« Pas un maquereau, un manager » : Le Toronto Star enquête sur la traite sexuelle en Ontario

le 15 décembre 2015, par Meghan Murphy, sur Feminist Current

Deiaco

Matthew Deiaco : « Pas un mac, un manager. »

Le Toronto Star a publié à la mi-décembre le compte rendu d’une enquête approfondie sur la traite à des fins sexuelles à Toronto. La journaliste Olivia Carville s’est entretenue avec un certain nombre de victimes ainsi qu’avec des proxénètes de la région du Grand Toronto (RGT). Leurs trouvailles sont troublantes (même si elles ne surprennent personne qui suit ce dossier) et discréditent complètement les arguments libéraux en faveur de la prostitution.

La traite des personnes est endémique en Ontario et, contrairement à la croyance populaire, la plupart des victimes ne sont pas étrangères, mais nées au Canada. Le Star note que « des détectives et des travailleurs sociaux chevronnés estiment que le nombre de jeunes filles amenées par la traite en Ontario aujourd’hui se chiffre en milliers ».

Si ces filles et ces femmes sont effectivement contraintes à la prostitution, la principale méthode de contrôle n’est pas la force physique, mais la manipulation mentale.

Une des victimes avec laquelle a parlé Olivia Carville était une jeune fille de 27 ans nommée Natalie qui a rencontré son proxénète à 23 ans. Elle a été confinée dans une chambre d’hôtel et forcée à avoir des relations sexuelles avec des étrangers jour et nuit. Natalie a ramassé 30 000 $ en un mois, remettant le tout à son proxénète, qui a depuis été arrêté et attend son procès. Elle dit qu’elle aurait pu partir : « Je n’ai jamais vraiment su ce qu’était la traite. Pour moi, ça a toujours été une relation », a-t-elle déclaré au Star. « J’avais l’impression qu’il m’aimait vraiment. »

Même quand les filles sont libres de partir, elles ont peur de le faire. Le sergent Martin Dick a dit au Star qu’il avait trouvé dans une chambre d’hôtel une adolescente qui ne portait que des sous-vêtements affriolants : il lui a dit : « Laissez-nous simplement vous venir en aide, s’il vous plaît. » Elle s’est effondrée en larmes sur le sol. « Cette fille pleurait à chaudes larmes, dit-il, mais elle ne voulait pas venir tellement elle était démolie, battue et brisée. C’est si dur de repartir, parce que tu ne sais pas à quoi tu la laisses. »

Bien que Natalie ait été adulte lorsqu’elle fut prostituée, la plupart des victimes sont mineures lorsqu’elles rencontrent leurs proxénètes. Jade Brooks avait 17 ans lorsqu’elle fut prostituée dans un salon de massage de la banlieue de North York à 17 ans : « J’ai vu des centaines d’acheteurs de sexe et je n’étais qu’une petite fille », dit-elle. D’autres femmes et filles sont amenées à la traite sexuelle par l’intermédiaire des clubs de strip-tease de la région du Grand Toronto (ce que nient les défenseurs du « travail du sexe »). On les y amène et on leur interdit de quitter le club tant qu’elles n’ont pas gagné une certaine somme d’argent. La plupart ont été obligées de travailler toute la nuit et parfois aussi toute la journée. Natalie, par exemple, devait se lever à 7 heures du matin pour les hommes d’affaires en route pour le travail et rester debout jusqu’au rush de 3 heures du matin également. Beaucoup d’autres sont simplement permutées d’hôtel en hôtel, desservant jusqu’à 15 hommes par jour.

De nos jours, les femmes et les filles sont principalement amenées à la traite au Canada et aux États-Unis par l’entremise de sites Web comme Backpage.com. En fait, le Star indique que « sur les 359 cas de traite sexuelle sur lesquels la police de Toronto a enquêté depuis 2013, chaque fille a été annoncée sur Backpage ». Dans l’État de Washington, trois mineures qui avaient fait l’objet d’une publicité pour des activités sexuelles sur Backpage ont « intenté un procès contre cette entreprise, alléguant qu’elle avait contribué à ce qu’elles soient ʺachetées et venduesʺ comme prostituées », dit le Star. « Deux de ces filles étaient en septième année à l’époque et une affirme avoir été violée plusieurs fois par des hommes qui ont répondu à ces publicités en ligne. » Backpage a tenté de clamer son innocence en soutenant « ne pas être responsable parce qu’elle ne fait rien de plus que d’héberger du contenu posté par d’autres ».

(NdT: Backpage a déposé son bilan en 2016 après que le Procureur général des États-Unis ait déposé contre l’entreprise plusieurs accusations de traite sexuelle. Ses dirigeants ont écopé de lourdes peine de prison.)

La plupart des annonces sont assez élémentaires (il est certain qu’aucun client ne pourrait différencier une jeune fille victime de la traite des femmes adultes qui se présentent comme entièrement consentantes, symboles d’action, de choix et d’autonomisation, qui passent leurs journées à tweeter rageusement contre les féministes. En revanche, les policiers disent pouvoir parfois identifier une victime de la traite si le visage de la fille n’apparaît pas sur sa photo ou si elle offre une « véritable expérience de petite amie », des relations sexuelles anales et non protégées ou des fétiches [ooooh arrêtez de culpabiliser les perverses, messieurs les flics !]. Quelques exemples de publicités diffusées par Backpage :

« Venez jouer avec Chantelle. Moins de tracas qu’une petite amie, moins chère qu’une épouse. Baisez cruellement ou gentiment. Je serai extra-douce avec un soupçon d’épice. »

« Diamant à votre service. Je m’assure toujours que vous partiez satisfait. »

« Je m’appelle Nataly. Je suis ronde, blonde, ouverte d’esprit et enjouée. »

« Kylie F-K DOLL. Une extraordinaire poupée sexuelle 10/10, délicieuse et bien plus qu’intéressante. »

« Salut, je m’appelle Cherry. Je suis prête à donner vie à vos fantasmes les plus extrêmes. »

Pour être clair, voilà pourquoi une disposition du projet de loi C-36 rend illégale la publicité faite par des tiers. Non pas pour sévir contre les quelques femmes « volontaires » qui choisissent de vendre des relations sexuelles, mais pour mettre fin à l’exploitation et pour cibler les trafiquants et les proxénètes. Compte tenu de ce que nous savons de ces publicités et de la réalité de la traite au Canada [et ailleurs], celles et ceux qui s’opposent à la criminalisation de la publicité par des tiers peuvent être considérés comme des partisans de la traite sexuelles [Beaucoup d’entre eux vont jusqu’à nier l’existence même de la traite, la qualifiant de « mythe » ou minimisant grossièrement la gravité du problème.]

Au-delà de ces propos, une chose qui devrait troubler ces soi-disant « féministes sexe-positives » est que des proxénètes réels, vivants et violents disent littéralement la même chose qu’elles au sujet de la prostitution.

Matthew Deiaco est accusé de traite de personnes et purge une peine au Centre de détention de Toronto-Est à Scarborough. Il dit à Carville : « Le sexe fait partie de la vie. Je pense que si une femme veut en tirer de l’argent, elle ne devrait pas avoir à aller en prison [et il en est de même pour] quelqu’un qui l’aide. C’est sa vie, c’est son corps. »

Ce discours vous rappelle quelque chose ?

« Certaines personnes ne veulent pas d’une relation. Ils veulent juste obtenir ce qu’ils veulent et rentrer chez eux. Sans condition », ajoute-t-il.

Deiaco continue en disant, « Pourquoi arrêter des clients pour le simple fait d’avoir acheté une femme ? » Attendez un instant : « Acheter une femme ? » Je croyais que les hommes ne parlaient jamais comme ça, que c’était un cliché des abolitionnistes ? Je croyais que les féministes inventaient de toutes pièces ce truc d’une « industrie du sexe qui traite les femmes comme des choses, des marchandises à acheter et à vendre » ? Je me demande quand les défenderesses de l’industrie qui passent leurs journées à hurler contre les féministes vont tourner leur attention vers des hommes comme Deiaco…

Deiaco explique à la journaliste la facilité de faire en sorte que ces filles tombent amoureuses de lui et répondent à ses exigences. « La plupart de ces filles sont brisées », dit Deiaco. « Tu n’as qu’à répondre à leur demande. »

Comme je l’ai fait valoir à maintes reprises, la ligne que les partisans pro-prostitution tentent de tracer entre une activité « forcée » et « volontaire », est, au mieux, floue. Ces proxénètes n’ont pas besoin de kidnapper qui que ce soit, ils cherchent des filles vulnérables et leur vendent « un rêve », comme le dit Deiaco. « Il s’agit de trouver leur faille. Pour certaines, c’est la drogue, d’autres ont juste besoin de s’entendre dire ʺJe t’aimeʺ… Savoir que quelqu’un se soucie d’elles les répare. »

Deiaco est accusé de traite, mais techniquement, les filles qu’il prostitue sont volontaires. Il ne les tient pas en otage, littéralement. Il les encourage simplement à « choisir » et soutient leur « choix ». Comment les défenseurs de l’industrie pourraient-ils expliquer cela ? Est-ce que ce qu’il fait est mal, à leurs yeux ? Comment les « féministes sexe-positives » qui veulent tellement faire la différence entre la traite et le « travail du sexe » pourraient-elles expliquer tout cela ?

La réalité de la prostitution pour la plupart des femmes et des filles et la façon dont les organisations qui militent pour sa légalisation tentent de déguiser cette réalité avec un langage manipulateur les font paraître d’autant plus insensibles.

Comme les féministes de la troisième vague qui envahissent le réseau Twitter, Deiaco n’aime pas le mot « proxénète ». Il préfère se qualifier de « manager ». Deiaco ricane un peu en disant cela à la caméra ; il semble conscient d’utiliser à son avantage le discours des « féministes sexe-positives ».

C’est une habile stratégie, bien sûr.

photomeghanmurphybouclesoreilleMeghan Murphy

 

Version originale : https://www.feministcurrent.com/2015/12/15/not-a-pimp-a-manager-toronto-star-trafficking/

Traduction : TRADFEM

Tous droits réservés à Meghan Murphy.

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