Objections à l’étiquette « cis »

par Helen Saxby, le 16 juillet 2020, sur son blogue Not The News in Briefs

« This is what I think about ‘Cis’, after a few exasperating Twitter conversations. » (Helen Saxby, sur Twitter)

 

De nombreuses femmes ont exprimé avec éloquence au fil des ans leurs objections à être traitée de « cis ». À en croire ceux et celles qui souhaitent nous imposer ce mot,  ce serait simplement l’équivalent de qualifier d’« hétéro », quelqu’un qui n’est ni gay ni lesbienne. Sans ce mot, dit-on, certaines personnes pourraient être tentées d’utiliser le mot « normal » pour qualifier leur identité sexuelle, positionnant ainsi l’autre comme « anormal ».

Jusqu’à présent, c’est compréhensible, mais il y a une différence fondamentale dans l’usage des mots « hétéro » et « cis ». Le mot « hétéro » a un sens définissable, qui est « hétérosexuel : personne attirée par le sexe opposé ». Même si l’homosexualité n’existait pas, l’hétérosexualité aurait toujours une définition significative — il n’est pas nécessaire de croire en l’homosexualité pour que l’hétérosexualité existe.

Pour sa part, le terme « cis » dépend d’un système de croyances qui lui donne un sens, et c’est ce qui en fait plus qu’un descripteur neutre. « Cis » est l’abréviation du concept de « cisgenre » (« cisgendered »), et sa définition courante (outre celle de « non trans ») est d’ « avoir un genre qui correspond au sexe qui vous a été attribué à la naissance ». À cet égard, deux hypothèses majeures doivent être immédiatement remises en question : le sexe n’est pas « attribué » à la naissance, il est observé ; et le « genre » [comme identité ressentie] est un concept qui est rejeté par bien des gens et qui est de toute façon indéfinissable. Me traiter de « cisgenre » ne signifie pas seulement que je ne suis pas « trans », cela me lie à un système de croyances que je ne partage pas et que je considère comme activement nuisible, en particulier pour les femmes et les filles. C’est une raison parfaitement compréhensible de rejeter le mot « cis » et cela devrait mettre fin à la question… mais il y a plus.

L’étiquetage imposé de personnes dites « cis » est appliqué que cela vous plaise ou non. Pourtant, de nombreuses femmes s’opposent à être rétrogradées à un sous-ensemble de leur classe de sexe, alors qu’auparavant le mot « femme » suffisait à les décrire et avait un sens.

Pour un mouvement dédié au principe de toujours accepter que les gens sont ce qu’ils disent être, je remarque un manque notable d’acceptation de la position « Je ne suis pas cis ». Selon l’idéologie, il faut être soit cis, soit trans, et cette imposition du genre est l’un des aspects les plus régressifs de l’idéologie trans. Je n’ai pas passé ma vie à essayer d’échapper aux restrictions de la boîte du genre féminin pour être ensuite placée de force dans la boîte restrictive du cisgenre.

Si l’on vous force à accepter le mot « cis », vous devez admettre que les femmes peuvent être soit femelles ou mâles. Le mot « cis » est simplement l’autre face du mantra « les transfemmes sont des femmes » : il garantit que la catégorie des femmes accueille les deux sexes. Dans ce système, un « transfemme » est une femme de sexe masculin et une « femme cis » est une femme de sexe féminin, et ils deviennent maintenant des sous-ensembles de la catégorie « femme » valides à égalité. Le concept de cis permet ainsi aux hommes de s’imposer dans la catégorie du sexe féminin, et il signifie que vous ne pouvez plus être seulement une femme, vous devez faire un choix quant au sexe de la femme que vous êtes.

Un argument que j’entends de plus en plus souvent lorsque des femmes s’opposent à la présence d’hommes dans leurs espaces est que ce ne sont pas des « hommes cis » qui seront autorisés à entrer, mais des « transfemmes ». Le concept de cis a ici pour effet de prétendre différencier les hommes qui sont vraiment des hommes (les hommes cis) de ceux qui sont en fait des femmes (les transfemmes), et en même temps il met les « transfemmes » et les femmes dans la même catégorie.

Cependant, hors du système de croyances qui prétend que les femmes peuvent être soit des hommes soit des femmes, il n’est pas toujours possible sur le terrain de faire la différence entre un « homme cis » et un « transfemme », surtout maintenant que la gamme de significations du mot « trans » s’est agrandie de manière exponentielle. En acceptant le mot « cis », vous avez perdu le moyen de différencier les hommes des femmes, puisque les uns et les autres peuvent maintenant être d’un sexe ou de l’autre.

Question : « Quelle est la différence entre un homme cis et un transfemme ? »

Réponse : « Ce qu’il en dit. »

Une fois que le mot « cis » a fait son travail de confusion des sexes dans une nouvelle classification déterminée par le genre, un problème beaucoup plus important devient évident. Les deux sous-ensembles de femmes (cis et trans) ne sont pas si égaux après tout. En fait, le mot « cis » est utilisé pour évoquer un axe d’oppression qui subvertit l’ordre habituel des choses et situe les femmes comme oppresseures des hommes. En effet, si les femmes sont réparties en deux variétés, les cis et les trans, ce sont les cis qui détiennent un privilège. La notion de privilège cis signifie que les personnes cis oppriment les personnes trans ; il s’ensuit donc naturellement que ces hommes sont les plus opprimés de toutes les femmes. Une fois cela établi, il devient clair que les femmes de sexe féminin, avec tout leur privilège, ne peuvent plus être autorisées à s’organiser seules sans leurs « sœurs » masculines. Des groupes comme « Sisters not Cisters » ont vu le jour pour faire en sorte que nous ne puissions plus jamais rien avoir juste pour nous.

Il en résulte que les femmes sont de plus en plus souvent interpellées lorsqu’elles donnent la priorité aux femmes, ou qu’elles laissent de côté les « femmes de sexe masculin » pour des activités qui étaient autrefois parfaitement comprises comme réservées aux femmes. Ce qui aurait autrefois été célébré comme progressiste pour avoir centré les femmes, contribué à promouvoir la justice, remis à niveau les chances ou corrigé une norme privilégiant les hommes est aujourd’hui dénoncé comme un signe de « transphobie ». Karen Ingala-Smith subit périodiquement de violentes attaques sur le réseau Twitter parce que son projet « Counting Dead Women » ose faire exactement cela, et Jean Hatchet subit le même sort pour son « Ride for Murdered Women », une randonnée à vélo destinée à collecter des fonds pour la cause. Les comptes Twitter « Women’s Art » et « Great Women of Mathematics » ont subi des attaques similaires de la part de trans soi-disant alliés qui ne supportent pas de voir le mot « femme » utilisé sans qu’on y inclue des hommes. La Journée internationale des luttes des femmes est devenue une occasion de plus pour insister dans les médias sociaux sur la nécessité d’inclure des hommes dans la catégorie femme.

C’est une situation de double contrainte : on attend apparemment de nous que nous adoptions l’appellation de « femmes cis », mais nous ne sommes pas autorisées à nous organiser en tant que « femmes cis ».

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Les personnes trans, en revanche, sont autorisées à organiser des réunions et des journées de commémoration, des journées de visibilité, et toutes sortes d’événements et de célébrations réservées aux trans, sans menaces d’attentats à la bombe, sans violence et sans protestations. L’inclusion d’autres catégories n’est pas exigée des groupes trans, elle est uniquement exigée des femmes. Quand on nous reproche d’être « exclusives », on refuse de reconnaître que nous perdons quelque chose à quoi nous avons droit, et souvent quelque chose dont nous dépendons. L’expression « réservé aux femmes » a longtemps signifié un lieu de sécurité, de refuge ou de rétablissement depuis que les féministes de la deuxième vague ont lutté pour nos droits en tant que femmes, il y a de cela des décennies.

Le Women’s Institute est la toute dernière organisation de femmes à se déclarer trans-inclusive, ce qui signifie qu’elle abandonne la non-mixité. La ou les organisations de femmes avaient le choix d’inclure ou non les hommes, toutes celles qui décident de ne pas le faire sont désormais traquées jusqu’à ce qu’elles cèdent ou doivent accepter pour toujours l’étiquette de transphobes intolérantes. Nous avons presque atteint le point où chaque fois que nous faisons quelque chose pour les femmes, nous devons y inclure les hommes.

De nombreuses femmes sont satisfaites de cette situation, souhaitant activement inclure les hommes qui s’identifient comme femmes, et c’est leur choix. Mais pour les femmes qui ne veulent ou ne peuvent pas inclure des hommes, ce choix s’amenuise. Ces femmes sont souvent les plus défavorisées et les plus vulnérables : survivantes d’agressions sexuelles ou de violence conjugale, prisonnières, femmes ayant besoin d’un refuge et femmes de certaines confessions religieuses par exemple. Pour d’autres femmes, c’est juste une question de préférence : la présence d’hommes dans la pièce crée une différence ; les hommes dominent, ils parlent plus fort, ils interrompent plus souvent ; il arrive que vous ne souhaitiez pas cela, mais de plus en plus, on vous l’impose.

Les implications de cette situation sont considérables. Lorsque des services sont annoncés comme étant « réservés aux femmes », ou qu’on s’attend à ce qu’ils le soient en raison des conventions sociales, il est possible qu’une femme ayant besoin d’un environnement non mixte, pour quelque raison que ce soit, croise à un moment donné un homme imprévu, peut-être alors qu’elle est en petite tenue ou vulnérable. Très peu de femmes dans cette situation connaîtront les nouvelles règles. Tout le monde n’est pas constamment sur Twitter. Aucune femme ne peut affirmer au nom d’une autre femme qu’il est désormais acceptable que « réservé aux femmes » signifie « ouvert aux deux sexes ». Personne n’a ce droit. Chaque femme donne son consentement pour elle-même et pour elle seule.

Au Royaume-Uni, l’Equity Act fonctionne en protégeant certaines catégories de gens qui ont traditionnellement souffert de discrimination. Bien que le « sexe », en tant que critère protégé, puisse être utilisé pour protéger l’un ou l’autre sexe, en réalité, la discrimination sexuelle a presque toujours lieu à l’égard des femmes. La base fondamentale des droits des femmes est une distinction entre les sexes, qui permet la création d’espaces et de services réservés aux personnes du même sexe lorsque cela constitue « un moyen proportionné d’atteindre un objectif légitime ». C’est le service qui est jugé selon cet objectif, et non la personne qui souhaite l’utiliser, et jusqu’à présent, l’objectif de fournir un espace thérapeutique dans lequel on peut se remettre de la violence masculine a toujours répondu à cet objectif. Les espaces non mixtes sont donc « autorisés » par la loi, même si leur accès peut être qualifié de discriminatoire à l’égard d’un autre groupe.

Il a été suggéré à de nombreuses reprises (comme argument sérieux) que l’objectif de maintenir non mixtes les toilettes et les vestiaires des femmes impliquerait un contrôle des organes génitaux des personnes à l’entrée, comme si nous n’étions pas très compétent-e-s à déterminer le sexe de toute personne que nous rencontrons sans vérifier ses chromosomes ou regarder dans son pantalon. Des images de « transfemmes indétectables » sont présentées comme une sorte d’argument-massue, comme si la féminisation réussie d’un seul homme réfutait tout le dysmorphisme sexuel homme-femme. Mais ce n’est pas le cas ; bien au contraire, ce test démontre à quel point il est difficile d’échapper aux limites du sexe biologique, avec sa combinaison de différences visuelles évidentes et subtiles. Le problème, c’est que vous pouvez dire « transfemme », mais que ce que nous voyons, c’est un « homme ».

Question : « Quelle est la différence, encore, entre un homme cis et un transfemme ? »

Réponse : « Ce qu’il en dit. »

Il n’y a pas de définition des « femme cis » dans la loi. Les « femmes cis » ne constituent pas une catégorie protégée. Le choix d’utiliser la définition « cis » fait de la « femme » une catégorie incluant les deux sexes, à partir de laquelle la loi ne peut plus offrir de protection à un seul sexe. C’est sans doute là tout l’intérêt de cette tactique. La catégorie de sexe protégée devient inutilisable, et avec elle les droits fondamentaux des femmes. La possibilité de droits distincts des femmes disparaît si le mot « femmes » est inclusif des « hommes ». Si l’utilisation du mot « cis » se normalise, les femmes seront toujours assujetties aux hommes.

Toute occurrence du mot « cis » est préjudiciable aux femmes. Il ne présente aucun avantage. Nous avons tout à perdre. Ne cédez pas, n’utilisez pas l’expression « femme cis ».

Helen Saxby

 

Version originale : “Objections to cis”, sur le blogue Not The News in Briefs

Traduction par TRADFEM, avec l’accord de l’autrice.

Tous droits réservés à Madame Helen Saxby.

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