Ce nouveau livre pourrait mettre fin aux homicides conjugaux

Un horrible recueil de comptes rendus d’agressions identifie des patterns de violence mortelle

Une recension de Julie Bindel, publiée sur Unherd, le 8 mars 2021.

In Control : Des relations dangereuses et comment elles se terminent par des meurtres

Pendant la période de confinement, les appels aux lignes d’assistance téléphonique pour violences conjugales ont augmenté de 66%.

Le truc avec les homicides domestiques, c’est qu’on les voit toujours venir. Il existe un modèle de comportement coercitif et contrôlant adopté systématiquement par les hommes violents envers leurs partenaires féminines, qui commence toujours par un bombardement d’amour et qui, s’il n’est pas contrôlé, se termine par un meurtre.

Au Royaume-Uni, une femme est tuée par son partenaire ou son ex-partenaire tous les quatre jours. Et un mythe persiste selon lequel ces meurtres sont spontanés – juste le résultat de deux personnes se disputant et l’une d’entre elles finissant par mourir.

Mais, comme l’explique clairement la criminologue de renom Jane Monckton-Smith dans son nouveau livre, In Control : Dangerous Relationships and How They End in Murder : « Ce sont les homicides les plus prévisibles, c’est pourquoi nous pouvons et devons les prévenir. »

Pour démontrer son point de vue, Monckton-Smith a développé une méthode pour détecter de telles relations et y intervenir. Selon son calendrier en huit étapes, l’escalade du risque peut être suivie et arrêtée avant qu’elle n’atteigne une conclusion mortelle.

Elle a formulé ce modèle au cours d’un projet de recherche basé sur 400 homicides commis par des partenaires intimes. En examinant chacun de ces cas, elle s’est rendue compte qu’ils se déroulaient tous de la même manière, même les quatre cas de femmes qui ont tué des hommes. Une fois publiée, sa recherche a naturellement été accueillie avec une frénésie d’enthousiasme et d’attention; elle a donc décidé de la développer en un livre.

In Control constitue une lecture dévastatrice. Le livre débute par le plus déchirant des comptes rendus de la complexité et du caractère meurtrier de la violence conugale qu’il m’a jamais été donné de lire. On y suit les débuts de l’autrice dans les services de police, un récit de sa présence sur la scène d’un « attentat domestique ». Jane Monckton-Smith arrive pour aider une jeune femme qui a été frappée à la tête avec un marteau. « Son petit ami – son agresseur – avait fui la scène avant l’arrivée d’aucun d’entre nous. La femme regardait simplement le sol, silencieuse et très immobile. Du sang coulait à l’arrière de sa nuque et sur le tapis. Malgré ses graves blessures, la femme a refusé d’aller à l’hôpital.

Cette narration m’a laissée en larmes, impatiente de savoir ce qui avait poussé Monckton-Smith à se plonger dans les détails horribles de ces centaines d’homicides. « La colère », me répond-elle.

Après avoir rejoint et quitté le service de police, et avoir été à la tête d’un groupe de heavy metal pendant une décennie, elle est ensuite retournée à l’école. « C’est alors que j’ai commencé à étudier la criminologie », me dit-elle. « Et c’est là que j’ai commencé à vivre cette colère. »

Se concentrant sur la violence masculine pendant ses études de troisième cycle, Jane Monckton-Smith a lu les travaux de criminologues féministes comme Sue Lees, dont les travaux ont mis en évidence la misogynie caractéristique du système de justice pénale. Mais c’est la rencontre avec Frank Mullane, le PDG de l’organisation Advocacy After Fatal Abuse, dont la sœur et le neveu Julia et William Pemberton ont été tués par son ancien mari en 2003, qui a conduit Mme Monckton-Smith à se concentrer sur les homicides conjugaux.

« Frank m’a emmenée à la rencontre d’une famille où la mère avait été décapitée devant ses enfants », dit-elle. « Chacune des histoires que j’ai entendues lorsque nous avons rendu visite à ces familles ne faisait penser: « j’ai déjà entendu ça avant ». Il s’agissait de faits qui n’émergent presque jamais au tribunal, comme le comportement contrôlant de l’agresseur, le fait qu’elle n’était pas autorisée à avoir les lumières allumées, ou le fait qu’il devait toujours savoir où elle se trouvait ».

À partir de là, elle a développé son modèle médico-légal, aujourd’hui généralisé, pour l’identification des violences conjugales. Mais elle n’est pas votre universitaire conventionnelle. Elle préfère que ses travaux soient lus par des personnes extérieures aux établissements d’élite plutôt que de produire des articles pour des revues universitaires. Mais même si ce travail ne s’empoussière sur les étagères des bibliothèques universitaires, certains de ses collègues se montrent dédaigneux.

« Suis-je méprisée par certains universitaires ? Oh oui ! », dit-elle, en décrivant une conférence où elle présentait un article sur la violence anti-femmes. Certains universitaires masculins se moquaient de moi, disant que mon travail était « voyeuriste » et qu’on n’y trouvait pas un véritable angle universitaire approprié. Alors je me suis dit : « Allez vous faire foutre, je vais donner à ce travail l’attention médico-légale qu’il mérite. Cela m’a fait réaliser à quel point certaines personnes sont méprisantes à l’égard des femmes qui se font tuer ».

Son livre n’est ni académique ni voyeuriste. C’est l’un des livres les plus importants qui soient au sujet de la maltraitance, détaillant chacune des huit étapes, de la première impression au meurtre. Il commence par les meilleurs conseils que vous pouvez donner à une femme au début d’une relation : « Ne négligez pas ce que son ex dit de lui juste parce qu’il prétend qu’elle ment. »

Ces hommes reflètent un type particulier, dit Monckton-Smith. Il ne s’agit pas de crimes passionnels et il est faux de penser qu’ils ont simplement « perdu la tête ». Nous pouvons souvent prédire comment les choses vont se passer en regardant les antécédents de chaque homme. Ainsi, toute allégation de violence dans des relations antérieures ou tout casier judiciaire devrait déclencher la sonnette d’alarme. C’est la première des huit étapes.

La deuxième étape, dit-elle, est celle où l’agresseur pousse sa victime à s’engager, par exemple à avoir un bébé ou à emménager ensemble. « Une fois qu’il a obtenu cet engagement, cette promesse est rédigée en lettres de sang à leurs yeux », explique Mme Monckton-Smith. Quand ils disent « Tu es à moi », cela peut sembler romantique. Mais ce qu’il dit est en fait : « Tu m’appartiens et tu ne pourras jamais me quitter ».

À la troisième étape, l’agresseur commence pour de bon à créer une situation où il serait presque impossible pour la femme de partir. À ce stade, un contrôle coercitif s’installe à différents niveaux dans pratiquement tous les cas. Au quatrième stade, il sent que son contrôle lui échappe. Cela se produit presque toujours lorsque la victime quitte ou tente de quitter la relation. Il passe alors à la cinquième étape, au cours de laquelle il va intensifier la violence afin de reprendre le contrôle.

« Si elle l’a quitté, c’est là que le harcèlement se déclenche », dit Monckton-Smith. « Il peut y avoir plus de menaces de suicide, plus d’actes de contrôle coercitif. » Ou bien l’auteur du crime peut décider de retourner à la première étape et de la bombarder d’amour à nouveau pour tenter de lui rappeler comment les choses étaient; il peut aussi retourner à la troisième étape et réaffirmer son contrôle.

« Les étapes trois, quatre et cinq peuvent être revisitées encore et encore pendant des années », dit-elle. « Sinon, il passe à la sixième étape, où commence le véritable danger de meurtre. »

La sixième étape est celle où l’auteur de l’acte décide de la manière dont il va régler la situation, ayant décidé qu’il ne peut pas reprendre le contrôle à moins de la tuer. Si c’est sa décision, la septième étape est la phase de planification. « Certains le font pendant des mois, voire des années, d’autres en quelques heures seulement, mais la leçon importante à en tirer est qu’ils planifient leur geste, » dit Monckton-Smith.

L’homicide est la huitième et dernière étape : « Il est rare qu’ils échouent. Oubliez ce que vous entendez sur la façon dont l’homme a simplement « craqué », c’est de l’esbroufe. »

Malgré son sujet poignant, In Control est très lisible et extrêmement accessible. Elle donne vie à ces huit étapes en utilisant des cas réels – interviews, dossiers de police et documents judiciaires – pour mettre en évidence les méthodes et les motifs des tueurs.

« Vincent » est l’un de ces meurtriers. « Vincent est ordinaire », écrit Jane Monckton-Smith. « Il n’a jamais cherché à être autrement. Sa maison jumelée de trois chambres à coucher dans une agréable rue urbaine est bien entretenue, tout comme son vieux mini-fourgon à quatre portes, précieux emblèmes de la vie qu’il considérait comme normale pour tout homme. Il a fait valoir ses droits et rien de plus ».

Vincent a poignardé sa femme, Donna, à 38 reprises parce qu’elle avait planifié de le quitter. Il n’était généralement pas un homme physiquement violent, mais il contrôlait étroitement les mouvements et comportements de Donna et de leurs enfants. Selon Monckton-Smith, qui lui a rendu visite en prison, Vincent se considère comme la victime de cet attentat. « Et il n’est pas tellement différent d’une foule d’autres hommes dont j’ai examiné le cas. »

L’autrice ramène à la vie Donna, et toutes les autres femmes tuées dont parle cet ouvrage, avec un regard respectueux alors qu’elle raconte leur histoire à l’aide de comptes rendus d’appels téléphoniques à la police et des souvenirs des membres de leur famille. Elle passe en revue les dossiers médicaux, les SMS, les médias sociaux et les lettres écrites par les victimes pour documenter les sévices qu’elles ont subis. Elle permet à leurs appels à l’aide d’être enfin entendus.

Jane Monckon-Smith dit qu’elle veut que ce livre sauve des vies. Je ne veux pas que les gens disent : « Oh, il était vraiment jaloux » ou « Il était déprimé, n’est-ce pas terrible », mais qu’ils se disent : « Pourquoi n’a-t-on pas reconnu cela avant ? Pourquoi personne n’a rien dit ? Pourquoi ce processus n’a-t-il pas été interrompu ? »

Après une année de confinement, au cours de laquelle les appels aux lignes d’assistance ont considérablement augmenté et les tensions conjugales ont été inévitables, ce livre est plus important que jamais. Si les gens entendent l’histoire de ces femmes assasssinées, si les gens en tirent des leçons, alors peut-être que d’autres seront préservées d’un sort similaire. Car tant que ces décès domestiques ne seront pas considérés comme les meurtres de sang-froid qu’elles sont, les morgues continueront de se remplir des corps de femmes qui auraient pu – et auraient dû – être sauvées.

Version originale: https://unherd.com/2021/03/the-book-that-could-stop-domestic-homicide/?

Traduction: Collective TRADFEM

Julie Bindel est journaliste d’enquête, autrice et militante féministe. Son prochain livre, Feminism for Women : The Real Route to Liberation, paraîtra le 17 juin 2021. TRADFEM espère le traduire en français.

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