Sarah Ditum : Les délinquants sexuels peuvent-ils changer ?

PAR SARAH DITUM

Un nouveau documentaire suggère qu’il y a peu d’espoir de réhabiliter tous ces hommes qui se comportent comme des monstres.

L’an dernier, quarante-cinq millions de photos et de vidéos d’abus sexuels d’enfants ont été signalées par des entreprises technologiques. Quarante-cinq millions. Chacune d’entre elles est une mise en acte de violence contre un enfant ; et chaque fois que l’une d’entre elles est téléchargée, la douleur et la honte de cet enfant sont réactualisées pour le plaisir du spectateur. Alors combien de téléspectateurs y a-t-il pour cet immense catalogue de supplices ? Assez pour qu’en 2017, Simon Bailey, le Chef de police du Conseil National chargé de la protection de l’enfance, ait déclaré qu’il ne pouvait plus faire face au volume des délits.

Chaque mois, 400 hommes sont arrêtés pour le visionnage d’images d’enfants licencieuses. Au lieu de les inculper et de les faire passer devant un tribunal, Bailey a suggéré qu’ils soient inscrits au registre des délinquants sexuels, et qu’ils bénéficient de conseils et d’une réhabilitation. Cette proposition est scandaleuse : comment ne pas voir comme une insulte aux victimes et une dérogation à la morale le fait de considérer comme quelque chose d’anodin  des images d’abus d’enfants (et, n’oublions pas, de se masturber avec) ?

Mais en pratique, il est déjà courant que les hommes condamnés pour ces crimes – même ceux impliquant des images de catégorie A, celles qui sont les plus graves – reçoivent des peines non carcérales avec une obligation de réhabilitation. Il ne faut sans doute pas omettre de noter qu’il s’agit souvent de criminels en col blanc, d’hommes de la classe moyenne en famille ayant des emplois de classe moyenne. Ils ont agi de façon monstrueuse, mais ils ne ressemblent pas à des monstres. En tout état de cause, il est difficile d’imaginer un service pénitentiaire déjà surpeuplé qui pourrait accueillir autant d’occupants supplémentaires, et il est difficile d’affirmer que la prison a fait ses preuves pour améliorer la personnalité de ceux qui y font un séjour.

Il y a donc un problème. Que faire de ces 400 nouveaux pédophiles chaque mois ? C’est le sujet d’un documentaire qui sera diffusé sur BBC Three et qui pose la question : Les délinquants sexuels peuvent-ils changer ? La présentatrice Becky Southworth, ancienne victime d’abus sexuels de la part de son père, s’entretient avec des hommes condamnés pour des délits sexuels sur des enfants qui participent à des programmes d’accompagnement thérapeutique, ainsi qu’avec certains des expert.es qui effectuent cet accompagnement. « Je ne veux pas qu’il y ait d’autres victimes », dit-elle. « J’ose espérer que ces programmes fonctionnent réellement ».

Ce qu’elle ne dit pas, c’est que l’accompagnement thérapeutique des délinquants sexuels a un passé douteux. L’année dernière, il a été statué que le ministère de la justice a illégalement poursuivi pendant cinq ans l’utilisation du programme d’accompagnement des délinquants sexuels alors que des éléments avaient prouvé son inefficacité – ou plutôt, que s’il y avait un quelconque effet, c’était celui d’encourager les participants à commettre des délits.

Un rapport sur le programme d’accompagnement a révélé qu’il offrait l’opportunité pour les pédophiles de se mettre en réseau : « Lorsque les histoires sont partagées, leur comportement peut ne pas être considéré comme problématique ou anormal ; ou au pire, les contacts et les ressources associées à la délinquance sexuelle peuvent être partagées ».

Les expert.es interviewé.es par Southworth ne sont pas impliqué.es dans ce programme discrédité, et annoncent un bon taux de réussite – Belinda Winder, de la Safer Living Foundation, explique à Southworth que sur les 60 délinquants à haut risque avec lesquels la fondation a travaillé, un seul a récidivé. Les auteurs de ces crimes donnent une idée plus précise de ce à quoi peut ressembler cette réussite, et il n’est pas facile de sympathiser avec eux.

Ils se répartissent en deux grands groupes. D’un côté, il y a les hommes comme « Kyle » (tous les noms des hommes ont été changés et leur identité masquée), dont l’utilisation compulsive de pornographie les a conduits sur un terrain de plus en plus extrême, y compris l’imagerie avec des enfants. Ils se décrivent souvent comme « accros » et attribuent leurs crimes au stress.

De l’autre, il y a ceux comme « Andrew » qui sont sexuellement attirés par les enfants – le « vrai pédophile ». C’est le type « Andrew » qui inquiète le plus Southworth. « Il parle de son attirance pour les enfants comme d’une sexualité », dit-elle, « et pour moi, une sexualité n’est pas quelque chose que l’on peut changer, même avec une thérapie ».

Les experts insistent sur le fait que l’ostracisme subi par ces hommes est la pire chose qui soit. Plus ils sont coupés de la société, moins ils ont à travailler sur leurs tendances. C’est une chose d’entendre cela, et une autre d’être confronté à la réalité de « Vicky » qui a épaulé son partenaire « Chris » après avoir été condamné pour possession d’images d’enfants abusés. Southworth se demande au début comment quelqu’un peut rester avec un tel homme, mais à la fin de leur conversation, la question consiste plutôt à savoir ce que « Vicky » en retire. C’est peut-être bon pour la société, mais ça ne semble pas formidable pour elle.

Avec « Andrew », l’empathie monte encore d’un cran. Il soutient qu’un traumatisme précoce l’a figé dans une mentalité d’enfant dont sa pédophilie est l’expression ; Becky, qui en connait plus que la plupart des gens sur les traumatismes, pose alors un regard empli de scepticisme à la caméra. Le problème est que Andrew, en tant que personnage réel plutôt qu’abstrait, est assez écœurant. Lorsqu’il se plaint : « je suis traité comme un prédateur, mais en réalité j’ai toujours été beaucoup plus proche d’une victime », on se demande quelle place sa philosophie fait aux victimes réelles dans les images qu’il a utilisées.

Peut-être que « Andrew » lira mon qualificatif « écœurant », et aussi la spirale vers toujours plus de violences. Qu’est-ce qui empêche les hommes comme lui de travailler sur leurs désirs ? Ils savent qu’ils sont l’objet d’une réprobation publique. Le seul endroit où ils se sentent normaux est en présence d’autres personnes qui partagent leur transgression – le principal vecteur de prolifération des images d’enfants abusés est le partage informel à l’intérieur des réseaux pédophiles. Les hommes que Southworth rencontre sont des gens répréhensibles, ou tout au moins des gens qui ont fait des choses répréhensibles. Les expert.es affirment que leur réhabilitation dépend de leur capacité à se considérer comme des personnes pas totalement répréhensibles. C’est difficile à entendre.

Comme Southworth, j’ai d’abord visionné ce documentaire en voulant croire que les délinquants sexuels peuvent changer. Je l’ai terminé avec une grande admiration pour les personnes qui dispensent les programmes, car il s’avère que c’est un point au-delà duquel ma compassion ne peut pas aller.

Je veux que ces hommes vivent dans la honte de ce qu’ils ont fait et dans la terreur que ce soit découvert. En théorie je veux qu’ils aient une deuxième chance, mais en pratique, je n’arrive pas à en imaginer une seule à laquelle ils peuvent prétendre. Je veux qu’ils disparaissent. Au lieu de cela, ils sont 400 de plus chaque mois.

Traduction : Tradfem

Version originale : https://unherd.com/2020/08/can-sex-offenders-change/?=frlh

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