Améliorons les débats sur le genre, le sexe et les droits des transgenres.


Des philosophes féministes radicales et critiques du concept de genre invitent leurs opposant·e·s à éviter certains arguments qui sont clairement déficients.

 

par Sophie Allen, Jane Clare Jones, Holly Lawford-Smith, Mary Leng, Rebecca Reilly-Cooper et Kathleen Stock

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Note de l’équipe de traduction : Les mots femme, femelle, féminité, statut de femme, homme, mâle, sexe, masculinité, statut d’homme, genre, trans et identité de genre font l’objet, comme leurs équivalents anglais, d’âpres luttes pour en modifier et imposer divers sens, parfois ouvertement opposés. En consultation avec la professeure Kathleen Stock, nous avons adopté les équivalences ci-dessous suivantes, à titre indicatif. C’est l’article original anglais, référencé à la fin de notre traduction, qui fait foi des choix exacts des autrices quant à la nomination proposée. (TRADFEM)

  • Woman = femme
  • Female = femelle
  • Womanhood = l’être-femme, la féminité
  • Femaleness = l’être-femelle, le féminin
  • Man = homme
  • Male = mâle
  • Masculinity = virilité, statut d’homme
  • Maleness = masculinité, le masculin
  • Trans = transgenre, trans
  • Trans woman = un transfemme
  • Trans man = une transhomme
  • Misgendering = mésexer ou (mégenrer)
  • Sexe = sexe
  • Gender = genre (notions très différentes)
  • Gender identity = identité de genre (ou identité sexuelle)

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Nous sommes un collectif de philosophes universitaires féministes radicales, critiques du concept de genre. Certaines d’entre nous affirment, dans leurs travaux, que les femmes sont, par définition, les êtres humains adultes femelles. Selon ce point de vue, un “transfemme” ne peut être classé comme femme, puisqu’elle n’est pas un être humain adulte femelle. Le reste d’entre nous sont présentement agnostiques sur cette question, hésitant entre 1) adopter exclusivement cette première position et 2) adopter également une position qui affirmerait l’existence d’un autre sens, significatif, à donner au concept de « femme », soit son application aux personnes occupant un certain rôle social féminin, sur la base d’une appartenance perçue à la catégorie de sexe féminin.

Contrairement à la première acception, cette seconde définition implique qu’une partie des transfemmes comptent comme femmes, en au moins un sens. Néanmoins, cette inclusion est limitée, puisqu’un grand nombre de transfemmes n’occupent pas un rôle social féminin sur la base d’une appartenance perçue à la catégorie du sexe féminin.

Dans les deux cas, nous sommes toutes sceptiques quant à la valeur politique de comptes rendus de l’être-femme (womanhood) qui l’identifient essentiellement à la possession d’une « identité de genre » féminine. Nous insistons toutes également sur le fait qu’il est politiquement essentiel de maintenir une différentiation conceptuelle claire entre les hommes et les femmes, afin de pouvoir continuer à identifier et à qualifier des modèles de comportements oppressifs basés sur le sexe et des stéréotypes socioculturels nocifs au sujet des « façons correctes » d’être, respectivement, des hommes et des femmes.

Notre objectif ici n’est pas de résumer nos arguments en faveur de ces conclusions : nous le faisons ailleurs dans nos travaux (dont vous trouverez les liens sous nos noms, en tête de cet article). Nous souhaitons plutôt mettre en lumière divers sophismes et faux procès que nous avons souvent remarqués dans des réflexions sur nos travaux.

En effet, bien que plusieurs philosophes aient remis en question la critique du genre et le féminisme radical, notamment dans des médias à portée nationale, nous n’avons à ce jour pas trouvé dans leurs commentaires d’argument convaincant à l’encontre de notre position.

Plutôt que de répondre individuellement à ces critiques, nous souhaitons de recenser certains des malentendus et sophismes les plus répandus qui nous semblent problématiques dans ces réactions.

Notre souhait, avant toute chose, est que cet exercice soit utile à définir un terrain plus propice à une discussion fertile, permettant à terme des échanges plus productifs.

En particulier, nous serions ravies d’examiner tout retour sur cet article qui nous permettrait d’identifier (a) quelque erreur d’appréciation de notre part concernant les arguments de nos opposants qui nous semblent fallacieux, (b) toute erreur de notre part dans l’attribution à nos opposants de tels sophismes et faux procès, ou encore (c) l’existence de critiques plus vigoureuses à l’encontre de nos positions.

Dans une première partie nous examinerons les arguments fallacieux souvent opposés à notre travail. Puis, nous examinerons certaines des comparaisons utilisées à l’encontre de notre position à ce jour, en des analogies que nous jugeons bancales. Pour finir, nous soulevons quelques questions auxquelles nous souhaiterions que nos opposants répondent dans de futurs travaux.

Première partie : des arguments fallacieux

1. « Votre position a été historiquement associée à la pensée de l’extrême droite ; elle est donc déficiente. »

Associer notre approche intellectuelle à une position d’extrême droite, parce que certains penseurs d’extrême-droite conviendraient de certaines de nos conclusions et insinuer que cela discrédite notre position, est un sophisme par association et un argument ad hominem. Ces procédés sont largement reconnus comme irrecevables en philosophie. Les philosophes n’évaluent pas la validité de conclusions isolément, sans égard à leurs prémisses, mais bien à la lumière des prémisses censées mener à ces conclusions. Différents argumentaires peuvent mener à une même conclusion – certains sont irrecevables, d’autres font sens. Un argument (ou ensemble d’arguments) irrecevable en faveur d’une certaine conclusion n’invalide pas tous et chacun des arguments conduisant à cette conclusion.

De même, le fait d’aboutir à une conclusion qu’une personne d’extrême-droite partage ne peut en aucun cas constituer un argument valide pour démontrer à lui seul que cette conclusion était fausse. Il est probable que l’on puisse trouver en tout être humain plusieurs centaines de convictions (avérées) que cette personne partage avec n’importe quelle personne d’extrême-droite. En bref : cette approche, et toute autre argument semblable, relève d’un sophisme de culpabilisation par association et n’a pas sa place dans une discussion responsable.

2. « Vous faites de l’essentialisme biologique. »

L’« essentialisme biologique » sert habituellement en philosophie féministe à désigner la position selon laquelle certaines capacités cognitives (p. ex., l’intelligence émotionnelle ou l’absence de capacité d’abstraction spatiale), instincts (p. ex. les instincts maternels ou la recherche de monogamie), préférences sociales (p. ex. pour la vie domestique ou familiale) et prédispositions à certains comportements (p. ex. la générosité ou la passivité) sont causalement produites dans toute une population de femmes en vertu de leur catégorie biologique de sexe.

Nous rejetons toutes cette position telle que définie ci-dessus – même si l’une au moins d’entre nous n’exclut pas la possibilité que certains micro-comportements sexués au sein d’une population donnée aient un ancrage biologique. Mais quoi qu’il en soit, cette hypothèse n’a rien à voir avec l’opinion que la catégorie « femme » est correctement définie par les mots « être humain adulte femelle ». L’essentialisme biologique est une position à l’effet que certaines caractéristiques des femmes sont biologiquement produits par leur appartenance à leur catégorie sexuelle. La féminité elle-même n’est pas un « trait » génétique, et personne, quelle que soit sa position dans le présent débat, ne soutient qu’elle puisse découler d’un processus biologique, à l’instar de la façon dont l’intelligence émotionnelle ou l’instinct maternel seraient censés l’être. Qualifier l’opinion de certaines d’entre nous comme étant de l’“essentialisme biologique” relève donc d’un procès d’intention. De plus, il semble que l’objectif rhétorique de ce faux procès soit de discréditer notre définition de la femme comme être humain adulte femelle, en la soumettant par association aux critiques légitimes des milieux progressistes à l’endroit du véritable essentialisme biologique.

3. « Vous voulez réduire les femmes à leurs organes génitaux, ou au fait d’avoir un utérus. »

Aucune d’entre nous ne soutient qu’une femme ou un être humain femelle, est définie comme telle par sa possession actuelle d’une certaine configuration génitale, d’un utérus, ou de quelque autre caractéristique sexuelle première, en fait. Nous reconnaissons, évidemment, que l’ablation chirurgicale, ou la modification de nombreux caractères sexuels morphologiques premiers, ne change rien à l’être-femme ou à l’être-femelle. Nous reconnaissons également que l’être-femme ou l’être-femelle sont compatibles avec les troubles du développement sexuel (parfois appelés « intersexuation ») résultant, dès la naissance, de l’absence (ou de la présentation inhabituelle) de certains caractères sexuels primaires.

Plusieurs d’entre nous souscrivons à un compte rendu composite de l’être-femelle selon lequel la présence d’un nombre vague d’un certain ensemble de caractères sexuels premiers endogènes (incluant vagin, ovaires, utérus, trompes de Fallope et chromosomes XX) est suffisante pour caractériser l’être-femelle, même si aucune de ces caractéristiques prise individuellement ne s’avère nécessaire ou essentielle. À nos yeux, même la présence de chromosomes XX n’est pas essentielle à cet égard. Selon nous, les individus atteints du Syndrome d’insensibilité complète aux androgènes (SICA) ou syndrome de Swyer sont bel et bien de nature femelle, au moins pour la plupart des sens non techniques de ce terme. Que cela soit exact ou non est sans importance, en fin de compte, le point important ici étant qu’un compte rendu composite est cohérent avec un réalisme au sujet des catégories biologiques sexuelles et avec l’affirmation que les personnes n’ayant aucun des caractères sexuels premiers susmentionnés ne peuvent être correctement classées comme êtres humains adultes femelles. En d’autres termes, sans nous engager dans un compte rendu essentialiste de l’être-femme, notre opinion exclut l’ensemble (ou la presque totalité) des transfemmes d’une considération comme êtres humains adultes femelles.

À la lumière de ce qui précède, la bonne question n’est pas « réduisons-nous les femmes à leurs organes génitaux, à leur utérus ? », mais bien « réduisons-nous les femmes à un ensemble de caractères sexuels premiers ? ». Reformulée de cette manière, l’objection constitue un jeu rhétorique sur l’ambiguïté du verbe “réduire”.

En philosophie, “réduire des X à des Y” peut signifier qu’il n’y a pas de perte de sens à remplacer toute phrase sur les X par une phrase sur les Y. En ce sens, certaines d’entre nous « réduirions » bel et bien les propos sur les femmes aux propos sur l’être-femelle, et de manière égale, réduirions les propos sur l’être-femelle aux propos sur les personnes dotées d’un ensemble de caractères sexuels donnés. Cependant, dans un autre sens, « réduire » les femmes à une caractéristique X équivaut à dire que les femmes ne sont bonnes qu’à X, ou que X est la seule fonction ou raison d’être des femmes. De toute évidence nous nions tout à fait qu’il n’y aurait qu’une seule chose dont les femmes soient capables, ou qu’elles n’aient qu’une « fonction » ou raison d’être (ou même un ensemble limité de telles fonctions). Après tout, nous sommes féministes ! Nous ne “réduisons” donc pas les femmes à quoi que ce soit, en ce sens ; nous nous contentons simplement de présenter une théorie dont l’un des avantages est précisément de ne pas réduire, par définition, les femmes ou l’être-femelle à une fonction ou une caractéristique particulière ou essentielle. À l’inverse, nous croyons que notre théorie offre la possibilité d’éliminer l’assignation des femmes ou des femelles aux fonctions et aux valeurs qui leur sont actuellement prescrites par une société misogyne.

4. « Vous pensez qu’il existe une « bonne façon » d’être femme, lesbienne ou mère. »

Cet argument repose sur une ambiguïté entre deux sens distincts du mot « bonne » : son sens normatif et son sens de description correcte. Il s’agit d’un autre procédé rhétorique, qui peut rapidement et abusivement conduire le lecteur à y voir une métaphore signifiant que nous contrôlons l’accès à un « club » exclusif, du style : « Elle peut entrer, mais pas vous! ». Ce procédé renvoie à l’usage répandu de stéréotypes sexistes nuisibles adressés aux femmes : « Une vraie femme serait gentille et douce ! » ; « Les femmes obèses ne sont pas de vraies femmes ! » ; « Les femmes qui résistent aux avances sexuelles masculines sont frigides ! ». Bien sûr, un principe fondamental de notre féminisme est de récuser tous ces stéréotypes sexistes.

Au risque de nous répéter, nous ne pensons pas qu’il y ait de manière d’être femme/féminine qui soit bonne au sens normatif. Nous rejetons les constantes tentatives des sociétés qui suggèrent qu’il en existe une.

Cependant, nous pensons qu’il existe bel et bien des faits de nature descriptive sur ce qu’est l’être-femme et l’être-femelle. Donc, nous nions que le fait de décrire ou de classer quelque chose exprime automatiquement quelque valeur normative au sujet de cette chose. Le fait de dire que nous pensons qu’il existe une définition de l’être-femelle ou de l’être-femme ne veut pas dire qu’il existe une « bonne façon » d’être femelle ou femme, dans un sens normatif ou un autre. Par exemple, dire qu’il existe une définition de « table », qui distingue les tables des chaises, ne veut pas dire que toutes les tables doivent avoir un plateau poli ou des pattes sculptées.

En philosophie analytique, on reconnaît habituellement une différence entre les faits et les valeurs, différence qui n’est pas inconnue dans la philosophie continentale. Nous savons que ce genre de différence peut être rejeté, en principe, par certains de nos critiques plus inspirés par Foucault – et Butler – et ce désaccord entre nous est raisonnable, avec des ramifications qui vont bien au-delà du présent litige concernant le sexe et le genre. Par contre, ce qui n’est pas raisonnable, c’est de qualifier de philosophiquement naïf, idiot ou intolérant notre postulat qu’il est possible de décrire le sexe biologique, la féminité ou la sexualité sans pour autant accréditer automatiquement quelque(s) norme(s).

5. « Vous êtes transphobe » ; ou « Vous n’êtes peut-être pas transphobe, mais vos opinions le sont. »

Nous n’acceptons pas qu’une opinion philosophique soit qualifiée d’inacceptable, voire « phobique » envers un groupe donné, simplement parce qu’elle propose un point de vue que certains ne veulent pas entendre, ou qui les met mal à l’aise ou même les angoisse. Pour nous, bien plus que l’expression d’un désaccord troublant avec certains transgenres, la transphobie est une attitude de dégoût, de peur ou de répulsion envers les transgenres parce qu’ils ou elles sont transgenres. Puisque, après mûre réflexion, nous avons confiance que nos opinions ne sont pas motivées par une quelque attitude de ce genre, nous n’acceptons pas qu’elles sont « transphobes ». Nos points de vue sont motivés, comme la plupart des points de vue en philosophie politique, par une croyance en l’existence d’une certaine combinaison de valeurs et de faits. Ces valeurs comprennent l’importance que nous accordons aux droits et intérêts des femmes ET à ceux des personnes transgenres de notre groupe d’ami·e·s ; ces faits comprennent notre perception du succès ou de l’échec probable des divers moyens proposés pour réaliser simultanément ces droits et intérêts respectifs. Plusieurs personnes transgenres de notre groupe d’ami·e·s partagent nos analyses critiques du genre ou sont féministes, et nous n’acceptons pas l’idée qu’elles ne puissent le faire que par haine de soi.

6. « Vous pensez que tous les transfemmes ou la plupart d’entre eux sont violents envers les femmes ‘cis’. »

Il s’agit d’un argument bidon : aucune d’entre nous n’a jamais dit ça, ou ne pense que ce soit vrai. Nous ne pensons absolument pas que tous ou même la plupart des transfemmes sont violents à l’égard des femmes ‘cis’, et nous sommes heureuses de l’affirmer.

À ce propos, il existe deux meilleurs arguments qui sont rarement reconnus ou commentés par nos opposants. Le premier concerne ce qui, à notre avis, est susceptible de se produire, au fil du temps, dans une culture où il est de plus en plus largement admis que l’auto-identification sexuelle (avec ou sans Certificat de reconnaissance du sexe) déterminera, plutôt que le sexe de naissance, le droit ou non d’hommes biologiques à entrer dans les espaces réservés aux femmes, où elles se déshabillent ou dorment, et sont donc particulièrement vulnérables. Dans une telle culture, nous prédisons une dégradation des règles sociales qui empêchent actuellement beaucoup de prédateurs masculins, en général, d’entrer dans ces espaces. Dans le même temps, parce qu’il ne sera plus possible de se fier à l’apparence physique des gens pour déterminer leur droit d’accès à ces espaces, nous prédisons que les femmes perdront de leur assurance pour y contester la présence d’hommes. Malgré de bonnes intentions, nous pensons que l’utilisation actuelle d’affiches dans certaines toilettes universitaires, où l’on exige des femmes qu’elles acceptent la présence d’hommes dans ces lieux, constitue une tentative maladroite pour instaurer un tel changement de culture. Nous prenons au pied de la lettre le témoignage des nombreux professionnels qui interviennent auprès des délinquants sexuels et décrivent la persistance et l’opportunisme de ces hommes, et rien ne nous permet d’être en confiance que personne n’exploitera cette occasion à l’avenir.

Ce premier argument concernait les hommes opportunistes qui, sans même prétendre à quelque transition sexuelle visible, pourraient bientôt être néanmoins socialement autorisés à entrer dans des espaces réservés aux femmes, où celles-ci sont vulnérables. Notre second argument, tout aussi rarement abordé par nos opposants, concerne les opportunistes qui, si les changements proposés à la Loi britannique sur la reconnaissance du sexe devaient être mis en œuvre, transitionneraient pour des motifs sinistres. En effet, les changements proposés à la loi préconisent une démédicalisation du processus d’obtention d’un certificat de reconnaissance du sexe, en supprimant toute exigence d’un diagnostic professionnel de dysphorie sexuelle, ou toute autre évaluation psychologique. De plus, il cesserait d’être nécessaire d’avoir vécu un certain temps selon le sexe désiré, de sorte que le processus deviendrait une pure formalité administrative.

Comme pour confirmer partiellement nos craintes, nous remarquons, ce qui est sans doute assez révélateur, le nombre déjà disproportionnellement élevé de délinquants sexuels de sexe masculin vivant une transition sexuelle sociale – bien que, espérons-nous, pas encore juridique – dans les prisons du Royaume-Uni (en fait, certaines de leurs codétenues transgenres partagent notre inquiétude à ce sujet). Nous prenons également en compte une étude universitaire contrôlée par des pairs, par ailleurs bienveillante envers les personnes trans en général, qui suggère qu’un très petit nombre de gens qui cherchent à changer de sexe sont motivés par la possibilité « d’accroître leurs contacts intimes avec des enfants, ce qu’ils considèrent comme plus socialement acceptable venant d’une personne jouant un rôle féminin » (c’est une citation directe). Nous notons que les mesures de sécurité permettant d’éviter tout accès de la sorte et d’autres tout aussi sinistres perdront leur efficacité si les groupes de pression obtiennent ce qu’ils veulent en ce qui concerne la Loi sur la reconnaissance du sexe. C’est pour ces raisons et d’autres motifs empiriques, non énumérés ici, que nous pouvons prédire que les changements proposés se traduiront par un pourcentage plus élevé qu’aujourd’hui d’agresseurs violents dans la population des transfemmes.

Ce second argument, comme le premier, concerne l’avenir : il est fondé sur ce que nous pensons être une anticipation raisonnable, basée sur l’extrapolation de divers faits empiriques actuellement connus. En fait, cela n’implique même pas quoi que ce soit à propos de « tous ou la plupart » des transfemmes à l’avenir, mais seulement de quelques-uns – et encore moins de « tous ou la plupart » des transfemmes d’aujourd’hui. À l’heure actuelle, tous les transfemmes qui détiennent un Certificat de reconnaissance du sexe l’ont obtenu par un processus raisonnablement sécurisé.

Dans ce contexte, attirer publiquement l’attention sur des actes individuels d’agression enregistrés commis par des transfemmes contre des femmes ne doit pas être interprété comme impliquant de quelque façon que tous ou la plupart des transfemmes sont violents. Ce ne sont pas les conclusions que nous souhaitons tirer. La plupart du temps, les références à de tels cas doivent être comprises comme constituant une preuve limitée de l’érosion des protections sociales existantes pour les femmes, protections dont nous évaluons que, si l’auto-identification devient la norme, elles se dégraderont encore plus à l’avenir.

Néanmoins, nous soutenons aussi que les deux camps en litige gagneraient à la tenue d’une enquête empirique sérieuse, visant à déterminer si les transfemmes ont tendance à commettre, aussi régulièrement que les hommes biologiques, des infractions sexuelles et violentes, ou si ce taux de criminalité diminue lors de la transition (pour atteindre peut-être le même taux que les femmes biologiques, ainsi que certains de nos adversaires l’ont affirmé).

7. « Une véritable transfemme n’est jamais violente  » (Voir aussi :  » Une personne ayant détransitionné n’a jamais vraiment été trans. « ).

Dans les deux cas, il s’agit d’un argument fallacieux connu sous le nom « sophisme du véritable Écossais ». Ce procédé est utilisé pour prétendre réfuter des contre-exemples aux affirmations que les membres d’un groupe donné possèdent (ou non) un même trait caractéristique. Par exemple (dans un mode léger), si l’affirmation « Les Écossais ne mettent jamais de sucre dans leur porridge » est contredite par le contre-exemple réel « Dave vient d’Écosse et il en met dans le sien », la réponse sera « Ah. Mais de toute évidence, Dave n’est pas vraiment un Écossais, puisqu’aucun véritable Écossais ne met du sucre dans son porridge « . Et il en va ainsi pour chaque contre-exemple cité. C’est un argument fallacieux, utilisé pour rejeter les contre-exemples en les excluant du groupe en cause de manière illégitime.

Lorsque l’on discute des questions relatives à l’auto-détermination sexuelle, ce procédé est surtout utilisé dans deux contextes : pour rejeter les assertions que des transfemmes ont commis des crimes sexuels ou violents contre des femmes, et pour rejeter l’idée que les gens peuvent cesser d’être transgenres.

Dans un premier cas, ce sophisme est utilisé pour rejeter les exemples de transfemmes qui commettent des crimes violents ou sexuels dans des espaces réservés aux femmes : « cette personne n’est pas une vraie transfemme, parce qu’une vraie transfemme ne commettrait pas ce genre de crime ». Si la personne en question est réellement transfemme, cette réponse est clairement dilatoire. De plus, même si cette personne ne se considère pas comme trans mais est un homme se présentant comme femme pour accéder à un espace réservé aux femmes, cette personne compte tout de même comme trans en vertu du critère énonçant que l’auto-identification comme femme est tout ce qui est requis pour être considéré comme transfemme et être autorisé à entrer dans des espaces non mixtes.

Dans le deuxième cas, le sophisme du véritable Écossais sert à affirmer que les personnes qui amorcent une transition puis s’en désistent ou inversent leur transition (les « désistants » et « détransitionnneurs » ne sont pas vraiment des contre-exemples à la politique voulant que la transition soit le meilleur traitement contre la dysphorie sexuelle puisque, selon le sophisme du véritable Écossais, une personne s’étant identifiée comme femme, par exemple, et qui cesse de s’identifier comme telle, n’a jamais été vraiment trans. Mais ce raisonnement est trompeur : la personne en question satisfaisait au critère de l’auto-détermination comme trans et était donc transfemme au vu de ce critère ; ce n’est pas un état qui peut être nié après coup : la transidentité n’est pas un état qui peut être modifié rétrospectivement.

8. « De toute façon, des femmes sont attaquées et agressées dans des espaces réservés aux femmes. »

Le fait que des femmes soient parfois attaquées dans des espaces non mixtes ne signifie pas que ces espaces ne les protègent pas dans une certaine mesure. Il est raisonnable de penser que les femmes seraient plus souvent attaquées dans les espaces mixtes (ce qui est d’ailleurs déjà démontré). C’est le même raisonnement qui consisterait à dire que, comme de « toute façon » certaines femmes tombent enceintes malgré l’utilisation de préservatifs, autant que les hommes n’en utilisent pas du tout.

Nous entendons aussi parfois : « Si elles sont agressées dans des toilettes, les femmes peuvent appeler la police et l’agresseur sera poursuivi. » Cela suppose que l’agresseur sera nécessairement poursuivi alors que dans les faits, les poursuites pour agression sexuelle sont très peu courantes. Fait tout aussi important, cette réponse ne tient aucun compte des préjudices physiques et émotionnels que subira la victime, dans bien des cas pour le reste de sa vie. Nous considérons que la poursuite d’un délinquant après les faits ne saurait se substituer à la prévention des préjudices pour la victime, et nous considérons les espaces réservés aux femmes comme un moyen de prévention effectivement imparfait, mais tout de même très utile.

9. « La seule façon de maintenir une norme sociale de non-mixité serait la vérification des organes génitaux. »

Les êtres humains, qu’ils soient adultes ou enfants, savent généralement distinguer le sexe biologique des personnes à leur simple apparence dans la plupart des cas. La capacité à déterminer correctement le sexe d’une personne est basée la plupart du temps sur une heuristique cognitive, qui n’est de toute évidence pas infaillible. Cette heuristique échoue dans les cas de trans qui « passent » pour l’autre sexe et lorsqu’il y a erreur, mais ces cas sont relativement rares. Une telle heuristique est spontanée et ne fait pas appel à une délibération rationnelle consciente. Par contre, le sexage humain n’est ni aléatoire ni arbitraire : si les mêmes personnes ont tendance à être souvent mésexées par beaucoup de gens, c’est pour des raisons liées à leur apparence.

En conséquence, il est peu honnête de la part de nos critiques de suggérer que le seul moyen dont nous disposons pour identifier le sexe d’autrui soit « la vérification des organes génitaux », et que c’est ce qui s’imposerait pour maintenir des espaces non mixtes. Si c’était vrai, les fréquentations n’existeraient pas (et le sexisme non plus). Cette objection signifie, peut-être, qu’il n’y a aucun moyen d’identifier le sexe des autres avec une certitude absolue – mais comme nous n’avons pas besoin de certitude absolue dans la plupart des domaines de la vie, il n’est pas nécessaire de l’exiger ici, d’autant plus si elle exige une intrusion intolérable, abus d’autorité dont nous ne conviendrions jamais.

Vu les limites occasionnelles de notre capacité d’identifier le sexe d’autres personnes, plaider en faveur d’espaces non mixtes, comme les toilettes, les dortoirs et les vestiaires, signifie qu’il pourra arriver que des femmes soient mésexées dans ces espaces et que des hommes présents dans ces espaces pourront ne pas être perçus comme tels. Ce premier cas nous semble être un préjudice regrettable qui doit être compensé par les préjudices plus importants que subiraient les femmes si les espaces qui leur sont réservés devenaient effectivement mixtes en raison d’une politique d’auto-identification sexuelle. Quant au deuxième risque, nous le considérons comme une chose qu’aucune société libre ne peut annuler, et qu’il serait autoritaire d’essayer de prévenir. Mais reconnaître ce facteur n’a aucune conséquence sur ce que nous devrions dire au sujet de l’immense majorité des transfemmes qui demeurent visuellement identifiés comme des hommes par presque tout le monde. Dire que tous les transfemmes identifiables devraient être socialement autorisés à entrer sans problème dans les espaces réservés aux femmes, c’est poser un problème aux femmes, dont nous avons discuté à la section 6 ci-dessus, à savoir la réduction conséquente de la capacité des femmes d’exclure avec confiance tout homme de ces espaces.

10. « Pourquoi refusez-vous d’exclure également les lesbiennes des espaces réservés aux femmes ? »

En y regardant de près, cet argument apparaît comme suit : « Si vous voulez exclure les transfemmes des espaces réservés aux femmes parce que bon nombre d’entre eux sont attirées par les femmes, alors, pour être cohérentes, vous devriez soutenir l’exclusion des lesbiennes des espaces réservés aux femmes. Mais vous ne réclamez pas cela. Par conséquent, votre argument contre la présence de transfemmes dans les espaces réservés aux femmes doit reposer sur de mauvaises raisons. »

Si nous ne plaidons pas en faveur de l’exclusion des lesbiennes des espaces réservés aux femmes, c’est parce qu’à notre connaissance il n’existe aucune incidence statistique significative de violences ou d’agressions lesbiennes envers les autres femmes. Par contre, de telles statistiques sur la violence masculine sont bien connues. Quoiqu’il en soit, même si une telle documentation de violence lesbienne existait – et, nous le répétons, elle n’existe pas – la création « d’espaces interdits aux lesbiennes » ne serait pas pratique en tant que norme sociale imposée, puisqu’il n’existe pas de moyen suffisamment fiable pour identifier visuellement les lesbiennes et les distinguer des non-lesbiennes. En revanche, il est relativement simple d’identifier visuellement les hommes dans les espaces réservés aux femmes. Ce critère n’est pas parfait, et dans certains cas, il entraînera malheureusement quelques mésexages ; mais aucun système ne pourrait être parfait, et nous considérons que c’est tout de même mieux que rien.

11. « Vous devez comprendre pourquoi les transfemmes sont en colère contre vous. »

Nous croyons comprendre déjà pourquoi certains transfemmes (mais pas tous) sont en colère contre nous. C’est parce que nous contestons ce que certains d’entre eux, mais pas tous, considèrent, avec le soutien de la société, comme une vérité fondamentale à leur identité. Nous argumentons également contre des mesures concrètes qui visent à faciliter un changement de sexe légal et l’accès à des espaces réservés aux femmes, comme certains transfemmes, mais pas tous, le jugent moralement et personnellement souhaitable. Il peut être exaspérant et troublant d’être confronté à une résistance à ses croyances et à ses volontés. D’autant plus quand cette résistance tient au fait que l’on a raison, qu’elle va à l’encontre de nos certitudes, qu’elle remet en question non seulement la perception de notre propre identité mais procède aussi d’un malentendu à nos yeux quant à ce nous pensons être notre droit moral.

Ce que nous ne comprenons pas, c’est comment un·e philosophe alerte puisse croire que ce genre d’argument est valable. Ce procédé est plutôt symptomatique d’une attitude que nous trouvons plus couramment chez les femmes que chez les hommes, et qui s’adresse plus souvent aux femmes philosophes qu’aux hommes. Elle nous exhorte à être plus empathiques, sympathiques, gentilles, conciliantes (etc.). Nous pensons comprendre pourquoi cette attente sexospécifique a tendance à être projetée sur nous, mais pas sur les hommes, par les femmes plutôt que par les hommes. Nous nous demandons si c’est également le fait de nos opposants.

12. « Vos écrits participent à multiplier la violence envers les trans. « 

Nous avons déclaré à maintes reprises que les personnes trans possèdent, à raison, tous les droits des personnes, y compris les droits à l’absence de préjudice, de discrimination et de harcèlement. Nous doutons que la lecture de nos articles, relativement hermétiques, puisse amener de véritables transphobes sur la voie de la violence. Quoi qu’il en soit, étant donné le soin avec lequel nous exprimons nos opinions dans nos publications, nous ne nous considérons pas moralement responsables de quelque mésinterprétation radicale de notre travail, qui conduirait malheureusement quelqu’un à faire preuve de violence à l’égard d’une personne trans. De même, nous estimons que le fait de ne pas s’exprimer sur ces questions pourrait bien accroître les risques de violences faites aux femmes. Nous reconnaissons deux ensembles de droits et d’intérêts : ceux des transfemmes et ceux des femmes. Nous sommes décidés à favoriser une conversation publique qui prenne en compte ces deux ensembles.

13. « Les droits des trans ne sont pas comme un gâteau ; personne n’en obtient moins si les trans obtiennent des droits. »

Un argument analogue a pesé dans la balance pour défendre les droits des gays, et plus particulièrement le droit au mariage gay*. Nous convenons que les droits des personnes ne sont pas comme un gâteau : le fait qu’un groupe ait certains droits ne signifie pas qu’un autre groupe en ait moins. Tous les êtres humains ont les mêmes droits fondamentaux. Cependant, lorsqu’il s’agit de discuter de la manière de réaliser concrètement les droits humains d’un groupe particulier, il est pertinent d’envisager les moyens proposés comme un gâteau : donner un avantage social ou juridique à un groupe, comme moyen supposé de réaliser ses droits, peut précisément entraîner un désavantage sérieux pour un autre groupe, sapant la réalisation des droits de ce groupe. Nous ne pensons pas que ce fut le cas pour le mariage homosexuel : donner aux homosexuels l’autorisation juridique de se marier n’a rien enlevé d’important aux hétéros. Par contre, pour les raisons précédemment énoncées, nous pensons qu’autoriser des personnes de sexe masculin à s’auto-identifier socialement et/ou juridiquement comme femmes dans des espaces et des centres réservés aux femmes, enlèvera quelque chose d’important aux femmes, compte tenu d’un contexte social de misogynie généralisée. C’est précisément ce que nous voulons dire. Nous demandons donc à la société de trouver un autre et meilleur moyen pour réaliser les droits des transsexuels, qui soit compatible avec les droits des femmes à une vie sans préjudice.

*Pour une comparaison du discours sur les droits des homosexuels et du discours sur les droits des transgenres, voir ce texte écrit par l’une d’entre nous.

14. « Des féministes ont déjà discuté de cette question en votre absence et ont établi que les transfemmes sont des femmes. »

Une tendance particulière dans la littérature savante n’établit pas sa vérité. Nous n’acceptons pas de nous incliner machinalement devant une opinion simplement parce qu’elle a été publiée dans la philosophie féministe – peu importe par qui et qu’elle que soit sa réputation. Une telle règle serait impensable pour la discipline de la philosophie, telle qu’elle est généralement comprise par ses praticiens et par nous. Si nous le jugeons opportun, et en particulier si nous jugeons qu’un raisonnement intellectuel historiquement influent de la philosophie féministe a constitué une erreur, nous nous accordons le droit de revenir aux principes fondamentaux. Et puisque nous jugeons, en ce qui concerne qui est considéré comme une femme et pourquoi, qu’une grande partie du raisonnement de la philosophie féministe récente est dans l’erreur, il n’est guère surprenant que nous refusions de nous y plier.

Deuxième partie : de mauvaises analogies

Nous rappelons à nos opposants les « lignes directrices du bon sens », couramment observées, pour tirer un argument réussi d’une analogie, à commencer par celle-ci : « Plus on note de différences, plus l’analogie est faible », et ; « Les analogies structurelles sont plus fortes que celles basées sur des similitudes superficielles ».

1. « Par le passé, certaines personnes pensaient que les femmes noires n’étaient pas de véritables femmes. De nos jours, certaines personnes pensent que les transfemmes ne sont pas de vraies femmes. Mais les femmes noires sont des femmes, tout comme les transfemmes. »

Il est raisonnable d’analyser les prétentions historiques selon lesquelles les femmes noires n’étaient pas de « vraies femmes », en invoquant une notion honorifique et normative de l’être-femelle. Tout au long de l’histoire de l’esclavage, les femmes noires étaient généralement classées sans problème comme étant biologiquement des femmes (elles étaient ignoblement exploitées précisément pour leur capacité biologique de reproduction). En fait, l’affirmation selon laquelle il ne s’agissait pas de « vraies femmes » était plutôt due à l’une des deux affirmations suivantes. Tout d’abord, on prétendait que les femmes noires ne reflétaient pas les normes socioculturelles stéréotypées de la féminité : ce qui n’est guère surprenant puisque ces normes socioculturelles avaient été élaborées pour être appliquées aux femmes blanches. D’autre part, on prétendait que les femmes noires n’étaient pas le genre de femmes auxquelles les Blanches devaient s’intéresser, se préoccuper ou se comparer. En d’autres termes, il s’agissait d’une mesure qui niait aux femmes noires leur pleine personnalité morale aux yeux des Blancs et les plaçait dans une position où elles ne méritaient pas de jouir de droits humains.

En revanche, l’affirmation selon laquelle les transfemmes ne sont pas de vraies femmes n’est pas liée à une notion honorifique et normative de la féminité (voir aussi le point 4 de la section 1 ci-dessus). Notre affirmation est une revendication descriptive sur l’appartenance à une catégorie et non l’affirmation que les transfemmes ne correspondent pas à certaines normes socioculturelles stéréotypées de la féminité. Comme nous le répétons constamment, nous pensons que la plupart ou la totalité de ces normes sont nuisibles, ne sont associées que de façon fortuite à l’être-femme ou à l’être-femelle, et qu’elles doivent être éliminées. (D’où la proposition de définir le concept de « femme » comme « être humain de sexe féminin » supprimant ainsi les normes traditionnellement associées à la féminité.) Nous ne disons pas non plus que les transfemmes n’ont pas un statut complet de personne morale. Au contraire, nous affirmons avec insistance et souvent qu’ils possèdent ce statut, et insistons sur l’intégralité de leurs droits de la personne. L’analogie à la situation des Noires n’est donc pas valide.

2. « Exclure les transfemmes des espaces réservés aux femmes, c’est comme exclure les Noirs des espaces réservés aux Blancs. »

Tout d’abord, les Noirs ont été historiquement soumis à la ségrégation parce que les Blancs niaient leur pleine et égale humanité. Les transfemmes ne se voient pas refuser leur pleine et égale humanité, ou du moins pas par les féministes critiques du genre. La question n’est pas de savoir s’il s’agit d’êtres humains, mais bien de femmes, et sur cette base, si ces trans devraient pouvoir accéder à des espaces conçus pour protéger la relativement plus grande vulnérabilité des femmes. Les transhommes sont des femmes et ont donc leur place dans ces espaces (si elles le veulent) ; les transfemmes sont des hommes et nous soutenons qu’ils n’ont pas leur place dans ces espaces. Personne ne pense qu’un homme se voit refuser sa pleine et égale humanité du simple fait de l’existence d’espaces réservés aux femmes, et le même raisonnement s’applique aux transfemmes. Ne pas donner aux gens tout ce qu’ils réclament n’est en rien un déni de leur humanité.

Deuxièmement, la ségrégation raciale était l’exercice du pouvoir par un groupe culturellement dominant contre un groupe culturellement subordonné. Les dominants utilisaient leur pouvoir pour tenir les subordonnés à l’écart. Les femmes ne constituent pas un groupe culturellement dominant, mais plutôt un groupe culturellement subordonné. Lorsqu’elles agissent pour maintenir des espaces réservés aux femmes, nous jugeons qu’elles agissent pour s’assurer des lieux protégés qui sont importants compte tenu de leur condition. Au mieux, les transfemmes sont un groupe subordonné distinct ; au pire, les transfemmes sont membres du groupe dominant. Au mieux, leur exclusion est un mouvement latéral ; au pire, c’est un mouvement « d’élévation ». Dans aucun des deux cas, il ne s’agit d’un mouvement « d’abaissement » et donc, dans aucun cas n’est-elle comparable à la ségrégation raciale.

3. « Exclure les transfemmes des espaces réservés aux femmes, c’est comme exclure les réfugiés ou les immigrants du Royaume-Uni. »

Les réfugiés et certains candidats à l’émigration sont désespérément vulnérables et cherchent à accéder à de meilleures perspectives d’avenir en émigrant dans des pays riches comme le Royaume-Uni. Les exclure, ou du moins les exclure tous, est sans doute une manière impitoyable de protéger les privilégiés au mépris de besoins essentiels. Mais cette analogie permettrait uniquement d’établir que les transfemmes doivent être admises dans des espaces réservés aux femmes si les transfemmes étaient dans une situation similaire aux réfugiés ou aux migrants désespérés. D’aucuns affirment que la motivation des transfemmes à vouloir utiliser les espaces réservés aux femmes est d’y trouver une sécurité face à la menace de la violence masculine. Mais si c’était le cas, la menace pourrait être résolue avec des espaces tiers plutôt qu’en autorisant aux transfemmes l’accès aux espaces réservés aux femmes.

Pour d’autres transfemmes, il s’agit moins de sécurité que d’identité : du fait de leur conviction d’être des femmes (sur la base de leur identité de genre), ces trans croient que les espaces de femmes sont leur place. Mais comme nous l’avons déjà suggéré, nous soutenons que les espaces réservés aux femmes sont justifiés en raison du sexe et non de quelque identité de genre. Les sentiments d’une personne à l’égard de son identité ne déterminent pas automatiquement son inclusion, et ne nous semblent pas l’emporter sur l’intérêt légitime que les femmes ont envers l’existence de tels espaces.

De plus, l’argument de la migration pour justifier l’inclusion des transfemmes présente les femmes comme le groupe dominant (en analogie des personnes qui possèdent actuellement la résidence ou la citoyenneté britannique), et les transfemmes comme le groupe dominé. Mais comme nous l’avons déjà dit (voir cette section, point 2. ci-dessus), nous jugeons ce positionnement invalide.

4. « Les transfemmes sont aux femmes ce que les parents adoptifs sont aux parents. »

Il y a différentes façons de devenir parent. L’une passe par la conception d’un enfant et l’accouchement, et une autre par l’adoption. Ce sont des manières différentes de devenir parent, mais les deux façons impliquent l’éducation des enfants. Il se peut que les différentes expériences vécues, par exemple la difficulté du processus d’adoption ou les changements physiologiques liés à la grossesse et à l’accouchement, donnent à chaque groupe une raison de rencontrer occasionnellement d’autres personnes comme elles. Mais pour des raisons sociales plus larges, nous devrions traiter les deux groupes comme des parents, et en particulier ne pas tolérer la stigmatisation du fait que, par exemple, les parents adoptifs ne sont pas de vrais parents.

Dans le cas des parents nous partageons ce point de vue. Mais s’il est utilisé pour tenter de démontrer qu’être transfemme est une façon d’être une femme, nous trouvons l’analogie médiocre (ne serait-ce que parce qu’elle contourne la position critique du genre). Les parents adoptifs et les parents biologiques ont en commun le fait d’avoir – ou d’avoir eu – des enfants qu’ils élèvent. Accepter que les transfemmes sont aux êtres humains de sexe féminin ce que les parents adoptifs sont aux parents biologiques suggère donc un essentialisme de la féminité qu’elles partageraient toutes deux. Mais c’est précisément la question qui fait controverse entre nous et nos adversaires, de sorte que l’analogie ne résout rien à elle seule.

En effet, si, comme nous le pensons, une femme est tout simplement un être humain de sexe féminin, une analogie plus appropriée dans le domaine de la parentalité pourrait être tracée entre les parents (adoptifs ou biologiques) et les personnes qui souhaitent désespérément devenir parents mais qui, pour une raison quelconque, ne peuvent le devenir. Nous pouvons avoir une grande sympathie pour les personnes dans cette situation, et nous pouvons certainement penser que les parents, et même la société en général, devraient se montrer sensibles à l’égard des gens qui sont sans enfants par nécessité et non par choix (en évitant, par exemple, attirer inutilement l’attention sur leur absence d’enfants, ou ridiculiser ou prendre à la légère leur désir d’être parents). Mais il ne s’ensuit pas pour autant que nous devions abandonner l’offre de services et d’espaces spécifiques qui existent pour répondre aux besoins des parents, même si l’existence de tels services et espaces peut parfois constituer un rappel douloureux pour ceux qui souhaitent désespérément avoir des enfants mais qui ne le peuvent pas.

Ce dernier argument nous semble être une raison suffisante pour écarter cette analogie. Cependant, même si ça ne l’était pas, un autre argument pertinent infirme cette analogie, surtout pour ce qui est d’un droit d’accès des transfemmes aux espaces réservés aux femmes : c’est qu’au Royaume-Uni, les parents adoptifs sont soumis à de longs contrôles de protection avant que l’adoption puisse avoir lieu. L’exigence de nos opposants en ce qui concerne des changements à apporter à la Loi sur la reconnaissance du sexe est que tout contrôle de protection analogue à l’attribution du statut de transfemme devrait être complètement abandonné.

5. « L’argument voulant qu’on ne puisse être à la fois transfemme et lesbienne ressemble à l’affirmation historique selon laquelle on ne peut pas être à la fois une vraie femme et une lesbienne. »

Notre réponse à cet argument ressemble à celle que nous donnons au point 1 de la section précédente. C’est-à-dire que nous reconnaissons et déplorons le fait que la société n’a pas eu tendance à reconnaître les lesbiennes comme de  » vraies femmes  » au sens normatif du terme, c’est-à-dire comme se conformant à un stéréotype normatif de ce que devrait être la féminité (dans ce cas, l’hétérosexualité). Nous reconnaissons qu’être une femme homosexuelle a tendance à donner l’impression d’être une femme déficiente par non-conformité de genre aux yeux d’une société hétéronormée. Cependant, notre argument selon lequel une personne ne peut pas être à la fois transfemme et lesbienne ne se fonde pas sur notre acceptation secrète d’une norme ou d’un stéréotype de la féminité. Notre argument sur l’impossibilité d’être à la fois transfemme et lesbienne est plutôt fondé sur une identification descriptive de la catégorie des lesbiennes. Nous soutenons que, par définition, une lesbienne est une femme homosexuelle. Tout comme l’insistance sur le fait que, par définition, une femme est un individu adulte de sexe féminin ne constitue pas une assertion normative sur la « bonne » façon d’être des femmes (voir point 4, section 1, ci-dessus), aucune revendication normative, que ce soit au sujet des femmes ou des lesbiennes, ne découle automatiquement de notre assertion que les lesbiennes sont, par définition, des femmes homosexuelles.

Troisième partie : questions pour nos opposant-e-s

1. Qu’est-ce que, métaphysiquement parlant, l’identité de genre ? Qu’est-ce qui garantit que lorsque la personne 1 s’identifie comme X et que la personne 2 s’identifie comme X, elles s’identifient comme étant la même chose ?

2. Pensez-vous que les stéréotypes « féminins » et « masculins » sont mauvais et qu’ils devraient être modifiés ou voir leur importance réduite ? Dans l’affirmative, pensez-vous aussi que nous devrions accepter un concept de la « femme » qui lie la féminité à un sentiment que les stéréotypes sexuels typiquement associés au fait d’être une femme s’appliquent à soi ? Y voyez-vous un point de tension ? Comment cette stratégie évite-t-elle l’association conservatrice des femmes à la féminité traditionnelle ?

3. Nous pensons que le patriarcat est, par définition, un système qui opprime structurellement les femmes, en fonction de leur sexe. Qu’est-ce que le patriarcat, selon vous ? Si vous pensez que le patriarcat n’est pas comme nous l’avons décrit, pensez-vous qu’il existe dans le monde un système tel que nous venons de décrire, que vous l’appeliez ou non « patriarcat » ? Si oui, pensez-vous que la reconnaissance de ce système est politiquement importante ? Si non, sur quelles bases niez-vous l’existence d’un tel système ?

4. Pensez-vous que les faits sur le développement physique masculin et la socialisation masculine de genre ont quelque lien de causalité avec les schémas de violence masculine ? Si oui, pensez-vous que ce lien cesse généralement de fonctionner dans le cas des transfemmes qui vivent une transition tardive ? Dans l’affirmative, comment expliquez-vous ce fait ? À votre avis, s’agit-il d’une question empirique ?

5. Si vous pensez que l’existence de personnes présentant des différences de développement sexuel (parfois appelés « troubles du développement sexuel » ou « intersexualité ») démontre d’une certaine façon que les transfemmes sont littéralement des femmes, de quoi s’agit-il ? S’il vous plaît, expliquez nous cela clairement, sans sauter les étapes.

6. Considérez-vous la question de l’aménagement d’espaces publics où les gens se déshabillent, dorment ou sont, d’une manière ou d’une autre, vulnérables à des agressions, soit : a) une question morale législative ou pas ; ou b) une question pratique sur la meilleure façon d’éviter violence et préjudice aux membres de certains groupes ?

7. Pensez-vous que tous les espaces tels que les salles de bains, les dortoirs, les foyers, les douches et les prisons devraient être complètement mixtes (c.-à-d. qu’il ne devrait y avoir aucun espace dont les transfemmes et les hommes « cis » pourraient être exclus, en principe ?) Si ce n’est pas le cas, expliquez pourquoi les hommes « cis » devraient être tenus à l’écart de ces espaces, mais pas les transfemmes*.

8. Si vous préférez plaider en faveur d’une politique publique qui permet aux transfemmes d’accéder à des espaces réservés aux femmes, plutôt que de préconiser des espaces supplémentaires, des espaces tiers – pourquoi pensez-vous que la première est une option préférable à la seconde ? Dans votre réponse, merci d’essayer d’accorder une certaine considération aux femmes ayant des convictions religieuses et aux femmes ayant survécu à de la violence masculine.

* Nous avons mis le mot « cis » entre guillemets, parce que, pour des raisons qu’a résumées l’une d’entre nous, la plupart d’entre nous ne pensons pas que ce concept soit adéquatement défini.

Traduit par Ana MINSKI pour TRADFEM

Version initiale : https://medium.com/@kathleenstock/doing-better-in-arguments-about-sex-and-gender-3bec3fc4bdb6

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