Deux livres féministes sur le sexe

Des féministes s’affrontent, et le patriarcat n’est pas le seul à essuyer des critiques.

Julie Bindel est cinglante quant à la façon dont d’autres féministes ont déformé le projet original de la deuxième vague du mouvement.

Kathleen Stock, The Spectator, 9 octobre 2021

Feminism for Women: The Real Route to Liberation.

Julie Bindel,  Constable, pp. 256, £16.99

The Right to Sex

Amia Srinivasan

Bloomsbury, pp. 304, £20

Le féminisme britannique populaire est actuellement en plein essor, avec la journaliste Julie Bindel dans le rôle de trublion en chef. Au cours d’une longue histoire d’activisme qui a commencé dans les années 1980, en faisant campagne contre la violence masculine alors que le tueur en série Peter Sutcliffe rôdait dans les rues de Leeds, Bindel a toujours été directe, passionnée et peu intéressée à apaiser les sensibilités de la classe moyenne.

Son nouveau livre n’est pas différent. Feminism for Women est un manifeste énergique pour le type de féminisme qu’elle privilégie – en fait, le seul qu’elle est prête à reconnaître comme digne de ce nom.

Le féminisme de Bindel se concentre sans honte sur les femmes et les filles de l’ancien genre féminin, et sur ce qui tend à arriver aux plus vulnérables d’entre elles – pauvres, ouvrières, noires, jeunes, âgées, lesbiennes ou victimes de la traite – aux mains des hommes. Elle est cinglante quant à la façon dont d’autres féministes (elle utiliserait des guillemets) ont déformé le projet original de la deuxième vague. Par à une combinaison d’interviews, d’anecdotes personnelles et d’arguments vivants, elle soutient que les femmes sont exposées à toute une série d’injustices; tout d’abord, de la part des hommes qui les agressent ; ensuite, de la part d’un système judiciaire qui les rabaisse et les ignore ; enfin, de la part d’une culture pornographique qui transforme leur humiliation en plaisir masculin ; et enfin, de la part des féministes carriéristes et de la « brigade queer aux franges bleues », qui ne peuvent ou ne veulent pas intervenir pour changer tout cela, tant elles sont obsédées par le fait d’éviter toute violence linguistique par le recours à un pronom déplacé.

Son livre file à toute allure, émaillé de blagues et de phrases mémorables (« trans-plaining », « la défense du « nagging and shagging », « I wasn’t born fancying the midwife »). Certains lecteurs – probablement les hommes – pourraient souhaiter un peu plus de complexité dans les explications proposées, où le patriarcat est toujours ciblé. Les lectrices, elles, cèderont plutôt à une juste colère. Bindel démontre de manière convaincante que le monde n’est pas un espace sûr pour les femmes et que le féminisme doit de toute urgence prendre conscience de ce fait. Je trouve moins convaincant son optimisme quant à un avenir exempt de violence masculine, si seulement nous pouvions persuader les hommes d’agir différemment et les femmes de cesser de se montrer complices.

Mais il s’agit d’un livre dont le but est d’inciter les jeunes femmes à agir, alors peut-être l’optimisme est-il stratégique. Bindel est en colère contre la façon dont elles ont été déçues par les politiques progressistes – on leur a dit de faire de la pole dance pour atteindre l’égalité, de jouir d’être étouffées pendant les rapports sexuels et de se taire lorsqu’un transsexuel prend la parole. On leur a également dit que les féministes plus âgées – et Bindel en particulier – sont des martinets sans cœur, qui ne cherchent qu’à promouvoir leurs propres intérêts. Feminism for Women établit de façon conclusive que Bindel est tout sauf cela.

Alors que le féminisme de base reprend du poil de la bête, le féminisme universitaire, lui, se traîne, gaspillant désespérément les dons intellectuels qu’il possède en essayant de répondre à la question du style Jeopardy : si la conclusion inévitable de tout argument est « les transsexuels sont des femmes », quelles en sont les prémisses ? Le dernier né du genre est The Right to Sex, du professeur de philosophie d’Oxford Amia Srinivasan.

L’ouvrage commence par reprocher aux féministes de prendre les femmes de haut, de leur dire « d’en haut ce que leur vie signifie vraiment », mais Srinivasan gâche quelque peu ce moment plébéien en signant sa préface « Oxford 2020 ». Elle affirme également qu’elle ne fait que dire aux femmes ce que beaucoup d’entre elles savent déjà. Apparemment, ce que les femmes sont censées savoir, c’est que les corps masculins et féminins sont produits par la culture et non par la nature : « Le sexe… est une chose culturelle qui se présente comme naturelle ». Ce catéchisme dûment récité, Srinivasan passe à son sujet principal, qui est, en gros, la construction sociale de l’autre genre de sexe – le genre amusant – bien qu’il faille dire qu’elle ne le fait pas paraître très marrant.

Elle explore une série de points de discussion progressistes. Existe-t-il un devoir moral de fournir du sexe ? Que signifie « croire les femmes » en matière d’agression sexuelle ? Que devons-nous ressentir à propos de la pornographie ? Les relations sexuelles entre professeurs et étudiants devraient-elles être interdites ? Les solutions étatiques à la violence masculine sont-elles vraiment des solutions ? Dans le meilleur des cas, le livre réussit à transmettre les incohérences, les intérêts contradictoires et la confusion qui entourent l’éthique de l’intimité sexuelle. Dans le pire des cas, il serpente de manière frustrante d’une question rhétorique à une autre. Les hypothèses sont explorées timidement, puis immédiatement remises en cause. Ce qui pourrait sembler être des titres d’essais définitifs (« The Conspiracy against Men », « The Right to Sex ») sont ensuite disqualifiés dans le corps des essais (« Il n’existe pas de conspiration générale contre les hommes » ; « Il n’existe pas de droit au sexe »).

On leur a également dit que les féministes plus âgées – et Bindel en particulier – sont des martinets sans cœur, qui ne cherchent qu’à faire avancer leurs propres intérêts. Ce livre établit que Bindel est tout sauf cela.

Si un argument unit The Right to Sex, c’est son scepticisme à l’égard des approches judiciaires des problèmes sexuels ; mais il n’est pas facile de dire ce qui est proposé à la place. Trop souvent, l’impasse argumentative est contournée par un appel rapide à la sensibilité morale anticipée du lecteur : les hommes blancs sont mauvais, les minorités sexuelles et le porno queer sont bons, etc. Chaque fois que l’on a l’impression que Srinivasan pourrait être forcée par sa propre logique à proposer quelque chose que Bindel pourrait approuver, on s’envole rapidement vers un autre pays pour lequel la proposition menacée ne fonctionnerait pas (ce qui est étrange, car la seule chose que le constructionnisme social garantit à peu près est la possibilité de solutions locales pour des populations locales).

Dans l’ensemble, le message de son livre est assez conservateur : « avec le sexe, les choses sont compliquées, et vous vous y prenez probablement mal. »

Kathleen Stock

Traduction : TRADFEM

Version originale : https://www.spectator.co.uk/article/as-feminists-fall-out-it-s-not-just-the-patriarchy-that-s-under-fire

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