Séquelles

Publié le 30 mai 2017 par Rebecca MOTT sur son blogue : https://rebeccamott.net/

Je vais essayer d’aborder mon traumatisme, de l’aborder de l’intérieur.

J’ai envie de me cacher, je regrette de m’être fait du mal.

Au cœur du traumatisme, le suicide semble un choix raisonnable.

Mais ma volonté obstinée signifie que je continue à continuer – mais avec douleur, avec tristesse et avec une fureur.

Je ne peux pas être complaisante au sein de cet enfer durable.

Donc, je veux parler ici des nombreuses manières dont les femmes sorties de la prostitution sont maintenues dans une condition sous-humaine, ne sont jamais vraiment autorisées à retrouver une place dans la société.

Je vais parler du sens de survivre à la traite domestique.

Et je vais parler de l’importance d’établir des liens avec d’autres gens qui ont connu la torture ou cette condition sous-humaine, sans limiter ces liens à des opinions occidentales simplistes au sujet de la politique.

Je dois dire que je vais écrire cela de l’intérieur de mon traumatisme ; il pourra donc m’arriver de perdre le fil ou même de perdre espoir dans ma façon de m’exprimer.

Mais je veux parler à partir de l’intérieur du traumatisme ; c’est vous qui, en me lisant, devez progressivement apprendre la langue et les liens propres à l’âme prostituée.

J’écris habituellement dans une langue adaptée à ce que je crois qu’on sait des personnes prostituées. J’en retranche le découragement, l’humour de potence et les mots qu’échangent en secret les femmes sorties de la prostitution.

J’autocensure mon sentiment d’être abandonnée de toutes parts en tant que femme sortie du milieu, et je dis merci pour les miettes qu’on nous laisse.

Mais pourquoi les femmes sorties du milieu devraient-elles toujours se montrer complaisantes, alors que nous voyons, entendons et savons qu’il se fait tellement peu pour affirmer que nous sommes pleinement humaines et méritons dignité et justice ?

Je ne m’adresse pas ici au lobby du travail du sexe, mais à ceux et celles qui se sont définis comme des alliés.

Je parle aux abolitionnistes qui nous voient comme des animaux de compagnie – appelées à performer nos « récits » de souffrance – mais qui coupent court si nous parlons de réclamer justice, si nous parlons de notre compréhension approfondie du pouvoir et de la violence des hommes, si nous parlons de nos vies en dehors de ce rôle d’être sorties du milieu.

Vous nous aimez en tant que victimes, en tant qu’avertissements aux autres femmes, en tant que témoins courageuses – mais vous ne voulez pas de nous comme êtres humains à part entière avec des rêves, des loisirs, des désirs et une sexualité.

Vous voulez que nous restions dans un état de traumatisme, alors vous fouillez nos passés à la recherche de preuves de douleur, à la recherche d’indices vous permettant de dire que la prostitution est dommageable.

Vous n’avez aucune considération pour le fait que nous ne voulons pas nous répéter constamment, en sachant que chaque mot qui plonge dans notre passé est une autre entaille dans nos cœurs.

Vous nous présentez comme courageuses – mais ce discours est celui qui fait de nous des « Autres ».

Nous ne sommes pas courageuses, nous sommes seulement des témoins d’événements et d’horreurs que nous n’aurions jamais dû connaître – et aujourd’hui nous nous battons pour les éliminer de cette planète.

J’essaie de parler mes souvenirs d’avoir été victime de la traite domestique.

J’ai été amenée à la prostitution intérieure dès l’âge de 14 ans.

Tellement jeune, mais après trop d’années d’agressions sexuelles et psychologiques chez moi – tellement convaincue que je savais tout, tellement avide de vivre, tellement convaincue que rien n’avait d’importance.

Comme beaucoup de filles vulnérables qui sont piégées dans l’industrie du sexe, je pensais ne jamais pouvoir souffrir plus que je ne souffrais déjà, je croyais avoir atteint le fond de la haine de soi.

J’avais une naïveté à toute épreuve.

Je n’avais aucune idée que la prostitution allait me faire vivre une douleur, une terreur et un désespoir qui allaient donner à l’inceste l’allure d’une répétition.

La traite domestique, c’est essentiellement user jusqu’à la corde des filles vulnérables, jusqu’à ce qu’elles oublient ce que c’est d’être humaine, oublient l’idée même que quelqu’un se soucie d’elles, oublient qu’elles peuvent être jeunes et connaître l’espoir.

C’est monstrueux et cela se fait partout où la prostitution est la norme.

Les prostitueurs veulent de la chair jeune, beaucoup de prostitueurs aiment détruire l’innocence à coups de bite, détruire à coups de bite les rêves d’enfance ou d’adolescence.

Le prostitueur va payer pour le mensonge que sa pute est de fraîche, qu’elle est vierge et qu’elle lui appartient. Même s’il sait que des centaines d’autres prostitueurs la possèdent et la posséderont aussi.

La traite interne est seulement le visage de l’approvisionnement de ce marché.

Être cette prostituée est un suicide au ralenti.

Survivre à ce traitement est super – mais ce n’est pas la fin ; la survie et la sortie du milieu après avoir vécu la traite interne est simplement le début d’un autre enfer.

Je suis entrée et sortie de la prostitution intérieure à plusieurs reprises entre les âges de 14 à 27 ans.

C’est ce qu’a été mon adolescence et ma période de croissance, le temps où l’on trouve ce qui fait de soi une personne, le temps où j’aurais dû commettre des erreurs dont je pourrais rire aujourd’hui.

Ce temps a été perdu pour moi ; je n’ai jamais été en sécurité ou jamais suffisamment pour devenir un être humain.

Au lieu de cela j’ai été, durant mes années de croissance, un objet sexuel débranché ou branché à la guise des prostitueurs.

Ma normalité a été un monde de violence, un monde où les femmes et les filles disparaissaient, un monde où les prostitueurs pouvaient infliger toutes les violences que des êtres humains peuvent inventer, sans subir la moindre conséquence.

Et maintenant, en tant que femme sortie, on s’attend à ce que je tourne la page sur tout ça.

Eh bien, j’ai été torturée, violée en série, violée en bande, on m’a mis du sperme sur tout le corps et dans les cheveux, j’ai subi des viols oraux et anaux, j’ai été étranglée, ai été noyée, ai été battue, ai été proche de la mort à plusieurs reprises – et ça, ça n’est que le sommet de l’iceberg.

Je ne peux simplement tourner la page sur tout cela.

Penseriez-vous qu’un homme torturé en prison devrait simplement tourner la page ?

Dites-vous de « simplement décrocher » à une amie qui vit un viol ou de la violence conjugale ?

Mais on s’attend à ce que les femmes prostituées ne se plaignent pas trop, ou ne parlent pas de ce que les prostitueurs leur font.

Nous ne devons troubler personne, nous devons nous montrer complaisantes – parce qu’en tant que personnes sous-humaines, on ne nous laisse pas ressentir de la douleur, réclamer justice ou même dire que nos expériences sont un scandale.

Ces choses sont si difficiles à écrire que je vais arrêter pour un moment.

Veuillez répondre si vous le pouvez.

Version originale :  https://rebeccamott.net/2017/05/30/aftermath/

Traduction: TRADFEM, avec l’autorisation de l’autrice.

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Et n’hésitez pas à partager ce texte.

rebecca mott award

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