Comment le féminisme « moderne » ou « de la troisième vague » profite aux hommes.

Affiché le 14 février 2017 par miranda yardley  

On m’a demandé de vous expliquer pourquoi je pense que le féminisme « moderne » ou « de la troisième vague » profite aux hommes. Voici le résultat. C’est une esquisse, ou un « brain-dump », imparfait et teinté d’opinions.

Connu sous le nom de féminisme « de la troisième vague » ou du « libre choix », le mouvement féministe populaire contemporain est fondé sur les concepts d’égalité, d’intersectionnalité et de choix personnel. À ces trois égards, il diffère du mouvement féministe « de la deuxième vague », qui a débuté dans les années 1960.

L’accent mis sur l' »égalité » constitue un écart fondamental par rapport à la philosophie libératrice du féminisme de la deuxième vague. La libération est synonyme de liberté, tandis que l’égalité est un terme relatif (« dans une prison, tout le monde est égal, mais pas libre »). Les avantages (même pour les hommes) de la libération des femmes de l’oppression masculine ne sont pas une idée nouvelle; voir « De l’assujettissement des femmes » de John Stuart Mill, rédigé en 1858. Le concept d’égalité déplace donc l’objectif de la lutte contre un problème structurel (l’oppression) vers une lutte contre la discrimination. Étant donné que cette dernière se rapporte à des détails plutôt qu’à des structures générales et qu’elle peut être aussi bien positive que négative, aucun avantage n’est de ce fait conféré aux femmes et elles ne peuvent que maintenir le statu quo ou aggraver leur situation ; les femmes n’ont de contrôle que sur les droits qu’elles souhaitent abandonner. Le féminisme de la deuxième vague attribue la racine de l’oppression féminine à la biologie féminine ; le sexe biologique des femmes est instrumentalisé en vue de l’oppression des femmes. Une distinction est établie entre le sexe biologique (rôle reproducteur) et le genre (attentes culturelles basées sur le sexe), et le genre est l’outil que les hommes utilisent pour opprimer les femmes sur la base de leur potentiel reproducteur.

Le concept d’intersectionnalité a été introduit par Kimberlé Williams Crenshaw en 1989 pour montrer que l’oppression fonctionne sur plus d’un axe, par exemple les femmes noires sont soumises à une oppression fondée à la fois sur la race et le sexe. En tant que concept, l’intersectionnalité est un outil précieux, car elle nous permet d’analyser plusieurs vecteurs d’oppression. Le féminisme intersectionnel lui-même peut être considéré comme un prolongement évolutif du féminisme de la deuxième vague et, lorsqu’il est appliqué aux femmes, il n’introduit aucun conflit. Le féminisme de la troisième vague introduit en revanche l’idée que les hommes peuvent être opprimés par les femmes sur la base du genre, et il conceptualise les hommes transgenres comme souffrant d’oppression sur l’axe du genre (interprété comme identité personnelle plutôt que hiérarchie), un prétendu privilège des femmes par rapport aux hommes, ce qui amène le mouvement féministe à se centrer sur les hommes et leur donner la priorité ; les femmes ne subiraient pas d’oppression matérielle en soi, c’est plutôt la catégorie sociale « femme » qui serait soumise à l’oppression, ce qui a pour corollaire que l’oppression est une chose à laquelle on peut s’identifier ou non.

Le féminisme de la deuxième vague se fonde sur une analyse marxiste des classes et est fondamentalement anticapitaliste. Il reconnaît que se concentrer sur les choix d’un individu peut ignorer les problèmes structurels qui conduisent aux inégalités. Le « choix » dans « féminisme du choix » comme synonyme du féminisme de la troisième vague provient de sa canonisation néolibérale du caractère sacré du choix personnel: le « féminisme du choix » est intrinsèquement néolibéral. Alors que, par exemple, le féminisme de la deuxième vague considère la prostitution comme une domination des hommes sur les femmes par le biais du droit au corps des femmes, même s’ils paient un prix pour exercer ce pouvoir, le « féminisme du choix » en fait plutôt une décision de la femme prostituée. Dans un monde de déséquilibre économique et de bandes criminelles qui trafiquent les femmes pour de l’argent, les oppressions structurelles du désavantage économique et de la domination sexuelle sont ignorées au profit d’une mise en valeur de ce « choix personnel ».

L’effet de ces trois différences est d’étendre le féminisme au-delà des femmes pour inclure et même centrer les hommes ; l’attention se concentre sur l’assouplissement des revendications de droits prêtés aux femmes, en les rendant accessibles aux hommes. La prostitution des femmes et d’autres formes de « travail sexuel » sont considérées comme un choix personnel plutôt que comme une exploitation, justifiant l’institution d’une base économique pour l’accès au corps des femmes plutôt qu’un consentement mutuel librement consenti. Ce cadre a l’effet pervers d’intégrer l’oppression des femmes dans une politique qui renforce la domination des hommes sur les femmes sous couvert d’équité et d’égalité. Au lieu d’être un mouvement qui fait campagne pour l’égalité des femmes avec les hommes, le résultat final est un mouvement de femmes qui renforce l’oppression des femmes. Avec des femmes opprimant des femmes.

Cela ne pourrait s’inventer!

Miranda Yardley

Miranda Yardley est un homme transgenre proféministe.

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Les propos qui suivent ont été ajoutés en tant que commentaire, mais leur autrice souhaite rester anonyme :

Bien que Kimberlé Crenshaw ait donné un brillant argument juridique et un nom au concept d’intersectionnalité, l’idée que les femmes puissent être victimes de discrimination pour plus d’un aspect de leur identité n’est pas nouvelle pour de nombreuses femmes.

Malheureusement, le concept est souvent utilisé pour deux aspects seulement : la race et le sexe. Mais s’il est universaliste de parler de la discrimination fondée sur le sexe comme si toutes les femmes étaient confrontées au même type d’oppression, il est tout aussi universaliste de dire la même chose des femmes noires, des femmes noires handicapées, des transsexuelles noires handicapées, etc. Nous devons trouver des points communs afin de pouvoir travailler ensemble sans autant de haine pour nos différences.

Vous avez utilisé un excellent exemple de femmes et de transsexuels travaillant ensemble contre la violence masculine. L’intersectionnalité a également conduit à l’idée que les féministes doivent lutter contre toutes les injustices de manière égale, car toutes les injustices affectent au moins certaines femmes. Cette exigence n’est pas appliquée aux autres mouvements avec la même force. La haine des femmes blanches est également liée à ce phénomène. Comme vous le savez peut-être, « féministe blanche » est désormais un terme péjoratif. Non seulement cela est universalisant, mais cela suggère également que l’oppression de genre ne suffit pas.

Une femme doit aujourd’hui appartenir à une autre classe opprimée pour être considérée comme opprimée. C’est pourquoi beaucoup de féministes blanches, moi y compris, se démènent pour dire que nous sommes pauvres, handicapées, etc. Bien sûr, cela profite aux hommes conservateurs qui ne croient pas à l’oppression sexuelle de toute façon, mais cela profite aussi à beaucoup d’hommes blancs progressistes qui n’ont pas à examiner la façon dont ils traitent les femmes blanches dans leur vie.

Version originale: mirandayardley.com/en/how-modern-or-third-wave-feminism-benefits-men/?

Traduction : TRADFEM

Une réflexion sur “Comment le féminisme « moderne » ou « de la troisième vague » profite aux hommes.

  1. J’avais été tellement frustrée sur Twitter de voir un homme noir se permettre de dire que les femmes blanches sont pires que les hommes blancs… Si une femme blanche disait « les hommes noirs sont pires que les hommes blancs », je pense pas que ça passerait. Mais la misogynie est ancrée de manière tellement insidieuse, et les femmes ont tellement tendance à se taire et à justifier l’oppression (« oui certes mon mari ne fait rien à la maison, mais moi aussi j’ai des défauts ») qu’on est pas prêtes de s’en débarrasser.

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