LE PARADIS DU PROXÉNÈTE

Les bordels légaux du Nevada sont un désastre pour les femmes

Julie Bindel, The Spectator (édition US), 14 octobre 2020

« Ce qui se passe à Vegas demeure à Vegas » dit le dicton populaire. On pense que cette phrase provient en partie des bordels légaux du Nevada, où les hommes sont assurés de l’anonymat. Ces bordels ont été considérés comme une industrie de services nécessaire dans la région depuis le XIXe siècle, lorsque le Nevada était presque entièrement peuplé de chercheurs d’or masculins. Il y a actuellement 21 bordels légaux en activité dans sept des comtés du Nevada, et j’en ai visité sept – en tant que journaliste et non en tant qu’acheteur de sexe. Ce que j’y ai vu et appris était horrible.

Décrites par une ancienne prostituée du Nevada comme des « pénitenciers pour chattes », les bordels du Nevada ne sont autorisés que dans les comtés de moins de 400 000 habitants, afin de ne pas offenser les résidents.

Les bordels légaux sont souvent décrits comme amusants et inoffensifs, comme dans le film Cathouse de HBO, une série documentaire sur le Moonlite BunnyRanch au Nevada. La réalité est tout autre. Les bordels légaux abritent les femmes les plus cruellement maltraitées, souvent pimpées, contrôlées et traitées comme rien de plus que des marchandises.

Mais un changement pourrait être en marche. L’année dernière, des avocats ont intenté une poursuite au nom de Rebekah Charleston, une survivante de la traite sexuelle, contre les lois permissives du Nevada en matière de prostitution. L’affaire a été rejetée, mais, suite à un appel interjeté par l’équipe juridique, le tribunal du Ninth Circuit a demandé à entendre une plaidoirie sur l’affaire, qui devrait être entendue bientôt.

NDT: Un webinaire à ce sujet aura lieu le 20 octobre à 14h, heure de l’Est.

Selon Mme Charleston, les bordels légaux du Nevada transgressent la législation fédérale et sont en conflit direct avec elle. Son action en justice vise à obtenir une ordonnance déclarant que l’octroi de licences aux maisons closes est inconstitutionnel, nul et non avenu. Son argument central est qu’en créant des conditions qui permettent la traite sexuelle, que ce soit à l’intérieur ou en travers des frontières de l’État, le Nevada transgresse le treizième amendement de la Constitution américaine, qui interdit l’esclavage et la servitude involontaire aux États-Unis.

En 1910, le Congrès étasunien a approuvé la Loi Mann, qui criminalisait le transport « de toute femme ou fille à des fins de prostitution », dans le but de lutter contre la prostitution et la traite des êtres humains aux États-Unis. En 1986, on ajouta à cette loi les clauses de « coercition criminalisée » et d’incitation à « voyager d’un État à l’autre (…) pour se livrer à la prostitution », punies d’une sentence de prison maximale de 20 ans.

Charleston demande au tribunal d’émettre une injonction permanente interdisant à l’État du Nevada d’autoriser les bordels légaux. Elle demande également à l’État de créer un « Fonds de sortie de l’industrie du sexe », qui fournirait  ce commerce des services de santé mentale, une aide au loyer, une formation professionnelle, des bourses d’études et un financement de leurs traitements médicaux.

Dans les années 1990, Charleston a été victime d’un trafic vers le Nevada et a été envoyée par son proxénète dans un bordel légal. Là-bas, elle n’était pas autorisée à refuser un client et a subi de multiples viols et agressions violentes. Après dix ans d’enfer, Charleston s’est finalement échappée en 2009 lorsque les autorités fédérales sont intervenues. Dans son témoignage devant la cour, elle a soutenu que la pratique de la prostitution légalisée au Nevada est « régressive, oppressive et vise les femmes les plus vulnérables ».

Charleston demande maintenant au tribunal de réparer le mal qui lui a été infligé, ainsi qu’à d’innombrables autres femmes, et de mettre fin aux échappatoires juridiques qui permettent aux trafiquants de tirer profit de l’exploitation et de l’industrialisation du corps des femmes.

Son parcours vers la prostitution est l’histoire familière d’une famille dysfonctionnelle et de la violence sexuelle. Lorsqu’elle n’avait que cinq ans, le frère aîné de Charleston s’est suicidé et la famille s’est effondrée. Violée à 15 ans, Charleston est devenue narcodépendante, ce qui a conduit ses parents à l’envoyer dans un centre résidentiel religieux. A 17 ans, Charleston s’en est échappée et a été rapidement prise pour cible par des prédateurs.

Elle a trouvé du travail dans une boîte de strip-tease et a rencontré un homme d’une quarantaine d’années qui lui a offert ce qu’il disait être une vie meilleure. Il a donné à Charleston, âgée de 18 ans, un faux certificat de naissance la présentant comme ayant 21 ans et s’appelant « Ann Wilson ». Cet homme est bientôt devenu son proxénète. Charleston a été envoyée dans divers bordels pour gagner de l’argent et, si elle refusait quoi que ce soit à son proxénète, il la torturait. « J’étais complètement sous son contrôle », m’a-t-elle dit.

En visitant les bordels du Nevada, j’ai vu des clients choisir des femmes dans le hall en claquant des doigts ou en les désignant dans une file d’attente. Les femmes n’étaient autorisées à sortir du complexe du bordel que si elles étaient accompagnées d’un proxénète adjoint et elles étaient tenues de se soumettre à des contrôles réguliers de détection de maladies sexuellement transmissibles. Comme me l’a dit un client du Love Ranch dans le comté de Crystal : « Je déteste utiliser une capote, mais ici, les filles doivent être propres, sinon elles sont mises à la porte. »

Les bordels légaux offrent une sorte d’écran de fumée à la prostitution illégale. Les agences d’escorte du Nevada facilitent la prostitution illégale pour répondre à la forte demande des personnes qui se rendent au Nevada pour acheter du sexe, beaucoup d’entre eux croyant à tort que c’est légal partout dans l’État. Quant aux agences d’escorte légales de Las Vegas, ce sont souvent des façades pour les réseaux de traite sexuelle. Las Vegas est une destination bien connue des proxénètes et des acheteurs de sexe. Les agences d’escortes légales de Las Vegas sont souvent des façades pour les réseaux de trafic sexuel. Las Vegas est une destination bien connue des proxénètes et des acheteurs de sexe. La publicité et le marketing des bordels légaux incitent les touristes sexuels à se rendre au Nevada à partir de tout le pays et du monde entier.

Il est prouvé que la prostitution légalisée augmente le traite sexuelle, comme l’a démontré une étude réalisée en 2013 par la London School of Economics sur 150 pays, qui a révélé que partout où la prostitution était légale, la traite sexuelle avait tendance à augmenter.

Après que l’homme qui avait soumis Charleston à la traite ait été incarcéré pour fraude fiscale en 2009, elle s’est échappée de chez lui. En janvier 2012, elle s’était désintoxiquée et était retournée au Texas. « Je ne savais même pas qui j’étais, dit-elle. Toute ma vie, les hommes m’avaient dit qui j’étais. »  En 2013, elle a commencé à s’exprimer et à partager son histoire, y compris avec les forces de l’ordre.

« L’Amérique ne peut plus fermer les yeux sur les systèmes légaux de prostitution qui existent encore, dit-elle. D’une part, nous luttons contre des injustices comme les agressions sexuelles, la traite des êtres humains et le harcèlement sexuel, mais nous continuons à permettre à ces crimes de se produire légalement dans le système des bordels du Nevada. Il faut que cela cesse. »

Melissa Holland dirige le Projet Awaken, une ONG confessionnelle qui aide les femmes à quitter les bordels légaux. Au cours des neuf dernières années, Awaken a travaillé avec près de 600 victimes de la traite à des fins sexuelles. « Le Nevada possède un commerce du sexe légal depuis 48 ans, avec pour conséquence involontaire la façon dont la prostitution est normalisée et traitée comme un emploi comme un autre, explique Holland. Cela a créé un terrain propice à une prolifération du tourisme sexuel et de l’exploitation sexuelle. »

Une étude de l’université de Creighton révèle que le commerce du sexe au Nevada est de loin le plus important de tous les États du pays. Le nombre de personnes prostituées par habitant au Nevada est 63 % plus élevé que celui de New York et plus de deux fois supérieur à celui de la Californie.

Lorsque les proxénètes deviennent politiciens, comme le propriétaire de bordel Lance Gilman, qui a été élu commissaire du comté de Storey en 2012, des pressions sont exercées pour protéger le commerce légal des bordels. Gilman tente depuis longtemps d’augmenter le nombre de bordels autorisés dans son comté. J’ai visité son Mustang Ranch et il s’est vanté d’avoir « une écurie de mille femmes ».

Gilman a conçu un jeu appelé « Hunt a Ho » (Poursuis une Pute), dans lequel les visiteurs du Mustang Ranch paient pour « chasser » des femmes dans le désert avec des fusils de paint-ball. Lorsqu’une femme est « blessée », le client est récompensé par du sexe. « Nous fournissons les filles, elles sont la proie, les chasseurs viennent les débusquer », dit Gilman dans une vidéo de promotion.

Le Mustang Ranch a été remis au gouvernement fédéral en 1999, après que son ancien propriétaire Joe Conforte ait été condamné pour fraude fiscale, racket et autres délits. Le bordel a été vendu aux enchères par le Bureau américain de gestion des terres et acheté par Gilman en 2003. Il a déménagé les bâtiments et les a rouverts en 2005-2006.

Le commerce légal du sexe autorise les hommes à déshumaniser les femmes, tandis que les femmes prostituées demeurent violées, kidnappées, battues et assassinées à des niveaux supérieurs à la moyenne nationale. Le Nevada se classe régulièrement au premier rang pour les décès dus à la violence conjugale et au troisième rang national pour les viols et les agressions sexuelles.

Certains pays qui ont légalisé les bordels commencent à s’avouer vaincus et à chercher de nouvelles façons de résoudre les problèmes inhérents à la prostitution. Les Pays-Bas sont aussi célèbres pour leurs bordels à vitrine et leur tourisme sexuel que pour leurs tulipes, mais ils ont fermé des commerces sexuels ces dernières années et envisagent actuellement de remplacer la légalisation par des lois qui dissuadent et criminalisent les acheteurs. Il devient de plus en plus évident que la légalisation n’a pas instauré les réformes promises : la fin de la traite, de la violence et de l’exploitation.

Si Rebekah Charleston réussit à faire fermer les bordels légaux du Nevada sont fermés, qu’adviendra-t-il des nombreuses « maisons » illégales de tout l’État ? La prostitution et la traite sexuelle ne prendront pas fin comme par magie du jour au lendemain au Nevada. Mais une fois les mythes des bordels légaux dégonflés, on verra certainement exposée la réalité de ce que ce système a engendré, à savoir l’expansion et la normalisation du commerce sexuel illégal, bien plus important, de l’État. L’histoire de ce qui se passe dans les bordels du Nevada ne peut pas rester au Nevada.

Cet article a été publié dans l’édition américaine du journal The Spectator, en octobre 2020.

Julie Bindel est féministe, grand reporter et autrice de plusieurs livres dont The Pimping of Prostitution (Palgrave-Macmillan).

cov The Pimping

Version originale : https://spectator.us/pimps-paradise-legal-brothels-nevada/

Traduction : TRADFEM

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