L’annulation de la subvention accordée à Vancouver Rape Relief démontre que le transactivisme constitue une attaque contre les femmes

par Meghan Murphy, sur Feminist Current

 

En mettant la pression à des conseillers municipaux de Vancouver, des militants transgenristes les ont amenés à cesser de financer le plus ancien centre d’aide aux victimes de viol du Canada, en raison de sa politique d’accueillir exclusivement des femmes.

Le 20 mars 2019 par Meghan Murphy

Jeudi dernier le 14 mars, les conseillers municipaux de Vancouver ont voté en faveur de supprimer le financement du plus ancien centre d’aide aux victimes de viol et maison de transition au Canada. Le Vancouver Rape Relief & Women’s Shelter (VRRWS) recevait des fonds municipaux depuis plus de 10 ans. Bien que VRRWS recevra ces fonds cette année, le Conseil a décidé que la subvention ne sera pas renouvelée l’an prochain, à moins d’un changement de la position de l’organisme de maintenir un espace réservé aux femmes. Cette subvention, d’une valeur approximative de 30 000 $, sert à l’éducation et à la sensibilisation du public.

Oger VRR tweet

Les efforts de suppression de ces fonds ont été pilotés par des transactivistes de la région, notamment Morgane Oger, vice-président du NPD de la Colombie-Britannique, qui a fait l’objet de nombreuses plaintes de la part de citoyennes, étant accusé de diffamation et de harcèlement de féministes par Internet.

Lors d’une réunion du conseil municipal mercredi, Hilla Kerner, membre du collectif VRRWS, a fait remarquer que personne n’avait informé l’organisation que cette subvention serait discutée et éventuellement interrompue à la suite de cette discussion, ce qui signifie que, si les militantes de VRRWS n’avaient pas été informées en privé, elles n’auraient eu ni soutien lors de cette réunion ni aucune possibilité pour se défendre. « Personne n’a pris la peine de nous inviter à expliquer notre position, nos pratiques, notre politique et nos services », a déclaré Madame Kerner.

« Nous avons appris l’existence de cette audience et l’intention de saper notre financement à minuit[la veille de la réunion], par une alliée qui consultait les médias sociaux. Les mots « équité » et « processus » ont souvent été prononcés aujourd’hui, mais ils ne semblent pas s’appliquer à nous, votre plus ancien centre d’aide aux victimes de viol. Nous servons 1200 femmes par an. Nous accueillons 100 femmes et leurs enfants. Nous avons une réputation internationale. Nous venons tout juste de témoigner à l’Enquête nationale sur les femmes autochtones disparues et assassinées… Il y a trois mois, nous avons plaidé devant la Cour suprême du Canada dans l’affaire Cindy Gladue. Pourtant personne d’entre vous n’a pris la peine de nous dire : « Venez défendre votre point de vue ». »

Il semble bien qu’Oger ait eu l’intention d’organiser un coup de force, en mobilisant des transactivistes pour venir à l’assemblée du Conseil et prendre position contre VRRWS, afin de monopoliser le « débat ». Et l’administration municipale était prête à laisser cela se produire, sans protester.

Au cours de l’audition, Oger a soutenu (à 11:46:00) que VRRWS devrait être disqualifiée de la réception de fonds publics, en l’accusant d’avoir « des antécédents de discrimination contre les transfemmes en raison de leur identité de genre ou de leur expression de genre ». Cette affirmation est, bien sûr, tout à fait fausse. VRRWS a plutôt pour politique d’offrir des services aux personnes nées de sexe féminin et a également obtenu en Cour dès 2007 le droit de choisir son personnel, ce qui signifie qu’elle est en droit de maintenir une politique réservant à des femmes les positions de membres du collectif et de travailleuses du refuge.

Même si Oger a prétendu que VRRWS enfreignait la loi canadienne en maintenant ces politiques, Kerner a rappelé, dans ses remarques au Conseil municipal, que ce n’était pas vrai.

« Non seulement ne sommes-nous en contravention ni de la loi fédérale ni de la loi provinciale, mais [en 2003] la Cour suprême de la Colombie-Britannique a statué que nous ne violons pas le Human Rights Code de cette province. Ce Code comprend une exception semblable à celle de la Loi fédérale sur les droits de la personne. Parce que nous sommes un groupe opprimé qui lutte pour l’égalité, nous avons le droit de décider qui sont nos membres et qui nous servons. Nous ne sommes en contravention d’aucune loi, et il est diffamatoire d’affirmer le contraire. »

Il est également faux de prétendre que l’organisation ferait preuve de discrimination à l’égard de quelque femme que ce soit. Kerner a souligné que plusieurs des femmes accueillies par VRRWS sont pauvres, autochtones et prostituées. L’argument d’Oger en accusant le groupe de « discrimination », est que, comme VRRWS n’offre pas de services directs aux hommes et n’accepte pas d’hommes dans son programme de formation de conseillères, l’organisme devrait perdre tout financement.

Oger a déploré que VRRWS offre spécifiquement des services aux femmes fuyant la violence masculine, en ajoutant : « Il s’agit du dernier centre de secours aux victimes de viol en Colombie-Britannique (à ma connaissance) qui adhère à cette philosophie. » En d’autres termes, il existe un seul centre d’aide aux femmes violées et maison de transition dans cette province (en fait, au Canada), qui offre des services et une adhésion réservées aux femmes, mais c’est déjà trop aux yeux d’Oger. Tous les autres refuges doivent maintenant accepter les hommes qui disent s’identifier comme femmes, sans aucune stipulation quant à cette identité déclarée, mais Oger préférerait détruire la seule organisation à croire que les femmes méritent un espace sûr pour échapper à la violence masculine et s’en rétablir, à distance d’hommes, la seule dont le fonctionnement répond à des principes explicitement féministes. On se demande bien pourquoi des transactivistes comme Oger n’investissent pas leur énergie dans la création de services destinés spécifiquement aux personnes transgenres – une initiative dont VRRWS a explicitement dit qu’elle l’appuierait.

Dans une déclaration de VRRWS, l’organisation réitère (comme elle l’a dit clairement à maintes reprises) :

« Nous ne doutons pas que les personnes dont le comportement n’est pas conforme à la définition patriarcale socialement imposée du masculin et du féminin, y compris les personnes transgenres, souffrent de discrimination et de violence. Les personnes transgenres méritent de vivre en sécurité et de jouir de l’égalité des droits et des chances qui nous est promise à tous. Quand il s’agit de nos services, nous nous engageons collectivement à veiller à la sécurité de quiconque appelle notre ligne de crise, y compris les personnes transgenres. »

Mercredi soir, Madame Kerner a souligné que la subvention particulière de la Ville de Vancouver est destinée à l’éducation populaire, que VRRWS offre gratuitement à toutes et à tous, sans distinction de sexe, de classe, de race, de capacité ou d’identité de genre. L’organisme offre d’ailleurs des services de garde d’enfants afin de permettre aux parents de jeunes enfants d’assister à leurs événements.

Madame Kerner a également souligné que bon nombre de ceux qui reçoivent des subventions de la Ville travaillent pour et avec des groupes spécifiques de personnes. « Et à juste titre, a-t-elle ajouté. Des migrants, des réfugiés, des familles juives, des Chinois, de jeunes Autochtones… » Il en est ainsi, précise-t-elle, parce que lorsque les gens sont opprimés, ils ont besoin de services particuliers.

Oger a suggéré au maire Kennedy Stewart (qui a publiquement réprimandé, en les qualifiant de « méprisables », des femmes qui s’inquiètent de l’idéologie et de législation sur l’identité de genre parce qu’elles craignent une destruction de leurs espaces, leurs services et leurs droits fondés sur le sexe) qu’une « solution » serait d’inclure dans les contrats des « conditions exigeant de Rape Relief l’inclusion de personnes transgenres et non binaires dans les prises de décision concernant tout programme auquel elles tentent de participer ou dans la prestation générale du programme si elles veulent bénéficier d’un financement payé par des contribuables ».

Pour parler clairement, Oger ne parle pas vraiment de l’inclusion de certaines personnes, mais de l’inclusion de gens ayant certaines croyances. VRRWS inclut déjà des personnes « non binaires » dans leurs processus de prise de décision, puisque tout le monde est « non binaire » (en ce sens que personne ne correspond parfaitement aux rôles et stéréotypes de genre qui nous sont dictés sous le régime patriarcal), mais les féministes et les lesbiennes en particulier ne correspondent pas à la « structure binaire de genre ». En d’autres termes, Oger veut forcer les femmes à abandonner une politique, des services et un mode d’organisation centrés sur les femmes pour leur imposer avec force l’idéologie transactiviste et pour refuser aux femmes leur droit à l’autonomie, à une pensée indépendante et à une organisation féministe.

L’idée que des activistes et/ou des politiciens devraient avoir le droit d’imposer leurs propres croyances religieuses ou idéologiques à la population et aux fournisseurs de services devrait tous nous effrayer. Il n’y a aucun doute que le prochain développement sera l’application de sanctions pénales à quiconque conteste les croyances personnelles d’Oger ou refuse de s’y plier.

Après avoir exprimé sa frustration que VRRWS n’ait pas cédé à l’intimidation des transactivistes, et en présentant les organismes Women Against Violence Against Women et Battered Women’s Support Services en exemples d’autres organisations ayant cédé à ces pressions, Oger a dit à Stewart trouver acceptable « un changement graduel sur trois à cinq ans, mais pas 10 », en ajoutant avec un sourire narquois qu’il faudrait qu’il y ait « des conséquences pour tout non-respect ». Plus précisément, Oger a déclaré que VRRWS « devrait payer » pour avoir refusé d’offrir des services aux hommes et n’avoir pas permis à des hommes de travailler dans le refuge comme conseillers. « Il devrait y avoir une clause dans chaque subvention [de la Ville] stipulant qu’une dérogation aux conditions de la subvention entraînerait non seulement la perte de la subvention, mais aussi l’exclusion de l’organisme des programmes municipaux », a ajouté M. Oger. Chose étrange à entendre de la part de quelqu’un qui prétend plaider en faveur de « l’inclusion » et contre la « discrimination ».

Comme Kerner l’avait prédit, son témoignage a été suivi d’interventions d’un certain nombre de transactivistes (malheureusement, plusieurs jeunes femmes, qui ont choisi de saper leurs propres intérêts en faveur des hommes transidentifiés). Elles ont fait de fausses déclarations sur les politiques et pratiques de VRRWS, notamment en affirmant que l’organisme ne servait pas les femmes prostituées, assertions qu’on n’a pas laissé à VRRWS la possibilité de corriger ou réfuter.

L’organisation survivra certainement à cette attaque explicite contre les femmes et contre le travail d’organisation féministe, mais il importe de faire savoir très clairement à la Ville de Vancouver que ce qu’elle a fait est inéquitable et va même à l’encontre d’un jugement de la Cour suprême. VRRWS a confirmé publiquement qu’elle ne modifierait pas ses politiques ou ses pratiques, malgré ce qu’elle qualifie d’« intimidation ».

Ceux et celles qui ont célébré et appuyé cette décision devraient avoir honte, et il sera démontré qu’ils ont atterri du mauvais côté de l’histoire. Il est indubitablement honteux de s’en prendre à l’un des rares services et à l’un des rares espaces destinés aux femmes battues. Ces efforts et cette décision constituent une tentative explicite d’effacer les femmes en tant que catégorie distincte de personnes – un geste qui nie nos droits basés sur le sexe.

Screen shot amendement VRR

Copie d’écran, faite le 13 mars, de l’amendement proposé par le Conseil municipal de Vancouver, où l’on a rayé le mot « femmes » pour le remplacer par « personnes ». Le 13 mars 2019

Dans une nouvelle déclaration, VRRWS explique :

« Le fait d’être des filles et des femmes dans ce monde a souvent un impact sur notre apparence et notre comportement en privé et en public, sur ce que nous sommes autorisées à faire, encouragées à faire et récompensées d’avoir fait, et aussi sur ce que nous sommes découragées de faire, prohibées de faire ou punies d’avoir fait.

Et c’est dans ce contexte que, dans un espace dédié aux femmes, avec d’autres femmes, qui possèdent l’expérience commune d’être nées sans l’avoir choisi dans la classe opprimée des femmes, nous nous assemblons pour organiser et planifier notre résistance et notre lutte pour la libération des femmes. »

Depuis cette décision, Vancouver Rape Relief & Women’s Shelter a reçu un soutien sans équivoque venu du monde entier.

Vous pouvez vous aussi faire un don ici pour soutenir cette organisation.

Traduction : TRADFEM

Version originale : https://www.feministcurrent.com/2019/03/20/discontinuation-of-grant-to-vancouver-rape-relief-shows-trans-activism-is-an-attack-on-women/

Meghan Murphy est écrivaine et journaliste autonome, secrétaire de rédaction du soir pour le site rabble.ca, et fondatrice et directrice du site Feminist Current. Elle a obtenu une maîtrise au département d’Études sur les femmes, le genre et la sexualité de l’Université Simon Fraser en 2012.
Meghan a commencé sa carrière radiophonique en 2007, dans une caravane installée au milieu d’un champ de moutons. Son émission s’appelait « The F Word » et était diffusée à partir d’une toute petite île au large des côtes de la Colombie-Britannique. Elle a pleinement profité de la liberté que lui laissait cette radio pirate  : buvant de la bière à l’antenne, lisant des passages d’Andrea Dworkin, et passant du Biggie Smalls. Elle est revenue à Vancouver, où elle a rejoint l’émission de radio elle aussi nommée, coïncidence, « The F Word », qu’elle a produite et animée jusqu’en 2012. Le podcast de Feminist Current est le projet « radio » actuel de Meghan, une façon de communiquer une analyse critique féministe progressiste à quiconque s’y intéresse. Feminist Current est une émission syndiquée à Pacifica Radio et hébergée par le réseau de podcasts Rabble.
Meghan blogue sur le féminisme depuis 2010. Elle n’hésite pas à penser à contre-courant et a été la première à publier une critique des défilés Slutwalk, en 2011. C’est l’une des rares blogueuses populaires à développer en public une critique à la fois féministe radicale et socialiste de l’industrie du sexe. Les critiques adressées par Meghan au #twitterfeminism, à la mode du burlesque, à l’auto-objectivation des selfies, et au féminisme du libre choix lui ont valu une foule d’éloges et d’attaques, mais surtout une reconnaissance comme écrivaine qui n’a pas peur de dire quelque chose de différent, en dépit de ce que le féminisme populaire et les grands médias décrètent comme ligne du parti.
Vous pouvez trouver ses écrits en version originale dans les médias TruthdigThe Globe and MailGeorgia StraightAl JazeeraMs. MagazineAlterNetHerizonsThe TyeeMegaphone MagazineGoodNational PostVerily MagazineRavishlyrabble.caxoJaneViceThe Vancouver Observer et New Statesman. Meghan a également participé à l’anthologie Freedom Fallacy : The Limits of Liberal Feminism.
Elle a été interviewée par Radio-Canada, Sun News, The Big Picture avec Thom Hartmann, BBC Radio 5, et Al Jazeera, ainsi que dans de nombreux autres médias.
Isabelle Alonso a publié une interview d’elle sur son blog.
Vous pouvez la suivre sur Twitter @MeghanEMurphy.

 

 

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