La prostitution selon Amnesty International

 

photo raquel rosario sanchez dans médaillon 

Par Raquel Rosario Sanchez, dans Tribuna Feminista, le 28 avril 2019

La première ligne d’un communiqué d’Amnesty International, envoyé aux journalistes un peu partout dans le monde à la fin mars 2019, énonce : « En République dominicaine la police viole, frappe, humilie et agresse verbalement et régulièrement » des femmes et d’autres personnes qui participent à ce que l’organisation désigne comme « travail du sexe ». La directrice du secrétariat international d’Amnesty International des Amériques, Erika Guevara-Rosas, déclare : « La violence de genre est une épidémie en Amérique Latine et aux Caraïbes ; les travailleuses du sexe sont particulièrement vulnérables aux violences des fonctionnaires de l’État et autres individus. »

En lisant ce communiqué, on pourrait croire qu’Amnesty International s’inquiète des violences dont sont victimes les femmes de la prostitution. Pas du tout. L’organisation a simplement tenté de faire d’une pierre deux coups : tout d’abord, elle exerce une pression sociale pour que l’avant-projet de loi sur l’Auto-identification sexuelle (label politique de l’avant-projet de la Loi générale pour l’égalité et la non-discrimination) soit accepté ; ensuite, elle défend ses intérêts en tant qu’organisation qui promeut le proxénétisme. Le proxénétisme ? Oui, le proxénétisme.

Rappelons qu’en République dominicaine, contrairement à beaucoup d’autres pays, il n’existe pas de droits des femmes et des filles fondés sur le sexe biologique. Il est donc plus qu’étrange que le peuple dominicain n’ait pas même été consulté pour discuter des implications de ce projet de loi. Mais c’est une habitude d’Amnesty International de contourner la procédure démocratique pour imposer, que cela plaise ou non, des idées et des politiques publiques à l’efficacité douteuse.

En août 2015, cette organisation a scandalisé le monde, et plus particulièrement les milieux féministes, en déclarant que « suite à une longue consultation de nos membres », elle adopterait comme politique institutionnelle la décriminalisation totale de la prostitution, aussi bien pour les clients des prostituées que pour les proxénètes, et elle ferait pression sur les États pour qu’ils élaborent des lois nationales allant dans ce sens. En vérité, seuls 40 % des membres d’Amnesty ont participé à cette consultation, la majorité n’ayant pas été prévenue de cette initiative. Les voix dissidentes qui s’opposèrent à cette décision, comme la Dre Marcia R. Lieberman, coordinatrice d’Amnesty International à Rhode Island (EEUU) depuis 1983, furent sommairement expulsées de l’organisation.

Amnesty s’est bien gardée de dire à ses membres que sa politique en faveur du « travail du sexe » était rédigée par un proxénète britannique du nom de Douglas Fox, qui avait lui-même présenté une première motion en ce sens en 2008. Dans son bordel se pratiquent l’achat et la vente de femmes, mais le concept du « travail du sexe » transforme un proxénète en un simple employeur et un trafiquant en simple escorteur. C’est ainsi que Monsieur Fox, copropriétaire d’une des plus grandes agences d’escortes du nord de l’Angleterre, peut se considérer comme un « travailleur du sexe » et collaborer, en tant que personne marginalisée, avec Amnesty International.

C’est avec ce genre de macabres tours de passe-passe qu’Amnesty International s’est isolée sur ses positions actuelles, alors que de plus en plus de pays dans le monde se rendent compte que si la marchandisation des femmes permet d’augmenter de plusieurs milliards le PIB des pays, jamais elle ne pourra réaliser l’égalité entre les hommes et les femmes.

Comme l’explique Bridget Perrier, leader indigène et survivante de la prostitution au Canada, dans cette industrie, « ce ne sont pas les lois qui tuent les femmes ; ce ne sont pas les rues qui tuent les femmes ; ce sont les hommes. » Et pas seulement les policiers et les fonctionnaires de l’État, boucs émissaires qu’Amnesty accuse de manière malhonnête, mais n’importe quel homme qui a pour raisonnement « Laissez-moi utiliser ces 150 pesos pour contraindre cette femme à me faire une fellation. » Ce sont des hommes qui soutiennent cette organisation par leur politique collective et qui font pression sur les gouvernements du monde entier pour qu’ils la soutiennent également.

En Espagne, les féministes sont parvenues, au sein du parti socialiste, à inclure dans le prochain manifeste du PSOE un compromis pour contrer et sanctionner « la demande et l’achat de prostitution », considérés comme incompatibles avec les droits des femmes. « La prostitution, dont nous nous déclarons abolitionnistes, est un des visages les plus cruels de la féminisation de la pauvreté, c’est une des pires violences que subissent les femmes », déclare leur manifeste.

Le 1er janvier 2020 est censé marquer la fermeture du célèbre quartier rouge d’Amsterdam aux Pays-Bas, où de jeunes immigrantes sont vendues dans des vitrines éclairées au néon. Les clients étrangers sont si fascinés par le sexe que des visites guidées de ces vitrines sont organisées pour acheter ce qui s’y vend. Récemment, la première femme à devenir mairesse d’Amsterdam a annoncé sa décision de fermer ces établissements, déclarant que la présentation de femmes à moitié nues dans ces vitrines était « irrespectueuse. » J’ajouterais que c’est plus qu’irrespectueux, parce que depuis que la prostitution a été légalisée aux Pays-Bas, c’est une femme qui est tuée chaque année derrière ces vitrines, généralement dans la pièce adjacente. Mais cela n’est jamais mentionné dans les brochures touristiques…

Bien plus qu’une simple fermeture de vitrines, les Pays-Bas envisagent une loi remettant en cause le soutien dont a bénéficié l’industrie de la prostitution à ce jour. Il en est de même dans plusieurs villes d’Angleterre. Au niveau national, le gouvernement britannique a chargé le Centre de recherche sur le genre et la violence de l’Université de Bristol d’étudier cette question. Le 31 décembre 2018, Israël est devenu l’un des derniers pays à criminaliser les clients et les proxénètes. La France est à la pointe de la lutte abolitionniste, en ayant adopté en avril 2016 la loi la plus avancée au monde contre l’achat et la vente de femmes : elle punit à la fois les clients de la prostitution et les proxénètes, tout en utilisant les amendes récoltées pour offrir des opportunités d’emploi aux femmes et aux autres personnes prostituées.

Le rapport d’Amnesty International sur la prostitution en République dominicaine, partagé fin mars par les médias du monde entier, affirme quant à lui que la prostitution est un moyen d’accès à l’indépendance économique et à un travail flexible. Question : pour qui ? Dans les pays qui adoptent les politiques préconisées par cette organisation, qui se qualifie d’organisation humanitaire, on constate que les meurtres de femmes et de prostituées sont plus répandus qu’ailleurs. En d’autres termes, si le personnel d’Amnesty se présente comme des défenseurs des droits de l’homme, il est clair que leur message se résume à « Allez, n’en parlons plus. » Pour qui se prend Amnesty pour traiter la République dominicaine comme une déchetterie internationale de politiques publiques ratées ? Que recherchent les secteurs de la société civile dominicaine et le pouvoir exécutif lorsqu’ils célèbrent une telle impudence ? De quels hommes promeuvent-ils les droits, dans une conspiration qui nous prend pour des idiotes ?

Raquel Rosario Sanchez

Raquel Rosario Sanchez est une autrice dominicaine. Sa priorité absolue dans son travail et en tant que féministe est de mettre fin à la violence faite aux filles et aux femmes. Ses écrits ont été publiés dans plusieurs imprimés et sur plusieurs sites web en anglais et en espagnol, notamment : Feminist Current, El Grillo, La Replica, Tribuna Feminista, El Caribe et La Marea. Vous pouvez également la lire en français sur TRADFEM et la suivre sur Twitter (@8rosariosanchez), où elle divague sur le féminisme, la politique et la poésie.

Version originale : La prostitución, según Amnistía Internacional, https://tribunafeminista.elplural.com/2019/04/la-prostitucion-segun-amnistia-internacional/

Tous droits réservés à Raquel Rosario Sanchez.

Traduction : Ana Minski, pour TRADFEM

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