L’argumentaire en faveur de la prostitution et ses conclusions “logiques”

Par Pilar Aguilar, initialement publié sur le site de Tribuna Feminista en mars 2017.

Ceux qui sont en faveur de la légalisation de la prostitution ont un argumentaire très répétitif. Il est divertissant d’égrainer les douze points principaux de leur prêche et d’en tirer les conclusions qui s’imposent.

1. Ils disent que si nous ne sommes pas des prostituées, nous ne pouvons pas donner notre avis ni sur la prostitution, ni sur les femmes prostituées. Conclusion : de même, seul-e-s celles et ceux qui peignent peuvent parler des peintres ou de la peinture; il n’y a que les fonctionnaires qui peuvent donner leur opinion sur elles et eux-mêmes et sur la fonction qu’ils remplissent. Et ainsi de suite non ?

2. Ils disent que celles qui s’opposent à la prostitution sont des blanches et des bourgeoises. Je suis surprise de constater qu’ils ont un fichier complet de nous toutes -avec photos et déclaration de revenus inclues, bien sûr-. Mais supposons qu’ils l’ait et allons aux conclusions : donc, celles qui ne sont pas des femmes blanches bourgeoises soutiennent la prostitution ? Autrement dit, tous les hommes de la planète, plus toutes les femmes asiatiques, amérindiennes, noires, etc… plus les blanches non bourgeoises… Mon dieu, nous sommes « quatre pelées » perdues au milieu d’un océan de 7,4 millards de personnes qui peuplent la terre ! Ce n’est vraiment pas la peine de nous affronter.

3. Ils disent que nous sommes antisexe. Conclusion : le sexe ce n’est pas du désir et du plaisir partagés. Le sexe consisterait à ce qu’un type que tu ne désires pas te fourre ses parties génitales là où il veut et qu’il utilise ton corps pour son plaisir.

4. Ils disent que nous sommes prudes et conservatrices. Conclusion : aussi étrange que cela puisse être, ce qui est athée et païen a toujours été béni par les religions -ouvertement ou sous le manteau- jusqu’au point où certaines d’entre elles avaient des temples avec des prostituées pour satisfaire les croyants. Et, aussi étrange que cela puisse paraître, il n’y a rien de plus contemporain que la vieille exploitation : accepter que n’importe quel homme, parce ce qu’il en est un, puisse avoir accès aux corps des femmes en ayant payé (et si c’est possible, gratuitement, nous n’allons pas faire une montagne pour 20€ de différence).

5. Ils disent que nous avons un concept “étroit et vil” de ce qu’est ce “travail” car il ne s’agit pas seulement -moyennant 20 €- d’hommes qui te fourrent leurs parties génitales là où ils veulent. Mais non, mais bien sûr que non. Il y en a certains qui demandent à être fouettés ou flagellés. Conclusion : lorsque le “client” -qui est celui qui commande- ordonne qu’on le frappe, il participe encore plus sûrement à l’empowerment de la prostituée (et je dis “encore plus sûrement” parce que, selon les pro-légalisation, le reste aussi contribue à l’empowerment).

6. Ils disent que, selon Deleuze (oui, vous lisez bien, Deleuze) le désir est construit. Ça c’est ce que nous les féministes avons toujours affirmé et soutenu (et avant Deleuze). Conclusion : puisque le désir est construit, rien n’empêcherait qu’on éduque des hommes dont le désir “construit” requière le fait de considérer les femmes comme des égales et non comme des réceptacles de leurs parties génitales.

7. Ils disent que si nous nous opposons à la prostitution, nous nous opposons à la liberté des femmes. Première conclusion : les femmes, quand elles sont libres, deviennent des “putes”. Ça c’est ce que le patriarcat a toujours prétendu afin de justifier la nécessité de nous maintenir enfermées et strictement contrôlées : chassez le naturel, il revient au galop. Si nous étions libres, nous déciderions de nous prostituer. Deuxième conclusion : en appliquant la même logique, quand nous dénonçons et combattons la maltraitance et la violence, nous nous opposons à la liberté des femmes maltraitées car, dans beaucoup de cas, “librement”, elles cohabitent ou ont une relation avec leurs bourreaux qui peut durer plusieurs années. En nous opposant et en dénonçant les mauvais traitements, nous limitons la liberté des maltraitées. C’est dur à croire, n’est-ce-pas ?

Imagen 1_Pilar prostitución
8. Ils disent que nous ne comprenons pas qu’avaler des bites est un art (les bites de tous ceux qui paient pour ça, je précise). Première conclusion : les filles, toutes celles d’entre vous qui aspirent à l’art dans une ou plusieurs de ses formes (peinture, sculpture, musique, théâtre, cinéma, etc.), abandonnez cette idée. Là vous avez une branche artistique extraordinaire. Deuxième conclusion : il faudrait peut-être instaurer un prix des Beaux-Arts dans cette catégorie. Troisième conclusion : à toutes ces nigériennes, roumaines, ukrainiennes, russes, chinoises, etc. -en fin de compte, à toutes ces femmes qui sont dans des rues, des parcs, des routes ou enfermées dans des bordels-, il faut leur expliquer (pour contribuer à leur empowerment) que, quand elles sucent la bite d’un type, elles se transforment en artistes. Elles auront du mal à y croire… et il est presque certain qu’elles renonceraient volontiers à un tel honneur et se contenteraient plutôt d’être libres et de disposer de moyens suffisants pour vivre avec dignité.

9. Ils assurent que les prostituées aiment sucer des bites et, par conséquent, elles ne font pas que donner du plaisir, elles en reçoivent aussi. Pourtant, en même temps, ils disent qu’elles le font parce que, n’étant pas des blanches bourgeoises comme nous, elles n’ont que cette option pour gagner leur vie. Et ils ajoutent que nous sommes vraiment bien bêtes de le faire sans faire payer. Donc, selon cet argument : les femmes se prostituent par argent ou par plaisir ? Ou pour les deux ? Nous sommes des imbéciles si nous ne considérons comme agréables que les relations sexuelles avec les personnes que nous désirons ? Comme il est difficile de mettre les choses au clair, il n’est pas facile de tirer une conclusion sur ce point. Je ne conclus donc rien.

10. Ils disent que nous haïssons les bites (oui, comme ça, de manière littérale). Conclusion : celles qui ne veulent rien avoir à faire avec n’importe quelle bite du monde entier à aucun prix, ce n’est pas parce qu’elles souhaitent choisir avec laquelle ou lesquelles s’engager, mais c’est parce qu’elles les haïssent toutes. Et, inversement, on déduit que si tu en aimes une, tu dois les aimer toutes. Eh bien !

11. Ils disent que si ce “travail” n’est pas magnifié c’est de notre faute à nous, les abolitionnistes. Conclusion dubitative : avant les mouvement abolitionnistes, le fait d’être prostituée était bien considéré ? Ils ne sont pas en train de confondre le fait que les prostitueurs se servent d’elles avec le fait qu’ils les respectent ? Ont-ils déjà entendu les prostitueurs parler entre eux des prostituées ? De plus, si ces derniers les respectaient, pourraient-ils les baiser si allègrement ? Pourraient-ils les traiter comme du bétail ?

12. Ils disent que nous les abolitionnistes nous avons de notre côté les médias et toutes les plateformes. Conclusion : ils ne lisent pas les journaux (parce que s’ils le faisaient, ils verraient des pages et des pages d’annonces de prostitution); ils ne regardent pas de films (parce que s’ils en regardaient, ils verraient que pour une femme qui présente une approche critique il y en a cent qui en font l’éloge); ils ne parcourent pas les rues en ramassant sur le sol ou les pare-brises des flyers, et ils ne voient pas non plus les panneaux publicitaires… En fait, je ne sais pas de quel pays ils parlent.

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Voilà beaucoup de conclusions, mais voici ma conclusion générale : on ne peut pas défendre l’indéfendable.

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Version originale : http://www.tribunafeminista.org/2017/03/argumentario-a-favor-de-la-prostitucion-y-conclusiones-logicas/

Traduction: TRADFEM 

Pilar Aguilar est une analyste de fiction audiovisuelle et une critique de cinéma, licenciée en Sciences Cinématographiques et Audiovisuelles à l’Université Paris-Diderot. Vous pouvez consulter son blog de cinéma : http://pilaraguilarcine.blogspot.com.es

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