« CASSE-TOI, CASSANDRE! »

Une jeune dramaturge canadienne, Elena Belyea, a récemment signé et interprété une pièce en un acte qui traite d’une foule de sujets d’actualité: la généralisation d’une violence masculine à l’égard des femmes et enfants, la dégénérescence d’une société où des enfants doivent être prêtes à défendre leur vie à l’école, le sentiment d’impuissance, l’hostilité du pouvoir à l’égard des lanceuses d’alerte qui refusent ces situations, et les émotions qui en résultent.

Deux d’entre nous avons vu cette pièce à Montréal, au moment d’une immense manifestation guidée par la jeune féministe suédoise Greta Thunberg, et nous avons rédigé cette recension à quatre-z-yeux, avant que la poussière ne retombe.

Par Martin Dufresne et Suzanne Dufresne

En solidarité avec les jeunes comme Greta Thunberg

Connaissez-vous le nombre de tueries d’enfants commises depuis 50 ans dans des écoles, des collèges et des universités des États-Unis et du Canada ? Savez-vous que l’on doit dispenser des formations en protection civile aux enseignant·e·s, et même aux enfants visés par de tels massacres? Cette normalisation du désastre s’apparente à celle qu’affronte aujourd’hui Greta Thunberg avec sa Grève scolaire pour le climat, devenue internationale.

On parle peu des séquelles qu’impose ce climat de pré-attentat à de très jeunes enfants et à leurs pédagogues, des femmes pour la plupart? On leur laisse le poids sur l’âme de ce risque permanent de débordements d’une masculinité faussement décrite comme hors de contrôle?

Comment se sentent les responsables d’enfants en bas âge, à qui incombe le poids de les protéger de tels risques – surtout lorsqu’il leur est interdit d’en désigner explicitement les auteurs, comme dans le cas des prédateurs sexuels?

Le nouveau terrorisme est arrivé

Grâce à la constitution étasunienne dont le 2e Amendement est interprété pour rendre quasi-absolu le « droit d’être armé », des hommes blancs – blancs de rage de perdre le contrôle ou de simplement voir reconnue leur violence haineuse – tuent maintenant des enfants, aux USA et chez nous. Peut-on parler de racisme? Leurs balles prolongent souvent les glapissements calculés, ciblés, des animateurs de radios et de chroniques-poubelles. Les populations combattues, racisées et altérisées, sont diffamées jour après jour par ces pseudo-journalistes qui ne sont, pratiquement, que les batteurs de claque du capital. Gonflés à bloc, d’autres hommes préparent leur Grand Jour, choisissent une mosquée, une école ou une université comme lieu de carnage, afin d’assurer à leur obsession un maximum de victimes et donc de propagande.

Au lendemain de ces tueries à l’école, à l’église ou au camp d’été de jeunes socialistes norvégiens, d’autres « influenceurs » pousse-au-crime plaignent les assassins, allèguent des conspirations culpabilisantes, étalent un mépris qui se veut paralysant dans les commentaires publiés et les réseaux sociaux.

Et cette vénalité politicailleuse refoule dans le silence – c’est son but – les angoisses suscitées par de telles menaces et massacres.

MADAME CATHERINE PRÉPARE SA CLASSE DE TROISIÈME À L’IRRÉMÉDIABLE, au Théâtre Prospero de Montréal

L’autrice-comédienne albertaine Elena Beliyea aborde d’emblée cet ébranlement moral dans un un soliloque émouvant. Son personnage-titre, « Mademoiselle Catherine » (incarnée par Alice Pascual (attachante, galvanisante, sans une fausse note), attire le public du Prospero dans sa détresse personnelle et politique face à l’horreur annoncée. Elle fait de nous, par des questions adressées à l’auditoire, ce qui sera, dramatiquement, sa toute dernière « classe de troisième ».  

Un peu comme la Suédoise Greta Thunberg qui vient de réunir un demi-million de personnes dans les rues de Montréal, l’enseignante veut déstabiliser la confiance mal placée, renforcer et mobiliser les jeunes contre ce qui les menace. Elle le fait, sous la surveillance impassible, calculatrice de son directeur d’école (Frédéric Lavallée), qui a pour mandat de la faire taire.

La mise en scène, glaçante— où la violence reste invisible, en coulisses, sur la bande-son (comme dans le théâtre de Boris Vian) — évoque la normalisation actuelle de l’extinction du monde, sans qu’on ait le droit de s’en émouvoir ou indigner efficacement. Le bâillon qui se referme sur Madame Catherine brosserait un sombre tableau de l’avenir si ce n’était des millions de femmes et jeunes qui paralysent aujourd’hui la loi du profit rapide, du business-as-usual. Le parti Québec solidaire a même réussi à faire adopter une motion à l’Assemblée nationale du Québec à propos de l’urgence climatique.

Bien sûr, ce n’est pas encore gagné face à des politiciens qui dépendent des lobbies des armes à feu et du pétrole. Dans le plus tragique des retournements, l’enseignante rebelle s’effondre dans le doute, après avoir vu son auditoire – nous – perdre les pauvres moyens qu’elle avait tenté de nous offrir pour contrer l’irrémédiable.

2500 ans après Euripide

Traduite et scénographiée par Olivier Sylvestre, « Madame Catherine… » actualise, selon l’environnementaliste Chris Trotter, le personnage mythologique de Cassandre, dotée par Euripide, 250 ans avant notre ère,du don de prescience des catastrophes mais empêchée par un Zeus harceleur d’en informer son peuple.

Aux chrétiennes et chrétiens, cet effondrement du personnage principsl rappellera peut-être le Jardin des Oliviers et la Croix, paradoxe inquiétant d’un dieu vaincu. D’autres y reconnaîtront l’angoisse de quiconque écrit ou enseigne, mais doute d’avoir communiqué des moyens suffisants  contre l’aveuglément organisé, l’espoir exploité et le désespoir paralysant…

L’autrice ne tranche pas entre l’hypothèse politique ou psychologique, nous laissant une scène finale ambigüe, loin d’être triomphaliste.

Les climatosceptiques attaquent

Chris Trotter et Mat Hope, deux lanceurs d’alerte crtiques du combat que mènent la droite et la vieille gauche orthodoxe contre Greta Thunberg, divulguent sur les blogs SeeMoreRocks et DeSmog UK les immenses intérêts financiers et politiques qui tentent de nous convaincre de rester « climatosceptiques », plutôt que mobilisés aux côtés de cette nouvelle Cassandre. 

Un million de personnes dans les rues à Wellington le 20 septembre, un autre demi-million à Montréal une semaine plus tard.

Ce spectacle est à ne pas manquer, d’ici au 12 octobre, en reprise à la Salle Intime du Théâtre Prospero, 1371 rue Ontario Est, 514-526-6582. Entrée : de 20$ à 30$
https://theatreprospero.com

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Une réflexion sur “« CASSE-TOI, CASSANDRE! »

  1. Quand on parle de la violence des blancs dans les écoles, ça me semble un peu raciste dans la mesure où la très grande majorité des meurtres (et des meurtres d’enfants par armes à feu)) n’ont pas lieu dans les écoles et ne sont généralement pas le fait de blancs.

    Le problème est ailleurs. D’ailleurs, les endroits qui ont banni les armes à feu, voient de façon assez spectaculaire, les attaques à armes blanches augmenter.

    Une des question qu’on peut se poser, est pourquoi la Suisse, (qui n’a pas d’armée, parce qu’elle-même est une armée), où chaque citoyen est tenu d’avoir au moins une arme à feu, n’affiche pas le triste bilan des États-Unis.

    Peut-être que quelqu’un pourrait étudier quels sont les facteurs qui se comparent et diffèrent entre les deux pays, qui apporte un résultat tellement différent.

    Je sais, ce que j’écris ne correspond pas aux normes d’analyses habituelles de ces situations, mais c’est quand même la question que je me pose.

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