Trop de fierté annonce la chute : Pourquoi j’ai arrêté de manifester avec la Pride de l’organisation Stonewall 

Entre les mains du lobby Stonewall, la Pride a cessé d’être une manifestation politique pour la libération des gays et des lesbiennes, mais est devenue une fête corporatiste pour l' »identité de genre ».

par Julie Bindel

Journaliste, autrice et militante féministe

Publié le 18 juillet 2023 sur le site d’Al Jazeera

La Pride de Londres est un festival et un défilé LGBT+ qui a lieu chaque été.

« Je préférerais aller valser avec Donald Trump plutôt que de participer à la Pride aujourd’hui ». (Julie BINDEL)

Lorsque j’ai tweeté cette blague évidente (je suis nulle en danse de salon et je ne pense pas que je serais une partenaire idéale pour Trump) pendant le mois sacré de la Fierté, les réactions des suspects habituels ont afflué, comme prévu.

Les prétendues « féministes » et « gauchistes » (et je suis une féministe de gauche) m’ont qualifiée de « conservatrice régressive et homophobe » en expliquant qu’appuyer Trump était la pire chose au monde. Je suis bien sûr d’accord avec ce dernier argument (la blague fonctionne justement parce qu’il est horrible !) – mais certainement pas avec l’accusation initiale.

En quoi serait-il homophobe de reconnaître qu’au cours de la dernière décennie, la Pride est devenue une immense fosse septique pour la grande entreprise ?

Permettez-moi d’essayer de comprendre comment nous en sommes arrivé-es là.

La Pride n’a pas toujours été la grande « fête » corporatiste qu’elle est devenue aujourd’hui.

La première marche des Fiertés au Royaume-Uni, en 1972, était une  manifestation politique. Il y avait de quoi hurler. Les actes homosexuels n’ayant été décriminalisés que quelques années auparavant au Royaume-Uni, il était dangereux d’être autre chose qu’hétérosexuel sans la moindre ambiguïté. Dans les parcs et autres lieux publics, les gais étaient régulièrement arrêtés par des policiers qui se faisaient passer pour d’éventuels partenaires sexuels; ils se retrouvaient enfermés illégalement pendant des jours. Et même qu’il n’existait pas de lois ciblant spécifiquement les lesbiennes, il était encore plus difficile pour les femmes de vivre ouvertement en tant qu’homosexuelles.

Les mariages forcés et contraints étaient endémiques et les jeunes femmes étaient pratiquement conduites de force à l’autel. Les femmes qui s’avouaient ouvertement homosexuelles plus tard dans leur vie, après avoir eu des enfants avec un partenaire masculin, perdaient régulièrement la garde de ces enfants, les tribunaux de la famille choisissant de les confier à leurs pères (parfois violents) plutôt que  de permettre aux lesbiennes de les élever. Nous n’avions pas le droit d’adopter ou de placer des enfants en famille d’accueil, et les menaces de violences contre nous étaient une réalité quotidienne.

Ainsi, lorsque nous défilions à la Pride, nous avions vraiment quelque chose dont nous pouvions être fières. Nous étions « sorties », nous étions courageuses, nous étions des hors-la-loi sexuelles.

Ma première Pride a eu lieu en 1980. J’avais 18 ans. J’avais été licenciée de mon emploi et chassée de mon logement parce que j’étais lesbienne. J’étais en colère – et j’étais une résistante. Nous devions toutes l’être. Il y avait tant de choses à combattre. Le sentiment de solidarité entre les lesbiennes et les gais était exaltant, mais nous, les femmes, reconnaissions aussi que nous avions nos propres luttes à mener, en l’absence de nos frères gais.

Finalement, nous, les lesbiennes, avons créé notre célébration annuelle : Lesbian Strength. En 1983, j’y étais, âgée de 21 ans, et je me souviens d’avoir vu de petits groupes d’hommes gais applaudissant et nous encourageant le long du trajet. Nous étions unis dans la lutte pour notre libération commune.

Malheureusement, le mouvement a rapidement commencé à changer de direction et à perdre de vue l’objectif d’obtenir l’égalité des droits pour les gais, les lesbiennes et les bisexuels (LGB).

En 1989, le gouvernement conservateur de Margaret Thatcher a introduit l’article 28, un ensemble de lois interdisant la « promotion de l’homosexualité » dans les zones régies par les autorités locales, y compris les écoles, les théâtres et les bibliothèques. Cette législation a renforcé la stigmatisation de l’homosexualité et a donné naissance à une culture fondée sur la peur et l’autocensure parmi les gais et lesbiennes.

Au cours de la même année, pour lutter contre cette législation et la panique morale qui l’avait précédée, des gais et lesbiennes ont fondé Stonewall. Cette association tire son nom des émeutes survenues au bar Stonewall de New York en 1969, qui ont donné le coup d’envoi du mouvement de défense des droits des LGB dans l’hémisphère Nord.

L’objectif premier de l’organisation était d’obtenir l’abrogation de cet article 28 et d’empêcher que de telles attaques contre notre communauté ne se reproduisent à l’avenir.

Stonewall est rapidement devenue la principale voix de la communauté LGB et le principal organisateur de tous les événements de la Fierté gaie au Royaume-Uni.

Cependant, au fil des ans, Stonewall a adopté une position conformiste et a introduit un élément conservateur dans la lutte pour la libération gaie en Grande-Bretagne. Elle a mis l’accent sur la tolérance et l’acceptation plutôt que la libération, affirmant qu’au-delà de quelques gènes pervers, les LGB étaient identiques aux hétérosexuel-les. Les hommes gais ont rapidement accepté la notion d’un « gène gai » et se sont graduellement identifiés au mantra « nous sommes nés comme ça ». De nombreuses lesbiennes, en revanche, ont rejeté ce conformisme et ont commencé à s’éloigner de Stonewall et à lier leur mouvement à la libération plus générale des femmes.

Plus tard, après que les lesbiennes et les homosexuels ont obtenu l’égalité juridique avec les hétérosexuels – et que les possibilités de financement des campagnes de promotion des droits des LGB ont commencé à se tarir – Stonewall a opéré un un autre virage abrupt. Elle a rapidement ajouté un T à l’acronyme LGB et a fait de la question des transgenres son principal objectif.

Elle a également transformé la Pride, qui était d’abord une manifestation politique pour les droits des personnes attirées par les personnes du même sexe, pour en faire la célébration d’une vague « identité de genre », parrainée par de grandes entreprises. C’est également Stonewall qui a popularisé le mantra « les transfemmes sont des femmes », ainsi que le slogan « acceptation sans exception ».

D’une certaine manière, cela n’a rien de surprenant. Après tout, Stonewall avait donné la priorité aux hommes plutôt qu’aux femmes, dès sa création. Dans un premier temps, elle a privilégié les besoins et les perspectives des hommes gais par rapport à ceux des lesbiennes. Aujourd’hui, ce lobby donne la priorité aux hommes se disant femmes (les « transfemmes ») plutôt qu’aux lesbiennes et aux gays. Elle permet à des hommes de parler au nom des lesbiennes « en tant que lesbiennes ».

Par exemple, un des ambassadeurs de Stonewall, Alex Drummond, se décrit comme une femme transgenre et une lesbienne et va dans les écoles pour parler aux jeunes de l’identité et des problèmes des lesbiennes.

Il s’agit là d’un tout nouveau niveau d’appropriation.

Je n’ai pas encore trouvé de manière qui tienne la route de lier la libération gay et les questions transgenres. Chaque groupe a ses propres enjeux.

Les gays et les lesbiennes se sont battu-es pour être reconnus au nom de leurs droits plutôt que d’essayer de transformer physiquement qui nous étions. Nous cherchions à être validé-es comme des personnes égales devant la loi plutôt que d’obtenir un accès à des opérations chirurgicales ou à des traitements hormonaux financés par les contribuables.

Il n’a jamais été question d’empiéter sur les droits et libertés d’autrui, ni d’insister sur la nécessité d’un changement de comportement de leur part, sous prétexte qu’il ne devait y avoir « aucun débat ».

Aujourd’hui, Stonewall mène une croisade au nom du transgenrisme sans se préoccuper de comprendre à qui cette croisade peut nuire.

Ce lobby ferme les yeux, par exemple, sur les inquiétudes des féministes face aux propositions visant à permettre à toute personne qui s’identifie comme femme d’utiliser inconditionnellement les ressources, espaces et services juridiquement réservés aux femmes. Stonewall estime que de telles inquiétudes sont « sectaires » et comparables aux affirmations passées selon lesquelles tous les homosexuels sont des prédateurs sexuels et donc un danger pour les enfants. Cette comparaison est mensongère. Les féministes qui s’opposent à l’inclusion des transgenres dans les espaces non mixtes ne discréditent pas les transfemmes en tant que groupe ou ne les qualifient pas de « prédatrices ».

Ce que nous disons est simple : Les femmes ont besoin d’espaces non mixtes parce qu’une minorité suffisamment importante d’hommes (dont certains peuvent s’identifier comme des femmes ou prétendre l’être) sont effectivement des prédateurs sexuels.

Le vieux dicton « Trop de fierté annonce la chute » n’a jamais semblé aussi pertinent.

Je n’assisterai plus jamais à un événement de la Fierté tant que je ne verrai pas relâchée la poigne de fer exercée par Stonewall sur ses organisateurs et ses sponsors et cette manifestation revenir à ses racines : la lutte pour la libération des lesbiennes et des homosexuels.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’autrice et ne reflètent pas nécessairement la position éditoriale d’Al Jazeera.

Julie Bindel

Journaliste, auteure et militante féministe

Julie Bindel est journaliste, autrice et militante féministe. Son plus récent essai Feminism for Women : The Real Route to Liberation (Constable, Robinson) a été publié en mai 2021.

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