Aux olympiades de l’oppression, les femmes sont toujours perdantes

Par Jo Bartosch, d’abord publié sur le blog Feminist Current, le 22 avril 2017

Dans leur activisme en faveur des droits des trans, les « progressistes » se réclamant du néo-libéralisme contribuent en fait au démantèlement de mesures de protection de l’identité sexuelle pour lesquelles se sont battues plusieurs générations précédentes de féministes.

Lorsque j’ai commencé à militer à la fin des années quatre-vingt-dix, cela m’a rendue aussi à la mode que les jeunes amateurs de Dongeons et Dragons, mais avec moins d’amis (et une vulve). Je me suis fait les dents sur la scène politique en distribuant avec enthousiasme des tracts qui alertaient les gens au fanatisme du British National Party (extrême-droite) avec la juste ferveur d’une adolescente marxiste. À ce titre, je suis assez surprise de me retrouver, une demi-vie plus tard, qualifiée à plusieurs reprises de « fasciste ».

Il semble que ce qui me fait ressembler, comme les autres féministes qui pensent comme moi, à des gens comme Mussolini, Hitler et Franco, c’est notre choix de prioriser les droits des femmes et des filles. Et cette critique ne vient pas seulement de la gauche – on voit même des personnes aussi ancrées dans le ventre de l’establishment que Maria Miller, présidente de la Commission parlementaire sur les femmes et les égalités, persifler nos préoccupations en cherchant à nous discréditer comme de « prétendues féministes ».

L’enjeu qui nous attire de telles calomnies, aussi bien de la gauche que de la droite, est celui de l’identité de genre. À ce stade, je devrais m’excuser auprès de mes collègues libéraux dont l’indignation risque d’asperger d’hummus leurs iPhones, mais j’avoue ne pas faire grand cas du sentiment d’identité interne d’un individu. Je ne veux pas provoquer de désagrément excessif, et j’utiliserai les pronoms et les noms que choisissent les gens, mais au final, s’il existe une disjonction entre la façon dont un individu se sent et son apparence personnelle, c’est à lui ou elle de piloter ce navire.

Au Royaume-Uni, la première enquête lancée par la Commission sur les femmes et les égalités, dès son lancement en 2015, fut une « Enquête sur l’égalité des transgenres ». L’une de ses recommandations fut la mise à jour de l’Equality Act britannique (2010) pour remplacer le terme de « réaffectation de genre » par une caractéristique protégée contre toute discrimination, « l’identité de genre ».

À première vue, cette initiative pouvait sembler une tentative inoffensive d’aligner notre vocabulaire sur la terminologie privilégiée d’un mouvement en évolution rapide. En pratique toutefois, on ne saurait sous-estimer les ramifications de cette réforme pour les droits et la sécurité des femmes et des filles.

Bien que ce débat soit souvent réduit à l’enjeu d’un accès aux toilettes publiques, on peut également soutenir que les politiques pénitentiaires présentent les exemples les plus pertinents des effets concrets que pourrait avoir la ségrégation des personnes sur la base de leur auto-déclaration de genre. La loi précise que, dans des circonstances exceptionnelles, toute personne trans (bien que, curieusement, il s’agit toujours en pratique de transfemmes) peut être déplacée d’un établissement pénitentiaire à un autre sans Certificat de reconnaissance de genre (CRG).

Ainsi, Tara Hudson, un délinquant violent et récidiviste, a été transféré dans une prison pour femmes, malgré son absence de CRG, suite à une campagne médiatique bien orchestrée pour émouvoir les libéraux bien intentionnés partout au pays. Pourtant, dans une publicité vantant son travail d’escorte, Hudson se vantait d’offrir à ses clients une « surprise de douze centimètres ». Cela pourra en surprendre plusieurs, mais la majorité des hommes qui s’identifient comme femmes ne choisissent pas de subir de chirurgie.

Le mois dernier, Annabelle Ford, qui détient un CRG, a battu un ami avec un poteau d’échafaudage sous les yeux d’un enfant. Ford a abouti dans une prison pour femmes où 81 p. 100 des délinquantes sont incarcérées pour des crimes non violents. Et à ce jour, aucune campagne n’a été organisée pour imposer le déménagement dans des prisons pour femmes de détenus semblables non opérés qui s’identifient comme femmes mais ne possèdent pas de CRG – des violeurs comme Davina Aryton, ou des pédophiles comme Nicola Florida et Jasmine Hill.

Mais si le concept d’auto-identification devient une caractéristique protégée, il n’existera plus de base juridique permettant de contester le sentiment qu’affiche un individu de son identité de son genre. Cela signifie qu’en pratique, des mesures de protection sexuelle pour lesquelles des générations précédentes de féministes se sont battues seront effectivement annulées.

Nous souffrons collectivement d’un point aveugle en ce qui concerne la violence masculine. Il est triste de constater que la violence à laquelle sont acculturés les hommes ne change pas en même temps que leur identité de genre

La notion de « parapluie trans », que favorisent les principaux groupes de trans-activistes, s’étend à toutes les personnes qui portent des vêtements associés à l’autre sexe. Même s’il serait malhonnête de laisser entendre que tous les travestis sont des Norman Bates (le meurtrier misogyne du film Psycho), on peut supposer qu’un assortiment de lingerie fine ne réussira pas à faire magiquement disparaître les normes socialisées du comportement masculin. C’est là, selon moi, le cœur du problème : nous souffrons collectivement d’un point aveugle en ce qui concerne la violence masculine. Il est triste de constater que la violence à laquelle sont acculturés les hommes ne change pas en même temps que leur identité de genre ; et surtout, les femmes, elles,  ne peuvent échapper à ce risque en s’identifiant autrement. S’il existe des établissements et des locaux réservés aux femmes, ce n’est pas parce que les femmes sont prudes, mais bien parce qu’une minorité importante d’hommes se comportent en prédateurs envers elles.

Les recommandations de l’enquête sur les transgenres seront-elles formellement mises en œuvre ? Il se peut que la question ne soit pas même plus pertinente. En pratique, l’expression d’« identité de genre » a déjà été adoptée comme critère en lieu et place du sexe dans bon nombre d’organismes appelés à statuer sur ces questions. Plus tôt cette semaine, la National Union of Teachers a voté en faveur d’une promotion de l’identité de genre dès l’école maternelle. Les Guides elles-mêmes préfèrent maintenant l’auto-identification au sexe biologique comme critère pour devenir cheftaine. Et vérifiez où en est votre hôpital local : il est probable que, malgré les lourdes amendes imposées aux patients qui s’infiltrent dans les salles réservées aux femmes, si un patient masculin s’identifie comme femme, il sera placé avec elles.

La réponse standard aux préoccupations soulevées face à l’abolition des droits des femmes au nom de l’identité de genre consiste à affirmer que les transfemmes vivent des risques disproportionnés de violence. Il faut noter à ce sujet que l’assertion souvent répétée selon laquelle « une transfemmee sur douze est assassinée » fait référence à des transfemmes prostituées de couleur en Amérique du Sud et non à des informaticiennes blanches de Surrey. En outre, ce ne sont pas des gangs de méchantes féministes qui tuent et mutilent des personnes trans ; ce sont des hommes.

Il est particulièrement frustrant de voir que l’on consulte rarement celles et ceux d’entre nous qui comprenons le genre comme un ensemble de stéréotypes nuisibles à abolir, plutôt qu’une performance libératrice, lorsque sont prises des décisions politiques à ce sujet. J’imagine que si je choisissais de m’identifier en tant qu’homme, l’on prêterait sans doute plus l’oreille à mes inquiétudes concernant la sécurité des femmes…

Chelt Fems

Les Chelt Fems dans la rue.

Jo Bartosch a fondé le groupe féministe Chelt Fems, qu’elle a présidé pendant sept ans. En mars, elle est devenue directrice de Critical Sisters, une organisation formée pour promouvoir la libération des femmes et la pensée critique dans l’ensemble de la gauche. Suivez ses écrits sur Twitter : @CriticalSisters.

Version originale : http://www.feministcurrent.com/2017/04/22/oppression-olympics-women-always-lose/

Traduction : TRADFEM, avec l’autorisation de l’autrice.

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