNLANDcov The end of patriarchycov getting off

5 réflexions sur “La pornographie sape la base du mouvement #MeToo

  1. Il manque un mot à l’avant dernier paragraphe : Dans les années 1980, des féministes ont proposé une approche fondée sur les droits civils pour donner aux femmes un de contester la pornographie 

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