Kathleen Stock commente la guerre menée contre elle à l’Université d’Essex

Déclaration de Mme Kathleen Stock, lue in absentia lors de la conférence intitulée « Hate, Heresy and the Fight for Free Speech », Battle of Ideas, samedi 9 octobre, au Royaume-Uni

Je suis philosophe universitaire à l’Université du Sussex, féministe, et j’ai écrit sur des questions controversées concernant le sexe biologique, l’identité de genre, les droits des femmes et les revendications transactivistes. J’avais espéré m’adresser à vous personnellement lors de cette session, et je suis vraiment désolée de la manquer. Malheureusement, les événements survenus sur mon campus cette semaine m’en ont empêchée. Depuis le début de la semaine, je fais l’objet d’une campagne de harcèlement, explicitement destinée à me faire renvoyer pour mes opinions académiques. J’en ai eu la première impression lorsque j’ai trouvé des autocollants dans tout mon bâtiment parlant de la « merde transphobe qui sort de la bouche de Kathleen Stock ». Le lendemain, je suis tombée sur des affiches qui me nommaient, me diffamaient et demandaient mon renvoi, placardées sur mon chemin vers le campus. Les choses ont dégénéré à partir de là et maintenant la police est impliquée et traite cela comme du harcèlement.

La personne qui fait cela n’est pas du tout typique du type d’étudiant de Sussex auquel j’enseigne normalement. La plupart de mes étudiants sont les mêmes qu’ils ont toujours été : curieux, idéalistes, perspicaces, passionnés, pleins d’idées brillantes, désireux de faire ce qu’il faut, et très amusants auxquels enseigner. Mais ce qui a changé sur le campus au cours de la dernière décennie, c’est la façon dont la technologie – et plus particulièrement les médias sociaux – a permis à quelques étudiants aux tendances totalitaires d’avoir un effet de censure disproportionné sur les autres. Les jeunes ont maintenant peur de dire ce qu’ils et elles pensent. Dans une étrange inversion de la devise des suffragettes « des actes, pas des mots », sur les campus et dans la vie de la classe moyenne en général, on insiste intensément sur les mots et non sur les actes. Si vous vous trompez de mot, vous risquez une humiliation sociale, de la pire espèce : celle qui implique que vous êtes une mauvaise personne.

La culture universitaire est également différente de nos jours : grâce à l’introduction des droits d’inscription et aux classements fortement basés sur des mesures de « l’expérience de l’étudiant », elle s’oriente vers une approche pastorale, parentale et de cocooning, du moins superficiellement. Des organisations ralliées sous le slogan EDI (Égalité Diversité et Inclusion) bombardent le corps enseignant et les étudiants d’initiatives comme le fait de surveiller de près le matériel pédagogique afin de détecter tout langage « insensible », l’exigence de faire preuve de « gentillesse » et d' »inclusivité », l’émission d’avertissements, le fait de « dénoncer » les injustices perçues, le fait d’être un « spectateur actif » et d’autres instructions fortement moralisatrices et nébuleuses qui, bien entendu, peuvent être interprétées de manière très différente selon des sensibilités subjectives. Si, en tant qu’universitaire ou étudiant.e, vous exprimez une hésitation à l’égard de l’une ou l’autre de ces initiatives, vous êtes instantanément taxé.e de manque d’éthique et de mauvaises motivations. Le discours devient de plus en plus tendu, et l’impact évidemment préjudiciable sur la valeur de la liberté académique semble être ignoré par beaucoup de gens. C’est de ce terrain fertile qu’ont surgi mes étudiants harceleurs.

D’après mon expérience, de nombreux universitaires nient l’existence d’un problème de liberté d’expression dans le monde universitaire. Pour certains d’entre eux, c’est parce que leurs propres idées sont tout à fait banales pour la discipline dans laquelle ils travaillent, de sorte qu’ils n’ont jamais eu à remarquer le problème. Pour d’autres, c’est parce que, comme les étudiants, ils sont également pris dans un moment culturel moralisateur, autoglorifiant et polarisé, et qu’ils considèrent tout désaccord comme un signe instantané de caractère mauvais et corrompu. « Bien sûr, quelqu’un comme ELLE ne devrait pas avoir de tribune », disent-ils. « C’est une mauvaise personne ». Affaire classée.

Il s’agit d’une vision du monde remarquablement instrumentale et intéressée, qui signifie que vous n’avez jamais à examiner de manière critique vos idées préconçues ou à justifier votre propre position, et qui, d’après mon expérience, vous fait perdre des neurones à chaque minute. Si nous voulons sauver le monde universitaire de cette moralisation rampante, nous devons nous battre farouchement, collectivement, pour préserver un certain espace entre nos faits et nos valeurs.

Kathleen Stock

Version originale: https://kathleenstock.com/statement-read-in-absentia-h/

Lire d’autres articles de cet autrice en traduction sur TRADFEM, par exemple: https://tradfem.wordpress.com/2018/07/23/allocution-de-la-philosophe-kathleen-stock-a-brighton/

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.