Kathleen Stock : Quand les féministes s’embrouillent, le patriarcat s’en sort bien.

Julie Bindel balance sur la façon dont d'autres féministes ont rendu méconnaissable le projet initial de la deuxième vague.

Le féminisme populaire au Royaume-Uni est en plein essor en ce moment, avec la journaliste Julie Bindel qui monte au front en tant que trouble-fête en cheffe. Au cours d’une longue histoire d’activisme qui a commencé dans les années 1980, militant contre la violence masculine à Leeds au moment où Peter Sutcliffe traquait dans les rues, Julie Bindel a toujours été directe, entière et peu intéressée à ménager les sensibilités petites-bourgeoises. Son nouveau livre n’est pas différent. Feminism for Women est un manifeste passionné pour le type de féminisme qu’elle défend – en fait, le seul féminisme qu’elle consent à reconnaître comme digne de ce nom.

Le féminisme de Bindel s’attache sans honte aux femmes et aux filles du démodé genre féminin, et sur ce qui a tendance à arriver aux plus vulnérables d’entre elles – pauvres, ouvrières, noires, jeunes, vieilles, lesbiennes ou victimes de la traite – aux mains des hommes. Elle balance sur la façon dont les autres féministes (elle utiliserait des guillemets) ont rendu méconnaissable le projet initial de la deuxième vague. Dans une mosaïque d’interviews, d’anecdotes personnelles et d’argumentaires vifs, elle démontre que les femmes font face à une série d’injustices : tout d’abord par les hommes qui les agressent ; puis par un système judiciaire qui les rabaisse et les ignore ; enfin, par une culture imbibée de pornographie qui transforme leur humiliation en plaisir masculin ; et pour finir, par les féministes carriéristes et celles de la « Blue Fringe Queer Brigade », qui ne peuvent ou ne veulent pas intervenir pour changer tout cela, tant elles sont obsédées par le fait d’éviter la violence linguistique par l’utilisation d’un pronom mal placé.

Le livre file à toute allure, truffé de blagues et de formules mémorables (« le trans-plaining », « la défense par le « harceler et niquer » », « Je ne suis pas née en désirant la sage-femme »). Certain-es lecteur-ices – probablement des hommes – pourraient désirer un peu plus de complexité dans le récit proposé des causes, où le patriarcat est l’éternel méchant. Les lectrices seront trop occupées à éprouver de la colère. Bindel démontre de façon convaincante que le monde n’est pas un espace sûr pour les femmes, et que le féminisme doit de toute urgence intégrer ce constat. Quant à son optimisme sur l’existence d’un avenir exempt de violence masculine, sous condition que nous arrivions à persuader les hommes d’agir différemment et à arrêter la complicité des femmes, il est moins convaincant.

Mais c’est un livre qui cherche à pousser les jeunes femmes à l’action, alors cet optimisme est peut-être stratégique. Bindel est en colère contre la façon dont elles ont été arrêtées par les politiques progressistes – on leur a dit de pole danser pour obtenir l’égalité, d’apprécier d’être brutalisées dans les rapports sexuels et de se taire quand une transfemme s’exprime. On leur a également dit que les féministes plus âgées – et Bindel en particulier – sont des mères-fouettardes sans cœur, qui ne cherchent qu’à faire avancer leurs propres intérêts. Ce livre atteste que Bindel est tout sauf cela.

Tandis que le féminisme populaire est revigoré, le féminisme académique lui se traîne, gâchant désespérément ses capacités intellectuelles à essayer de parier quitte-ou-double sur une énigme du genre : si la conclusion inévitable de tout argument est « les transsexuelles sont des femmes », quels sont les présupposés ? Le dernier exemple en date est The Right to Sex, de la professeure de philosophie d’Oxford, Amia Srinivasan.

L’ouvrage commence par reprocher aux féministes de prendre les femmes de haut, de leur dire « d’en haut ce qu’est réellement leur vie », mais Srinivasan gâche quelque peu ce moment plébéien en signant sa préface d’un « Oxford 2020 ». Elle dit également qu’elle ne fait que dire aux femmes ce que beaucoup d’entre elles savent déjà. Apparemment, ce que les femmes sont censées savoir est que les corps masculins et féminins sont produits par la culture et non par la nature : « Le sexe… est une chose culturelle, présenté comme naturelle ». Une fois le catéchisme récité consciencieusement, Srinivasan en arrive à son sujet principal, qui est, en gros, la construction sociale de l’autre sorte de sexe – le sexe fun – bien qu’il faille préciser que son approche ne le montre pas très fun.

Elle examine une suite de points de discussion progressistes. Existe-t-il un devoir moral à fournir du sexe ? Que signifie « croire les femmes » dans les cas d’agression sexuelle ? Comment devrions-nous réagir concernant la pornographie ? Les relations sexuelles entre professeur-es et étudiant-es devraient-elles être interdites ? Les réponses étatiques à la violence masculine sont-elles vraiment des réponses ? Dans le meilleur des cas, le livre réussit à décrire les incohérences, les intérêts contradictoires et la confusion qui entourent les enjeux éthiques autour de l’intimité sexuelle. Dans le pire des cas, il zigzague de manière frustrante d’une question rhétorique à une autre. Les hypothèses sont explorées maladroitement, puis immédiatement sapées. Ce qui pourrait apparaitre comme des titres d’essais accrocheurs (The Conspiracy against Men, The Right to Sex [« La conspiration contre les hommes », « Le droit au sexe »]) sont ensuite récusés dans le corps du texte (« Il n’y a pas de conspiration générale contre les hommes » ; « Il n’y a pas de droit au sexe »).

Si quelque chose unit le livre, c’est son scepticisme concernant la judiciarisation des problèmes sexuels ; mais il est difficile de dire ce qui est proposé à la place. Trop souvent, l’impasse argumentative est éludée par un appel rapide aux sensibilités morales anticipées du lectorat : les hommes blancs sont mauvais, les minorités sexuelles et le porno-queer sont bons, etc. Chaque fois qu’on a l’impression que Srinivasan pourrait être forcée par sa propre logique à endosser quelque chose que Bindel pourrait approuver, il y a un décollage rapide vers un autre pays où la proposition en péril ne fonctionnerait pas (ce qui est saugrenu, car la seule chose que la construction sociale garantit à peu près est la possibilité de solutions locales pour les gens locaux). Dans l’ensemble, le message du livre est assez conservateur, à savoir : en matière de sexe, les choses sont compliquées, et vous vous y prenez probablement mal.

Kathleen Stock

Version originale : https://www.spectator.co.uk/article/as-feminists-fall-out-it-s-not-just-the-patriarchy-that-s-under-fire

Traduction : Tradfem

Une réflexion sur “Kathleen Stock : Quand les féministes s’embrouillent, le patriarcat s’en sort bien.

  1. « Elle balance sur la façon dont les autres féministes (elle utiliserait des guillemets) ont rendu méconnaissable le projet initial de la deuxième vague » : d’accord avec Bindel.

    Il n’y a pas d' »embrouilles » entre féministes. Par contre, il y a des mascu-sexistes qui, déguisés en féministes suivant la technique du cheval de Troie, viennent tenter de pourrir le mouvement de libération des femmes.
    Ils convainquent ou, à défaut, effrayent, une partie des femmes de ces mouvements, appuyés par celles qui ne sont féministes que dans la mesure où cela sert une stratégie carriéristes, ou, autre cas de figure, par celles qui cherchent à meubler leur ennui au sein d’un collectif ouvert, et qui suivent sans discuter les gourous du moment.

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