«La prostitution, socle des inégalités» par Géraldine Viredaz

L’UNIL (Université de Lausanne) a accueilli en juin dernier un colloque consacré au féminisme abolitionniste. La prostitution y a été définie comme noyau dur des inégalités de genre.

« Le modèle abolitionniste ne doit pas être confondu avec le modèle prohibitionniste, qui criminalise les femmes prostituées», précise Véronique Mottier, professeure à l’UNIL.

« Un rapport sexuel sans désir de la part de la femme ». C’est ainsi que Patrizia Romito, professeure à l’université de Trieste, définit la prostitution. Pour la première fois en Suisse romande, des universitaires, journalistes et militantes venues de différents pays se sont réunies vendredi pour présenter les analyses féministes abolitionnistes dans le cadre d’une conférence à l’université de Lausanne (UNIL).

Les conférencières se sont accordées à dire que la violence et l’inégalité entre hommes et femmes constituaient les dimensions centrales de la prostitution. Elles ont ainsi souligné les risques de mortalité de 12 à 30% plus élevés pour une femme prostituée et ont insisté sur l’intervention d’un mécanisme de défense psychologique toxique, la « dissociation ». Femme transgenre se définissant comme survivante de la prostitution, Anne Darbes l’expose sans fioritures : « Les passes font mal, alors, il faut faire en sorte de ne rien sentir. » Et Patrizia Romito de renchérir : « Afin de se protéger de la souffrance, la femme prostituée se « sépare » mentalement de son corps et de son ressenti, devenant spectatrice de l’acte. Cela cause une souffrance psychologique extrême.» Journaliste militante au sein de l’association française « Mouvement du Nid », Claudine Legardinier a dépeint quant à elle la prostitution comme « le noyau dur d’un rapport inégalitaire ». Pour la militante, les hommes qui ont recours au sexe tarifé sont à la recherche de femmes à leur entière disposition, dont la volonté et les désirs sont sans importance. Même perspective du côté de la journaliste militante suédoise Kajsa Ekis Ekman : « La prostitution est un univers où les hommes achètent l’absence de désir, cela ne peut s’accorder avec des perspectives égalitaires ». La prostitution s’inscrit dans une continuité de la violence. « Des études ont montré que les hommes qui ont recours aux prostituées sont souvent les mêmes qui ont des comportements violents et abusifs envers les femmes» a expliqué Patrizia Romito.

Débat clivant

De l’autre côté du spectre féministe, on trouve le modèle « prosexe » ou « anti-abolitionniste », pour lequel le sexe tarifé s’inscrit dans le droit des femmes à disposer de leur corps. L’enjeu est alors de créer des conditions de travail sûres pour celles qui sont considérées comme travailleuses du sexe, et de mettre fin aux stigmatisations. Le débat clive. Afin de clarifier leurs positions, les intervenantes sont revenues sur les bases de l’abolitionnisme : celui-ci considère qu’un Etat ne doit pas soutenir la prostitution via sa règlementation en tant que travail, et doit pénaliser le client prostitueur. « Le modèle abolitionniste ne doit pas être confondu avec le modèle prohibitionniste, qui lui criminalise les femmes prostituées », précise Véronique Mottier, professeure à l’UNIL. En termes de résultat, ce modèle a fait ses preuves selon Kajsa Ekis Ekman : « En Suède depuis la mise en application du modèle abolitionniste, un homme sur treize a recours au sexe tarifé alors qu’il y en avait un sur huit auparavant. En Allemagne, il y a en a un sur quatre ». La militante a insisté sur le changement des mentalités : « Si vous demandez à un homme suédois ce qu’il pense de la prostitution, il vous dira que c’est honteux pour les hommes. »

Contexte du libre choix

L’absence de réglementation n’expose-t-il pas davantage les femmes prostituées au danger ? Julie Bindel répond froidement à cet argument souvent opposé aux abolitionnistes : « Là où la prostitution a été réglementée, on trouve d’innombrables cadavres. » Quant au «libre choix à disposer de son corps», Patrizia Romito oppose la nécessité d’une mise en contexte: « Dans quel cadre ce libre choix opèret-il ? La majorité des prostituées vivent en situation de grande précarité. » La récurrence de parcours individuels faits de violences et d’abus est souligné par la chercheuse, qui conclut que même si l’exercice de la prostitution découle d’un libre choix, ce dernier n’annule pas la violence. L’organisatrice et docteure en sciences sociales Glòria Casas Vila a ponctué la journée par une invitation au dialogue entre féministes réglementaristes et abolitionnistes.

Version originale : LeCourrier_JE-prost

English version : https://tradfem.wordpress.com/2019/07/14/prostitution-a-basis-for-inequality-by-geraldine-viredaz/

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