Voilà à quoi ressemble le féminisme

Les féministes « critiques à l’égard du genre » ont représenté le meilleur du féminisme.

Par Victoria Smith, dans The Critic, le 5 juin 2024

Quelque part au fond d’un tiroir, j’ai un t-shirt de la Fawcett Society intitulé « Voici à quoi ressemble une féministe ». Ces t-shirts sont devenus tristement célèbres il y a une dizaine d’années pour deux raisons : les allégations selon lesquelles certains d’entre eux avaient été fabriqués dans des ateliers clandestins et la pression exercée sur les hommes politiques pour qu’ils « fassent leurs preuves » en en portant un. Nick Clegg et Ed Miliband se sont pliés à l’exercice ; David Cameron ne l’a pas fait, bien que le magazine Elle le lui ait demandé à cinq reprises.

David Cameron a eu raison de refuser. Si l’intention sous-tendant ces t-shirts était peut-être de remettre en question les stéréotypes sur le féminisme, le problème est que, dans ce cas, le fait de posséder le t-shirt ne prouve pas que l’on est passé par là et que l’on a fait cela. Pour ma part, je pense que j’ai porté le t-shirt une fois, au cours de laquelle j’ai laissé tomber la sororité en me garant mal chez Sainsbury (un grand magasin londonien). En outre, je pense que mon propre look est plutôt « maman de la deuxième vague », donc je ne vois pas trop quels stéréotypes je démolirais de toute façon. Si je suis féministe, c’est en raison de mes convictions.

The Women Who Wouldn’t Wheesht, Lucy Brown et Susan Dalgety (eds), Constable, £17.79

J’ai réfléchi à cette question dans le contexte de deux nouveaux livres, l’un publié en mai, l’autre à paraître le mois prochain. The Women Who Wouldn’t Wheesht est un recueil d’écrits de femmes sur l’activisme féministe récent en Écosse, édité par Susan Dalgety et Lucy Hunter Blackburn, tandis que Sexed, de Susanna Rustin, journaliste au Guardian, est une histoire du féminisme britannique depuis la fin du dix-huitième siècle. À la lecture de ces deux ouvrages, j’ai ressenti un immense soulagement. Voilà à quoi ressemble le féminisme. Nous commençons enfin à replacer le militantisme de la dernière décennie dans son contexte légitime.

Pour l’instant, ces livres peuvent être classés dans la catégorie « critique à l’égard du genre », un terme que je n’aime pas personnellement. Je comprends qu’il puisse avoir une utilité pratique, mais tout comme le mot « cis » cherche à faire des personnes de sexe féminin une sous-catégorie de « femmes », l’expression « critique du genre » fait du vrai féminisme une sous-catégorie de féminisme et cela ne fonctionne qu’au niveau d’un slogan de t-shirt.

Les femmes, comme l’a écrit Julie Bindel dans son excellent essai de 2022 « Feminism for Women », « ne peuvent pas demeurer un élément secondaire de notre propre projet politique ». Il a été étrange et consternant de constater la manière dont beaucoup de gens ont caractérisé les féministes « critiques à l’égard du genre » – c’est-à-dire les féministes qui pensent que le sexe est politiquement important et que les stéréotypes liés aux rôles sexuels sont nuisibles – comme une étrange ramification d’un féminisme « normal » qui n’aurait jamais eu d’idées claires sur ce que sont les hommes et les femmes.

Depuis plusieurs années, on nous demande d’accepter l’idée que nous – les féministes « critiques à l’égard du genre » – sommes en conflit avec les féministes « trans-inclusives » (une expression qui sonne beaucoup mieux – qui ne préférerait pas être « inclusive » plutôt que « critique » ?) Mais ce cadrage n’est pas du tout le bon. Loin d’être un cas de conflit entre féministes, il s’agit d’un affrontement entre féministes et antiféministes – même si ce second groupe se pare d’une identité de « féministe ». Les féministes sont en désaccord sur plusieurs enjeux – la meilleure façon de résoudre la violence masculine, la garde des enfants, la redistribution des richesses, le commerce du sexe – mais il ne s’agit pas du même type de désaccord. Il ne s’agit pas d’un différend sur la meilleure stratégie à adopter pour minimiser les préjudices subis par les femmes. Il s’agit de savoir si les femmes ont réellement de l’importance.

Lorsque des universitaires comme Judith Butler et Catherine MacKinnon tentent de brouiller la distinction entre la libération des femmes et la libération du mot « femelle » de toute association avec les femmes humaines, il ne s’agit pas de féminisme. Lorsque des violeurs sont emprisonnés avec des femmes vulnérables et que des femmes ayant survécu à un viol se voient refuser des services de soutien non mixtes, il ne s’agit pas de féminisme. Lorsque les lesbiennes sont comparées à des racistes parce qu’elles ne veulent pas coucher avec des hommes, ce n’est pas du féminisme. Lorsque des hommes prétendant être des femmes vantent le plaisir d’être traités « comme un morceau de viande “ ou nous disent que ” se faire baiser fait de vous une femme parce qu’être baisée est ce qu’est une femme », ce n’est pas du féminisme. Lorsque l’ablation de parties saines du corps est considérée comme nécessaire pour ne pas être catégorisée comme ledit morceau de viande, ce n’est pas du féminisme. Lorsque les femmes sont réduites à des « corps avec des vagins » et que les hommes restent des hommes, ce n’est pas du féminisme.

Les personnes qui se sont opposées à tout cela ont appliqué les principes féministes fondamentaux. Elles ont été courageuses. Pendant si longtemps, il leur a été si difficile de se faire entendre que le fait de s’attendre à être reconnues comme les seules véritables féministes dans la salle – par opposition au stéréotype de Karens figées dans le passé qui ne comprennent tout simplement pas que « notre conception du genre a changé » – a semblé être un rêve lointain. Je pense que nous sommes beaucoup plus proches de cet objectif aujourd’hui.

Sexed, Susanna Rustin, Polity, £18.40

Au début de Sexed, Susanna Rustin décrit « la résurgence du militantisme féminin de base en Grande-Bretagne » comme « l’un des développements politiques les plus extraordinaires de ces dernières années ». Pourtant, note-t-elle, « ce militantisme n’a pas reçu la reconnaissance qu’il mérite de la part des politiciens ou des organisations de la société civile qui prétendent appuyer les droits des femmes. Au lieu de cela, il a été calomnié, attaqué, ignoré et mal compris ». Heureusement, Sexed présente les travaux de ces dernières années non pas comme une distraction embarrassante de l’ordre d’une « guerre culturelle », mais comme la continuation de la résistance féministe au patriarcat.

Tout au long de l’ouvrage, Rustin nous rappelle que les féministes d’antan n’étaient pas systématiquement applaudies pour être « du bon côté de l’histoire ». Elles aussi ont eu à lutter pour articuler l’importance de la reconnaissance de la différence des sexes sans permettre qu’elle soit utilisée pour justifier l’oppression. Il n’a jamais été facile de dire que les femmes comptent autant que les hommes sans être accusée de cautionner l’infériorité féminine. Ceux qui geignent actuellement que les « terfs réduisent les femmes à leurs organes reproducteurs » sont de la même veine que ceux qui ont toujours associé la féminité à l’avilissement. Les misogynes à l’ancienne détestaient le féminisme en tant que mouvement en faveur des femmes ; les misogynes nouvelle mode ont rendu le féminisme acceptable en le dissociant de la condition des femmes. Il me semble que les sentiments sous-jacents sont à peu près les mêmes.

The Women Who Wouldn’t Wheesht fournit un compte rendu nécessaire du militantisme, mais aussi de la souffrance. Comme l’ont souligné des contributrices telles que Jenny Lindsay, le problème n’est pas seulement que les exigences des transactivistes sont antiféministes. Il s’agit du fait que toute femme qui s’y oppose sera soumise – comme l’ont toujours été les femmes au franc-parler – à des violences misogynes extrêmes. « Il n’y a pas d’équivalent masculin à l’insulte déshumanisante de TERF, écrit Lindsay, crachée des lèvres d’hommes amateurs de brutalité délicate, dotés par ce mouvement d’un tel pouvoir de violenter, de salir, de traquer. Il faut beaucoup d’arrogance pour qualifier un tel comportement de progressiste ».
Mais il est essentiel que ce comportement soit reconnu comme de sectaire et haineux.
Ceux qui en sont à l’origine n’ont pas été poussés par un soudain élan de compassion à l’égard des personnes désorientées par leur sexe. La nouvelle conception du monde en miroir – où la compassion des femmes pour les autres femmes est présentée comme de la haine pour des personnes marginalisées, tandis que la haine des hommes dits « progressistes » pour les féministes est présentée comme de la « protection pour les enfants trans » – est aussi insultante qu’absurde.

Comme Dalgety et Hunter Blackburn le soulignent à la fin de leur livre, la lutte pour les droits des femmes, en Écosse et ailleurs, se poursuit. Néanmoins, la manière dont cette histoire est racontée vient de connaître un sérieux revirement. La récente tentative de Judith Butler d’associer les féministes à l’extrême droite est tombée à plat. Il y a une limite à la durée où l’on peut prendre au sérieux comme argument la phrase « Vous êtes l’équivalent de Donald Trump », et la nouvelle “féminazie” n’a jamais été très éloignée de l’ancienne.

Il n’est plus temps de prétendre que les féministes « critiques à l’égard du genre » sont engagées dans un débat avec un autre type de féministe, plus sophistiqué. Soit votre priorité est les femmes – et vous savez ce qu’est une femme – soit elle ne l’est pas et vous ne le savez pas. Il n’a jamais été question de « la question des trans ». Il s’agit des mêmes personnes que celles dont le féminisme s’est toujours occupé : les femmes et les filles les plus vulnérables. Désolée, chers antiféministes. Tout ne tourne pas autour de vous.

Victoria Smith

Traduction: TRADFEM

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