L’horreur de la chasse aux sorcières demeure omniprésente dans la culture moderne.

Nous sommes les petites-filles des sorcières qu’ils n’ont pas réussi à brûler.

par JINDI MEHAT, le 15 mai 2017, sur le blogue Feminist Current

Samedi soir le 13 mai, au SFU Harbour Center de Vancouver, l’historienne féministe et fondatrice des Archives d’histoires supprimées, Max Dashu, a livré une puissante présentation sur les chasses aux sorcières qui ont balayé l’Europe au Moyen-âge, en exposant la raison d’être, les méthodes et les résultats de cette période de féminicide religieux et laïque. Bien qu’il soit tentant de considérer ce long spasme de misogynie meurtrière comme un incident historique isolé qui ne pourrait jamais survenir de nouveau, cela équivaudrait à ignorer que notre oppression continue à être ancrée dans le contrôle patriarcal des corps féminins. Cela passerait également sous silence les motifs de chasse aux sorcières qui résonnent encore tel un écho dans le mouvement de ressac aujourd’hui opposé à un féminisme centré sur les femmes.

Max Dashu a méthodiquement guidé son auditoire à travers des siècles d’histoire européenne, alors que des milliers de femmes ont été torturées et brûlées comme sorcières, notamment en Allemagne, aux Pays-Bas et en Espagne. Elle a parlé de villages où des massacres avaient éliminé toutes les femmes sauf deux. Les victimes comprenaient des guérisseuses, des adultères, des femmes qui avaient leur franc-parler ou des talents extraordinaires, et des femmes qui avaient simplement élevé la main pour se protéger quand des hommes les battaient. Toute femme qui défiait les attentes patriarcales devenait une cible de féminicide.

Le contexte sexué de la chasse aux sorcières est impossible à ignorer. Des jurys entièrement composés d’hommes décidaient quelles femmes allaient vivre et quelles femmes allaient mourir. Les femmes étaient enchaînées dans des positions qui tordaient leur corps dans des positions facilitant l’accès à leurs organes sexuels. Elles étaient systématiquement violées avant d’être immolées. Leurs tortionnaires utilisaient des outils spécialement conçus pour leur enlever les seins, brûler la vulve et déchirer le vagin. Ces horribles atrocités visaient à contrôler et éradiquer spécifiquement les corps féminins, et le fait que cette lecture soit aujourd’hui qualifiée de controversée démontre combien de femmes ont oublié, ou n’ont jamais appris, les leçons de l’hystoire (herstory).

sorcière au bucherL’oratrice a longuement décrit les manières dont les procès de sorcellerie ont façonné la société. Les hommes étaient considérés comme les autorités concernant la réalité et la vérité, et cette autorité masculine est devenue institutionnalisée. La torture de la femme demeure sexualisée de nos jours. Et, pendant des siècles, les femmes ont élevé leurs filles à être silencieuses, obéissantes, toujours sur leurs gardes, et à se confiner à la sphère privée tout en disparaissant de la sphère publique. C’est ainsi que l’on créa un précédent à l’humiliation, la punition et la censure de la parole des femmes.

Le 10 mai, Hilla Kerner de l’organisme Vancouver Rape Relief and Women’s Shelter, et Meghan Murphy ont témoigné contre le projet de loi C-16, portant sur « l’identité et l’expression du genre ». Elles étaient préoccupées par la façon dont cette loi allait permettre de démanteler des  mesures de protection des femmes reconnaissant leur sexe. Dans leurs témoignages, Kerner et Murphy ont rappelé à un comité majoritairement composé d’hommes que, sous le patriarcat, le genre existe comme outil de renforcement du pouvoir masculin et de l’assujettissement des femmes. Les deux femmes ont dûment situé l’oppression des femmes dans le contrôle patriarcal de nos corps féminins, une analyse ayant nourri le féminisme et suscité la création de centres de crise anti-viol, du congé de maternité et des mesures juridiques contre les agressions sexuelles et les viols conjugaux. Par contre, de nos jours, il suffit de faire le lien entre la biologie féminine et le sexisme pour être accusées de tenir un discours haineux et pour déclencher les dynamiques de culpabilisation, de sanction et de censure des femmes qui imprègnent la société depuis les chasses aux sorcières. C’est une chasse aux sorcières moderne aux objectifs par trop familiers : nous maintenir tranquilles, effacées et obéissantes.

Comme exemple de cette chasse aux sorcières, le journaliste-amiral de la Canadian Broadcasting Corporation, Neil MacDonald, vient de réagir en éditorial au témoignage nuancé et bien étayé de Kerner et Murphy. Son billet caricature leur témoignage, démontre que Macdonald ne comprend pas les principes fondamentaux qui sous-tendent l’oppression des femmes – y compris le genre et la socialisation sexiste. Il calomnie celles qui le font en les qualifiant de « paranoïaques et grossières ». Et, de façon incroyable, il va jusqu’à utiliser l’insulte misogyne de TERF, dirigée contre nous les femmes qui reconnaissons un lien entre notre oppression et notre biologie, affirmons que nous formons une classe politique avec des intérêts définis et communs, et comprenons que la féminité est une réalité matérielle, plutôt qu’une simple idée ou émotion.

Après avoir rappelé le sens des chasses aux sorcières comme campagne délibérée et systémique pour faire taire les femmes et assurer notre obéissance par la peur, Max Dashu a conclu sa présentation sur une note inspirante et déterminée. Présentant à l’auditoire des exemples de sociétés et de cultures matrilinéaires qui respectaient et vénéraient le pouvoir des femmes, elle nous a demandé de tirer une force de notre hystoire partagée et d’utiliser cette force pour continuer à résister. Nous sommes les petites-filles des sorcières qu’ils n’ont pas réussi à brûler, et aujourd’hui, les jurys que nous implorons de reconnaître notre réalité matérielle et nos droits comme êtres humains siègent au Sénat canadien.

Parlez, mes sœurs. Soyez sans peur, et ne laissez pas les salauds vous détruire.

TAGS: SADOMASOCHISME, PROJET DE LOI C-16, FEMINICIDE, IDENTITÉ DE GENRE, JINDI MEHAT, MAX DASHU, MISOGYNIE, OPPRESSION SEXUELLE, SEXUALISATION, VIOLENCE SEXUALISÉE, CENSURE, TERF, VANCOUVER, VANCOUVER RAPE RELIEF, VANCOUVER WOMEN’S LIBRARY, VIOLENCE CONTRE LES FEMMES, CHASSES AUX SORCIÈRES, SORCIÈRES, HISTOIRE DES FEMMES

Version originale : http://www.feministcurrent.com/2017/05/15/horror-witch-hunts-remains-ever-present-modern-culture/

Traduction : TRADFEM, avec l’accord de l’autrice.

 

7 réflexions sur “L’horreur de la chasse aux sorcières demeure omniprésente dans la culture moderne.

  1. « Présentant à l’auditoire des exemples de sociétés et de cultures matrilinéaires qui respectaient et vénéraient le pouvoir des femmes »
    C’est dommage que ce texte finisse par ce myth du matriarcat. L’idée d’un matriarcat est une creation de misogynes et rien ne permet de dire qu’il existe des sociétés dans lesquelles les femmes dominent et oppressent les hommes comme les sociétés patriarcales le font contre les femmes. Ce que vous appelez matriarcat c’est juste des cultures moins misogynes et peut être egalitaires mais pas une domination des femmes sur les hommes. Je ne comprend pas pourquoi certaines feministes donnent du crédit a ce myth sexiste. Est ce que l’idée d’une culture dans laquelle les femmes tyrannisent les hommes est feministe ? -arcat ca implique une domination d’un groupe sur un Autre et meme chez les NA de Chine sensé être matriarcale les hommes ne sont pas oppresser ni dominer, ils sont juste totalement oisifs.
    l’idée de matriarcat est une atténuation de celle de patriarcat. Parceque le patriarcat c’est pas une societe qui vénère les hommes, c’est une societe qui oppresse les femmes.

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    • Je vous invite à consulter les travaux de Max Dashu, citée dans cet article, qui sans accréditer les visions simplistes d’un matriarcat qui serait l’inverse du patriarcat, valident des cultures matrilinéaires riches en enseignements.

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      • Mais une culture matrilinéaire n’est pas matriarcale je ne comprend pas pourquoi je devrait lire sur la matrilinéarité vu que c’est sans rapport avec le matriarcat. Et si la matrilinéarité existe (ce que je ne conteste pas) je voie pas ce que ca m’apprendrai sur la matriarcat. Les juifs sont matrilinéaires et ils sont parfaitement patriarcaux. En quoi la misogynie matrilinéaire juive me serait utile pour comprendre des trucs sur le matriarcat ?

        Qu’il y ai de riches enseignement chez certains peuples matrilinéaires je ne le conteste pas, il y a de riches enseignement à trouvé en toute chose, mais quel rapport avec le matriarcat ?

        Vous parlez de matriarcat mais vous ne définissez jamais ce mot. Vous dites que c’est pas une « vision simpliste qui serait l’inverse du patriarcat » mais c’est justement ce que veux dire matriarcat, qui est une visions simpliste qui inverse le patriarcat (le mot est limpide matri/patri et -ARCAT). Si vous n’avez pas de vision simpliste alors n’utilisez pas les mots qui traduisent une vision simpliste. Il existe d’autres mots tel que « société égalitaire » ou « culture non-oppressive », « culture sans viol » « culture non-patriarcale »… les alternatives ne manquent pas et qui n’ont pas cette ambiguïté mensongère et ce passif ultra-misogyne du mot « matriarcat ».

        D’autre part Françoise Hériter parle de la différence de valence des sexes en défaveur des femmes comme un invariant culturel universel chez l’humanité. Paola Tabet isole d’autres invariants ethnologiques universaux liées au rôles de genre, la répartition des outils, des tâches et des armes toujours en défaveur des femmes et l’obligation pour les femmes de fournir un travail sexuel et reproductif aux hommes.
        Les prétendues cultures matriarcales sont une négation totale des théories de Héritier et Tabet, et je ne comprend pas des féministes s’acharnent à utiliser un mot mensonger qui fait passer les chercheuses féministes pour des imbéciles. Pourquoi tenez vous tellement à ce mot de matriarcat ? Qu’est ce que ce mot vous apport ? Qu’est ce que ca veux dire pour vous exactement si c’est pas « visions simplistes d’un matriarcat qui serait l’inverse du patriarcat » mais alors qu’est ce que c’est ? et si c’est un synonyme de matrilinéarité pourquoi ne pas dire simplement matrilinéarité ?

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        • Je me rend compte que vous n’utilisez pas le mot matriarcat mais bien matrilinéarité dès le début, et que je suis partie toute seule à cause d’autres discussions que j’ai eu sur le sujet avec d’autres personnes et qui se sont mélangé avec ma réponse. Votre texte dit bien « de sociétés et de cultures matrilinéaires qui respectaient et vénéraient le pouvoir des femmes, » sans utilisé le mot matriarcat. Du coup vous pouvez jeter mes commentaires sur cette discutions à la poubelle et j’espère accepté mes excuses pour mes messages injustes et hors sujet.

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  2. Un peu de sérieux dans la critique, tout de même. L’idée soutenue dans l’article en lien qui « controverse » est celle d’un sexe physiologique relativement indépendant du genre mais tout aussi social. C’est plus ou moins l’inverse de ce que vous décrivez : personne ne nie que les femmes ne sont pas perçues comme telles au travers de leur apparence physiologiques, ce qui est soutenu c’est que cette apparence est influencée, modifiée par le social, et qu’elle n’est pas un pur produit du matériel génétique hérité à la naissance. De plus, tout le monde se souvient de la chasse aux sorcières, à condition d’avoir regardé au moins un film à univers médiéval (au pif, les Monty Pythons). Mais bon, comme vous n’expliquez pas en quoi la loi C-16 menace les femmes, je dois en déduire que, de toute façon, vous ne cherchez pas réellement à développer une logique de protection du droit des femmes, ou à nous éclairer sur l’Histoire du fémicide, seulement à tordre la réalité pour lui faire dire ce que vous n’osez pas cracher : vous pensez que les personnes trans ne méritent pas de reconnaissance sociale. Vous pourriez avouer que vous détestez les trans et nous passer l’argumentaire sans queue ni tête.
    Franchement comparer la chasse aux sorcière au fait de recevoir des critiques sur ses idées (provenant d’ailleurs de féministes), ça me fait penser à Houellebec et consorts avec leur délire de persécution sur la censure islamo-gauchiste. Pourquoi pas à l’enfermement des prostituées en camps par tonton Dodolf, tant qu’on y est? Trop flag, c’est ça? Au moins vous êtes égalitaire dans vos arguments fallacieux, il y a plus de femmes de paille que d’hommes de paille dans ce billet.

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    • « …vous n’expliquez pas en quoi la loi C-16 menace les femmes… »
      Il faut ouvrir les hyperliens qui conduisent aux arguments qu’ont présentés les féministes canadiennes au Sénat.

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      • Je vous en prie, je les ai lus, c’est là une évidence. L’avez vous fait? Parce qu’il n’y a dedans pas un seul argument qui ne soit pas fallacieux. Le premier, par exemple, n’est qu’un sophisme géant statuant que « l’expression de genre sera protégée par la loi » or « l’expression de genre masculine comprends une sexualité agressive », donc « la loi protégera les violeurs ». Si vous n’êtes pas capable de vous défendre contre un tel flagrant délit de paralogisme, vous devriez songer à développer votre sens de la rhétorique avant de parler politique.

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