Rebecca Mott: Ceci n’est pas un débat

par Rebecca Mott (5 mai 2015)

Croire en l’abolition de l’industrie du sexe, en tant que femme sortie de la prostitution, c’est savoir que nous n’avons ni le temps ni l’espace de tenir un débat intellectuel sur la prostitution.

Les débats se font au sujet d’événements et de sujets stables, où toutes les personnes impliquées sont en relative sécurité.

L’on peut débattre d’idées philosophiques abstraites, de réalités historiques qui sont résolues ou en tout cas ne menacent pas notre survie quotidienne.

L’on peut débattre simplement pour la galerie ou pour marquer des points.

Mais débattre est inconvenant en face d’un génocide, en face d’une torture généralisée et d’une déshumanisation des personnes prostituées.

Prétendre que nous pouvons simplement débattre de l’existence de la prostitution est un stratagème du lobby de l’industrie du sexe.

Ce lobby peut se contenter de débattre parce que pour eux, il s’agit d’un jeu ; pour eux, la prostitution n’a pas d’impacts humains, puisque les personnes prostituées sont déshumanisées.

Le débat sur la prostitution favorise le lobby de l’industrie du sexe, car eux peuvent mentir, peuvent dépeindre des tableaux romantiques, peuvent mimer le discours de la gauche.

Ils le font avec l’esprit du proxénète, l’esprit du prostitueur-client – une perspective froide et calculatrice, qui place l’argent au-dessus des droits humains fondamentaux, qui place l’orgasme masculin au-dessus de la torture généralisée des femmes prostituées.

La perspective du lobby de la prostitution est calquée sur celle du pimp et du client – sachez cela et vous pourrez commencer à comprendre pourquoi ceci n’est pas un débat.

Constatez cette vérité toute simple, et nous pourrons alors démonter les arguments que ce lobby ramène constamment.

Le lobby de l’industrie du sexe tentera de vous convaincre que si la prostitution est pratiquée derrière des portes closes, elle peut être (et sera) rendue sécuritaire.

Mais lorsque le lobby de l’industrie du sexe parle de sécurité, cette notion devient très ambigüe.

Leur priorité est d’assurer la sécurité et la confidentialité des prostitueurs-clients, et non la sécurité des femmes face à la violence des prostitueurs.

Ils cherchent à donner l’impression d’une sécurité pour les femmes prostituées – mais tout en laissant des viols, des raclées, de la torture et même des meurtres demeurer la norme, du moment que cela se fait derrière des portes bien fermées.

Il s’agit de donner à la prostitution une allure assez sécuritaire pour qu’elle continue à rapporter d’énormes profits.

Il ne s’agit PAS d’octroyer aux personnes prostituées des droits humains, ou même de leur reconnaître la simple humanité.

Le lobby de l’industrie du sexe tentera de distinguer la bonne prostituée de la mauvaise.

Ils vont inventer la Pute Heureuse, la prostituée qui ne subit que peu ou pas de violence masculine, celle qui contrôle les clients-prostitueurs ou n’a que des clients respectueux.

La Pute Heureuse est de classe moyenne, généralement blanche, a débuté dans a prostitution dans la vingtaine ou la trentaine, facture des tarifs élevés, peut quitter l’industrie quand elle le veut et choisit librement ses actes sexuels.

Son activité est appelée autonomisante, féministe, de gauche et libératrice.

Tout le reste des personnes prostituées – soit au moins 98% des femmes – deviennent les mauvaises prostituées : elles ne comptent pas dans la perspective du lobby de l’industrie du sexe.

Cela comprend les personnes autochtones qui sont prostituées, les Noires prostituées, les Européennes de l’Est prostituées, les Asiatiques prostitué.e.es, et les personnes prostituées de partout ailleurs.

Cela comprend les mineur.e.s qui entrent dans la prostitution, celles et ceux qui entrent dans la prostitution après des agressions sexuelles, physiques ou mentales, qui y entrent à cause de la pauvreté ou de toxicomanies.

Cela comprend celles qui entrent dans la prostitution à cause des mensonges et de la contrainte de quelqu’un qui donnait l’impression de les aimer, et celles poussées à la prostitution par des membres de leur famille.

Cela comprend tous les gens qui ne peuvent se soustraire à la violence masculine, qui constitue la norme dans toutes les formes de prostitution.

Cette mauvaise prostituée constitue l’ensemble de la prostitution – l’industrie du sexe est fondée sur la fabrication de la mauvaise prostituée.

C’est la Pute heureuse qui est une illusion et qui est utilisée comme écran de fumée par le lobby de l’industrie du sexe.

Presque toutes les personnes prostituées survivent en feignant le bonheur, en feignant la résilience, en feignant d’avoir un certain pouvoir.

Cette attitude est essentielle pour conserver un certain sentiment d’humanité dans un monde qui vous perçoit comme une marchandise déshumanisée.

Le fait de tenir à un brin d’humanité, même ténu, équivaut à maintenir un peu de vie privée, à l’abri de l’industrie du sexe.

Cela devient la vie de la Pute Heureuse, si vous refusez de voir l’être humain chez la prostituée.

C’est un refus de voir le regard hanté de la Pute heureuse, c’est un refus d’entendre la Pute heureuse faire la moindre mention de la violence masculine, et c’est un refus de permettre à la Pute heureuse d’exister en dehors des brefs moments où tout semble bien aller.

La Pute heureuse est créée, puis manipulée par le lobby de l’industrie du sexe.

Ils vont pousser la Pute heureuse à l’avant-plan pour faire taire les voix des femmes sorties du milieu lorsque celles-ci décrivent les conditions de la prostitution vécue à l’intérieur.

Ils enverront des Putes heureuses manifester ou batailler sur Twitter ou Facebook.

Mais sachez-le bien – beaucoup de soi-disant Putes heureuses sont en fait des profiteuses de l’industrie du sexe, beaucoup n’ont jamais été prostituées ou n’ont fait de la prostitution que comme passe-temps.

Ce sont ces profiteuses qui mèneront la lutte contre les femmes sorties du milieu qui exigent de réels changements.

Les profiteuses de l’industrie du sexe exerceront contre les femmes sorties du milieu une violence mentale extrême.

Une de leurs tactiques est de dire que les ex-prostituées s’illusionnent, d’affirmer que nous mentons au sujet de la violence, que nous n’avons jamais été de « véritables » prostituées.

Une autre tactique est de dire que s’il y a eu violence comment pourrions-nous être encore en vie, de nous réclamer « des faits » sur où, quand et comment cette prétendue violence est arrivée.

Une autre tactique est de dire qu’elles « travaillent » dans la zone où nous étions, et qu’aucune prostituée ne nous a vue là, de nous traiter d’affabulatrices.

Une autre tactique est de menacer les femmes qui ont quitté le milieu, notamment en disant qu’ils ont nos adresses, qu’ils peuvent nuire aux êtres que nous aimons et nous traquer.

Une autre tactique est répandre le mensonge que nos conjoints ont eu recours au commerce du sexe et donc que l’on ne peut faire confiance à personne en dehors du milieu et que nous ferions mieux de rentrer dans le rang.

La violence mentale du lobby de l’industrie du sexe envers les femmes qui en sont sorties est sans fin et multiforme – mais elle repose toujours sur le préjugé que nous devrions être mortes ou trop détruites pour pouvoir s’exprimer.

Comment débattre avec ceux qui veulent vous voir anéanties ?

Ceci n’est pas un débat – c’est une question de vie ou de mort pour les femmes prostituées.

*

Texte original : http://rebeccamott.net/2015/05/05/this-is-not-a-debate/

Copyright Rebecca Mott, mai 2015

Traduction : TRADFEM

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