Dossier trans : Les agents bloqueurs de puberté de plus en plus contestés (The Economist)

Les traitements médicaux appliqués aux enfants transgenres doivent faire l’objet de plus grandes précautions.

Le nombre de petites filles qui veulent être des garçons et de petits garçons qui veulent être des filles est en augmentation. On observe également une hausse du nombre d’enfants transgenres qui prennent des traitements pour interrompre leur puberté, appelés inhibiteurs d’hormones ou encore bloqueurs de puberté.

En Grande-Bretagne, les cas d’enfants traités pour dysphorie de genre par le National Health Service demeurent rares, mais au cours de la récente décennie leur nombre a augmenté de 50 % par an chaque année. Aux États-Unis, le nombre de « cliniques du genre » qui reçoivent et traitent des enfants est passé d’une seule en 2007 à une cinquantaine aujourd’hui.

Ce phénomène interpelle le législateur. Plusieurs États américains veulent prohiber l’administration aux enfants d’inhibiteurs hormonaux. En Grande-Bretagne, la Haute Cour de Justice est actuellement en train d’envisager le recours à une instruction judiciaire à l’encontre de l’une de ces cliniques. Cette instance a en effet été saisie de plaintes selon lesquelles des inhibiteurs hormonaux auraient été prescrits sans prendre les précautions d’usage.

L’administration de ces traitements pose l’épineuse question de savoir qui doit décider du devenir du corps d’un enfant, et pourquoi. Laissons de côté les « culture wars », ou querelles idéologiques — si tant est que ce soit possible. Ce débat devrait garder en ligne de mire les intérêts de l’enfant. Et ceux-ci ne sont pas si simples à déterminer qu’il n’y parait.

Les bloqueurs de puberté empêchent les adolescent.es d’acquérir des signes sexuels secondaires comme des seins ou de la barbe. Ces traitements impliquent quasi-systématiquement une myriade d’interventions, notamment l’injection d’hormones puis éventuellement des actes chirurgicaux de réassignation de genre. L’objectif principal des bloqueurs de puberté est d’apporter du confort aux personnes qui souffrent de dysphorie de genre, en leur permettant d’éviter, par exemple, de ressembler davantage à une femme, si cette personne est une jeune fille qui voudrait être un garçon. Ils permettent aussi des opérations chirurgicales moins lourdes à l’âge adulte.

Cependant, la combinaison de bloqueurs de puberté et d’hormones pour développer les signes sexuels secondaires de l’autre sexe a des conséquences irréversibles. Si elle intervient tôt dans le processus de la puberté, elle a notamment pour effet de rendre la personne stérile. Par ailleurs, une douzaine d’études portant sur des enfants souffrant de dysphorie de genre mais n’ayant pas pris de bloqueurs de puberté ont démontré que, si ces enfants sont correctement accompagnés et suivis, ils et elles n’éprouveront plus après la puberté le désir de changer de sexe. La proportion de ces jeunes la plus souvent citée est de 85 %. La plupart s’avèrent devenir homosexuel.les. Autre indice qui va à l’encontre du bien-fondé de ces traitements : de plus en plus de personnes ainsi traitées choisissent la « détransition », c’est-à-dire qu’au bout d’une certaine période, elles et ils s’identifient de nouveau à leur sexe biologique. Ce sont pour en majorité des jeunes filles qui voulaient devenir des garçons à l’adolescence. Si elles avaient été traitées à cet âge, elles seraient devenues stériles, même en gardant un appareil génital intact.

A l’heure actuelle, il est impossible de distinguer à l’avance les 15 % d’enfants dont la transition s’avèrera des 85 % d’autres enfants qui n’en auraient pas eu besoin s’ils et elles avaient été suivi.es. D’aucuns affirment que ces traitements soulagent la détresse d’enfants vulnérables et qu’ils permettent de faire baisser le taux de suicide de cette population à risque.

Comment décider à quels enfants administrer un traitement ? C’est un jugement de Salomon. Le choix est d’autant plus ardu que nous manquons cruellement de données. Les études universitaires existantes sur un risque de suicide accru parmi les enfants transgenres ne sont pas convaincantes, les cliniques ne publient pas suffisamment de données sur les conséquences des traitements et nous manquons d’études comparatives. Il nous manque une meilleure appréhension des effets à long terme des bloqueurs de puberté. Chaque enfant traité devrait faire l’objet d’une étude de suivi.

Il serait injustifié d’interdire en toutes circonstances les inhibiteurs d’hormones. Une telle mesure serait douloureuse pour certains enfants, et par ailleurs, il nous serait alors impossible de mener des études sur le sujet. (NDT: Vraiment pas d’ac.)  Pour autant, cette ruée a tout l’air d’une lubie du moment. Les adolescent.es ont beaucoup tendance à détester leur corps. Une transition apportera du réconfort à certain.es, mais sera une erreur dramatique pour d’autres.

Un deuxième article du dossier de The Economist évoque les contraintes qui peuvent influencer les enfants à se croire transgenres et à réclamer un traitement hormonal de « réassignation sexuelle ». 

La politique du genre — États changeants

(…) Selon l’Association Professionnelle Mondiale pour la santé des personnes transgenres (WPATH), les interventions de réassignation de sexe ne devraient avoir lieu qu’après une « enquête approfondie du contexte social et familial et un examen psychologique ». Cela semble évident. Or la dysphorie de genre ne fait l’objet d’aucun examen médical. Les recherches existantes montrent que la plupart des enfants qui s’identifient comme appartenant à l’autre sexe finissent par retrouver d’eux-mêmes un sentiment d’adéquation à leur sexe. Ce sont par ailleurs des enfants sujets à la dépression et aux troubles anxieux. C’est un écheveau compliqué à démêler pour les patient.es, leurs parents et les professionnel.les de santé qui doivent déterminer quel enfant, parmi cet ensemble de cas, souffre d’une dysphorie de genre qui va s’installer dans le temps.

Laura Edwards-Leeper, professeure de psychologie à la Pacific University dans l’Oregon et cofondatrice de la première clinique pour enfants transgenres des États-Unis, à Boston, admet qu’une « grande majorité » d’enfants soumis à des inhibiteurs d’hormones n’ont pas été examinés de façon suffisamment approfondie. D’après elle, ce manquement est dû à une pénurie de professionnel.les suffisamment formés sur le sujet. Elle pointe également l’envie, chez certain.es médecins, de venir en aide à une population qui a longtemps été dépourvue de soins.

Il y a un risque évident que certain.es patient.es regrettent leur transition. Personne ne connait leur nombre, mais on sait que parmi ces personnes figurent des lesbiennes qui regrettent de ne pas avoir été encouragées à explorer leur non-conformité d’orientation sexuelle — par exemple, la possibilité d’être une lesbienne « butch », ou « masculine ». Elles disent que c’est le manque d’alternatives possibles qui les a poussées vers le transgenrisme et la prise de testostérone. D’autres personnes déclarent que leur dysphorie de genre était le symptôme d’un trouble psychique, alors que c’est un traitement hormonal qui leur a été prescrit. (…)

Certain.es médecins sont inquiets de ce phénomène, mais peu enclins à en parler ouvertement. C’est peu surprenant, étant donné le caractère explosif de ce débat de nos jours. Quand Lisa Littman, professeure de sciences comportementales et sociales à l’Université Brown, a publié un article en 2018 dans lequel elle démontrait que la majorité des enfants transgenres étaient des adolescentes sans le moindre antécédent de dysphorie de genre — un phénomène qu’elle appelle « dysphorie de genre soudaine » — elle a été accusée de « transphobie ».

Dans un contexte aussi polarisé, une interdiction systématique des inhibiteurs d’hormones a de grandes chances d’être contre-productive, poussant leurs partisans dans des retranchements extrêmes. Il vaut mieux adopter une approche en deux volets. D’un côté, la publication de données objectives sur ces traitements et leurs effets aiderait les patient.es et leur famille dans leur prise de décision. Or, la plupart des études existantes proviennent des cliniques elles-mêmes et sont donc biaisées. De l’autre côté, les jeunes patient.es devraient bénéficier d’examens psychologiques rigoureux et approfondis.

Pour cela, il faut reconnaître le danger que représentent des traitements hormonaux aux conséquences irréversibles pour des enfants. Mais aujourd’hui, examiner ce danger en face n’est pas envisageable.

Traduit par Pauline Arrighi pour TRADFEM

 

The Economist vient de publier plusieurs articles sur ce dossier, dont celui-ci :

Dysphorie de genre : nouvelles pressions en vue d’interdire les traitements médicaux destinés aux « enfants transgenres »

Les législateurs des États cherchent à rendre illégaux les bloqueurs de puberté, les hormones de l’autre sexe et la chirurgie de réassignation sexuelle

 

The Economist, édition des États-Unis, 30 janvier 2020

 

La mère de JAMES YOUNGER pensait qu’il devait porter des robes et avoir les cheveux longs parce qu’il se considérait comme une fille. Son père a affirmé que l’enfant de sept ans se contentait parfaitement de pantalons, de cheveux courts et d’être un garçon. Presque tous les détails de la bataille vicieuse du couple pour la garde de l’enfant ont été réglés en fonction de l’identité de genre de l’enfant. Après la victoire de sa mère, les « guerriers culturels » se sont déchaînés.

Ted Cruz, un sénateur du Texas, a déclaré que l’enfant était « un pion dans un programme politique de gauche ». Une foule de politiciens républicains ont partagé des messages de la campagne médiatique sociale #ProtectJamesYounger. En octobre, un juge a accordé aux parents de James la garde conjointe, en leur interdisant de parler publiquement de l’affaire. Depuis lors, ses effets se sont étendus au-delà de la famille affligée. Les législateurs d’un certain nombre d’États affirment que le conflit avec les jeunes les a incités à essayer de faire adopter des lois interdisant les interventions médicales qui rapprochent les enfants transgenres du sexe auquel ils s’identifient.

Le 29 janvier, le Dakota du Sud est devenu le premier État à voter pour un tel projet de loi à sa chambre basse. Il doit être approuvé par le Sénat et le gouverneur pour devenir une loi. Au moins cinq autres États ont élaboré des projets de loi qui rendraient illégales les opérations chirurgicales de changement de sexe chez les enfants et la prescription de bloqueurs de puberté et d’hormones de l’autre sexe.

La principale motivation de ces législateurs est politique. Certains citent l’affaire de la garde des enfants au Texas comme source d’inspiration pour leurs interdictions. Mais aucun enfant de sept ans ne se voit prescrire des bloqueurs de puberté ou ne subit de chirurgie de changement de sexe. En suggérer autant — comme l’ont fait certains commentateurs de droite — est plus un cri de ralliement qu’une confrontation avec la réalité.

Le danger de faire des droits des trans l’enjeu d’une guerre de cultures est d’entraver une véritable discussion sur les dangers de la prescription de bloqueurs de puberté et d’hormones sexuelles pour les enfants qui souffrent de dysphorie de genre, la détresse causée par le sentiment d’une discordance entre le sexe biologique constaté à la naissance et ce qu’on appelle l’identité de genre.

L’on manque de données sur l’ensemble des aspects des interventions médicales pratiquées sur les enfants dits transgenres. Personne ne sait combien d’enfants se sont vu prescrire ces médicaments. On sait peu de choses sur leur évolution depuis. Mais au cours des dix dernières années, le nombre d’enfants traités comme trans a augmenté de façon spectaculaire. Les cliniques qui les soignent se sont multipliées. En 2007, il n’y en existait qu’une. Aujourd’hui, il y en a peut-être 50. Les listes d’attente sont souvent longues et ne cessent de s’allonger.

Des données anecdotiques suggèrent que les normes de soins n’ont pas suivi le rythme. Le plus inquiétant est que les enfants mis sous bloqueurs de puberté — d’abord prescrits entre 9 et 14 ans pour supprimer l’action des hormones sexuelles — et plus tard, la testostérone ou l’œstrogène, ne sont pas d’abord soumis à des évaluations suffisamment complètes.

Selon les directives de l’Association professionnelle mondiale pour la santé des transsexuels (WPATH), ces interventions ne devraient avoir lieu « qu’après une exploration approfondie des enjeux psychologiques, familiaux et sociaux des sujets ». Cela semble élémentaire. Il n’existe pas de test médical pour la dysphorie de genre. Les recherches suggèrent que la plupart des enfants qui s’identifient à l’autre sexe finissent par dépasser ce sentiment. Elles et ils sont également plus susceptibles de souffrir d’anxiété et de dépression. Démêler tout cela et établir si un enfant risque de conserver l’impression de « n’être pas né dans le bon corps » — une supposition, au mieux — représente un défi important pour les enfants, les parents et leurs médecins.

Laura Edwards-Leeper, professeure de psychologie à l’Université du Pacifique dans l’Oregon, qui a contribué à la création de la première clinique américaine pour enfants transgenres à Boston, estime que la « grande majorité » des enfants sous bloqueurs ou sous hormones sexuelles n’ont pas été correctement évalués. Cela tient, dit-elle, à une pénurie de professionnel.les de la santé mentale ayant la formation nécessaire et au désir des médecins de fournir des soins à un groupe qui en a longtemps été privé.

Cela comporte le risque évident que des patient.es regrettent leur « transition ». Personne ne sait combien de personnes tombent dans cette catégorie. Un petit nombre de celles et ceux qui ont été mis sous bloqueurs et sous hormones sexuelles ont depuis « détransitionné ». Leurs critiques les plus virulentes viennent de lesbiennes qui disent que si elles avaient été encouragées à explorer la non-conformité sexuelle — l’idée, par exemple, que les femmes peuvent être « butch » plutôt que transsexuelles — elles n’auraient pas pris de testostérone. D’autres disent que des problèmes de santé mentale étaient à l’origine de leur dysphorie de genre et que des hormones de l’autre sexe leur ont été prescrites comme solution.

Un second problème, lié au premier, concerne la manière dont les bloqueurs de puberté sont vendus aux patient.es et à leurs familles. Mis au point dans les années 1980 pour traiter la puberté précoce, ils ont transformé les soins de santé des transgenres depuis qu’ils ont été utilisés pour la première fois dans ce but à la fin des années 1990. Les médecins soutiennent libérer d’une détresse énorme les adolescent.es qu’angoisse la perspective de développer les « mauvaises » caractéristiques sexuelles. Les bloqueurs peuvent prévenir des interventions plus traumatisantes plus tard : l’ablation de seins ou l’arasage d’une pomme d’Adam. Leurs effets sont largement réversibles. Les médecins qui les prescrivent qualifient couramment les bloqueurs de puberté de mesure « prudente ».

 

Traduction : TRADFEM

 

Version originale : https://www.economist.com/united-states/2020/01/30/a-new-push-to-ban-medical-treatments-for-transgender-children

 

 

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