Ne laissons pas le gouvernement Trudeau légaliser le proxénétisme!

Une torture non étatique est infligée aux femmes et aux filles prostituées et exploitées; nos gouvernements et nos politiciens savent ou devraient savoir qu’il s’agit d’un crime contre leur humanité.

Le 29 octobre, le Comité permanent de la justice et des droits de l’homme (JUST) de la Chambre des communes canadienne a rencontré David Lametti, ministre fédéral de la Justice. Un bref échange a eu lieu entre Lametti et le député Randall Garrison. Garrison a déclaré en Comité que « les défenseurs de l’industrie du sexe estiment que la législation actuelle est très préjudiciable et dangereuse pour les personnes qui se livrent au travail du sexe ». Le ministre Lametti a répondu : « Le travail du sexe est légal, aux termes de l’arrêt Bedford. Un tas de choses l’entourant ont été criminalisées par le gouvernement précédent. C’est ce que nous devons examiner. J’espère être en mesure de le faire. Encore une fois, je ne peux pas vous promettre une date, étant donné l’actualité. »

Cela nous alerte au fait que la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation, la version canadienne du « modèle nordique ou suédois », pourrait bientôt subir des pressions en vue d’une révision patriarcale misogyne.

Parce que notre travail est centré sur la victimisation des femmes par des formes non étatiques de torture, nous avons rédigé une lettre détaillée (CI-DESSOUS), établissant que les femmes prostituées souffrent d’une victimisation par des formes de torture non étatique. La réitération de cette réalité correspond à un savoir sur le vécu des femmes que possède notre gouvernement. Pour le gouvernement et les députés, ignorer ce savoir serait un acte délibéré et un crime contre l’humanité des femmes et des filles prostituées et exploitées. Jeanne et moi sommes très inquiètes.

Linda MacDonald et Jeanne Sarson

PERSONNES CONTRE LA TORTURE NON-ÉTATIQUE

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Lettre de Jeanne Sarson et Linda MacDonald, le 20 novembre 2020

adressée le 20 novembre aux personnes suivantes:

David Lametti, ministre fédéral de la Justice : David.Lametti@parl.gc.ca

Randall Garrison, député Esquimalt-Saanich-Sooke : Randall.Garrison@parl.gc.ca

Lenore Zann, députée de Cumberland-Colchester : Lenore.Zann@parl.gc.ca

Objet: Discussion consignée au Hansard, le 29 octobre 2020, lors de la réunion n° 3 du Comité permanent de la justice et des droits de l’homme entre le ministre de la Justice David Lametti et député libéral fédéral de LaSalle-Ville-Émard-Verdun et le député Randall Garnison concernant le « travail du sexe », avec des références à la loi C-36 et aux arrêts Bedford.

Au cours de cette discussion spécifique, aucune référence n’a été faite à la Loi sur la protection des communautés et des personnes exploitées (PCEPA) qui criminalise la demande pour la prostitution d’êtres humains au Canada.

Nous trouvons crucial que toute référence aux arrêts Bedford doive inclure le fait suivant : les vendeurs – les proxénètes – et les acheteurs, qui sont principalement des hommes, prennent un plaisir misogyne violent lorsqu’ils torturent des femmes dans la prostitution. Faire référence aux arrêts Bedford, appelle la reconnaissance des faits suivants:

Dans l’affaire Bedford c. Canada, 2010, au paragraphe 26, Terri Jean Bedford cite la « torture physique et psychologique » qu’elle a subie, plus le fait d’être « violée et violée à plusieurs trop souvent pour en parler » et « frappée à la tête avec une batte de baseball » (1).Dans l’affaire Bedford c. Canada, 2010, le paragraphe 531 indique que la police peut inculper des proxénètes et des clients en vertu de divers articles du code pénal, y compris la « torture » (2). La réalité juridique est que seuls les acteurs étatiques, et non les acteurs non étatiques, peuvent être tenus pénalement responsables de la torture en vertu de l’article 269.1.

RÉALITÉ HYSTORIQUE : La réalité de la victimisation par la torture dans la prostitution est connue depuis des décennies et apparaît également dans des documents soumis au gouvernement canadien. Par exemple :

1. 1979 : Le révérend Brad Gassman de Toronto a témoigné devant la commission de la justice de la Chambre des communes, déclarant que les clients veulent « brûler, torturer et battre… » des femmes prostituées (p. 13). (3)

2. 1993 : Le rapport du Comité canadien sur la violence envers les femmes remis à la ministre responsable de la condition féminine parle de « torture » (p. 5). (4)

3. 2010 : L’enquête de Doug Lepard sur les femmes disparues comprend les enquêtes sur Donald Baker qui a violé et torturé en série des femmes prostituées (p. 215, 364) et sur Malcolm Bruce Leach qui a infligé des « tortures sadiques » à une femme prostituée (p. 367). (5)

4. 2013 : Le rapport de la GRC fédérale sur l’exploitation conjugale sexualisée des personnes de sexe féminin âgées de 14 à 22 ans comprend des descriptions d’actes de « torture » subis par les jeunes filles et les jeunes femmes. (6)

5. 2014 : Le rapport de l‘Association des femmes autochtones du Canada mentionne la torture à de nombreuses reprises ; comme l’a dit une femme, « la torture est de la torture ». J’y ai survécu. J’en suis une experte » (p. 51). (7)

Depuis 1993, nous travaillons à prendre soin des femmes canadiennes et des femmes du monde entier qui ont survécu à la torture non étatique. Nous avons à plusieurs reprises informé des politiciens du gouvernement, fait des représentations au Comité JUST, rencontré le ministre Monsef et vous le ministre Lametti, et d’autres. Nous avons soutenu Mme Lane qui voulait faire une présentation au Comité JUST, sans qu’on lui demande de soumettre ses épreuves de torture non étatique dans un mémoire au JUST. (8)

Le 23 janvier 2020, nous avons soutenu une femme de Nouvelle-Écosse qui a décrit à une employée de la députée Lenore Zann les tortures non étatiques, l’exploitation sexualisée et les épreuves suicidaires qu’elle a vécues. Cette femme cherchait à expliquer à Lenore Zann, par l’intermédiaire de sa collaboratrice, qu’elle avait besoin que la torture non étatique soit criminalisée pour se sentir incluse et respectée en tant que personne de valeur égale. Il y a trahison de la confiance envers l’institution (9) quand il y a rejet systématique des actes de torture non étatique infligés aux femmes dans la prostitution, dans la violence exercée par un partenaire intime (10), dans la violence conjugale ou familiale, dans la traite des êtres humains et dans la victimisation pornographique.

Le rejet de la victimisation par la torture non étatique ne correspond pas à vos déclarations, Monsieur le ministre Lametti, sur la promotion d’un « accès équitable à la justice pour tous » au sein d’un « système judiciaire centré sur les personnes ». M. Garrison, votre désignation de la prostitution des femmes comme « travail du sexe » semble ignorer cette situation ou se méprendre à son sujet ; autrement, cela signifie qu’il est admissible que la torture non étatique sexualisée soit infligée aux femmes dans la prostitution ou, pour reprendre votre terminologie infligée dans le « travail du sexe ». La sexualisation de la torture, lorsqu’elle est décrite par Terri Jean Bedford comme « travail du sexe », est inacceptable. Une telle acceptation pue la misogynie patriarcale qui, à notre avis, n’a pas sa place dans la société et la culture canadiennes.

RÉPONSES À UN QUESTIONNAIRE SUR LA TORTURE NON ÉTATIQUE QUE SUBISSENT LES FEMMES DANS LA PROSTITUTION.

Le 23 juin 2017, une Canadienne nous a envoyé sa réponse à notre questionnaire de recherche participative (11), en donnant des exemples d’actes de torture non étatique qu’elle a subis dans le cadre de la prostitution. Elle a écrit que les auteurs de ces actes étaient des proxénètes masculins, des clients masculins, des amis masculins et d’autres hommes inconnus dont les plaisirs de la torture misogynes incluaient par exemple:

-le refus d’aliments et de boisson-

-le fait d’être enchaînée ou menottée à un objet fixe

-des brûlures

-des doigts, orteils et membres tordus et disloqués

-le fait d’être ligotée nue pendant de longues périodes

-être écrasée sous quelqu’un, créant des difficultés respiratoires

-être forcée de rester allongée nue sur le sol, sans literie ni chaleur

-être forcée de manger ses selles ou celles de quelqu’un d’autre

-être violée par quelqu’un ou par un groupe, « par moments, pendant des nuits entières »

-être violée avec une arme, d’autres objets ou par des animaux

-être privée d’accès à une toilette, souillée d’urine, d’excréments ou de sang

-être étranglée

-être menacée de meurtre

-être insultée et traitée comme une non-personne.

DISCUSSION PORTÉE AU HANSARD.

En écoutant votre conversation, M. Garrison et M. le ministre Lametti, votre déclaration selon laquelle « un tas de choses [entourant la LPCPE] …. [sont] ce que nous devons examiner », a pour effet de minimiser, d’après notre expérience, la dévalorisation misogyne au statut de non-personnes infligée aux femmes prostituées par les tortionnaires non étatiques que sont les proxénètes, les clients et d’autres personnes. Ce langage déroge au mandat de base de la Loi sur la protection des communautés et des personnes exploitées. La Loi reconnaît les préjudices sociaux et personnels importants causés par l’objectification et la marchandisation des femmes dans la prostitution, tout en laissant de la place au petit pourcentage de femmes qui choisissent de vendre leur corps. (12) La prostitution reflète souvent un besoin de survie ou se produit parce qu’une victimisation d’enfants a conduit à la traite des jeunes (13) et à la prostitution des personnes plus âgées. Le récent rapport selon lequel la culture de la GRC est misogyne (14) reflète notre connaissance du fait que les femmes prostituées et les jeunes filles exploitées et ainsi victimes d’une torture non étatique manquent déjà de protection et de droits juridiques. L’échec patriarcal systémique à criminaliser la torture non étatique ne favorise pas « l’accès équitable à la justice pour tous » et ne constitue pas un « système de justice axé sur les personnes ». Elle ne tient même pas compte du fait qu’échapper à la torture est un droit de l’homme distinct et non susceptible de dérogation, inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies de 1947, dont l’article 5 stipule que « personne » – y compris les femmes et les filles – ne doit être soumis à la torture ; l’article 7 dit que les femmes et les filles ont droit à une égalité juridique non discriminatoire. Le gouvernement canadien s’est engagé à atteindre avant 2030 les objectifs de développement durable (SDG) visant à éliminer toutes les formes de violence et de discrimination à l’égard des femmes et des filles (SDG 5.1-5.2), y compris l’élimination de l’exploitation et de la torture des enfants (SDG 16.2). Le rejet délibéré de ces vérités connues sur la torture non étatique infligée aux femmes et aux jeunes filles prostituées et exploitées signifie que le gouvernement permet sciemment aux tortionnaires non étatiques de continuer à torturer si l’expression « un tas de choses [entourant la LPCPE) …. sont ce que nous devons examiner », rejette l’idée d’identifier et de criminaliser la torture non étatique comme une forme de violence masculine infligée aux femmes dans la prostitution et non comme un « travail du sexe ».

La torture non étatique est un crime contre l’humanité de toutes les femmes et les filles, y compris les femmes et les filles prostituées ou exploitées.

Soumis respectueusement,

Jeanne Sarson et Linda MacDonald

Jeanne Sarson, MEd, BScN et Linda MacDonald, MEd, BN Cofondatrices de l’organisme Persons Against Non-State Torture (NST) Human Rights Defenders

361 Prince Street, Truro, NS, Canada B2N E4P 1.902.895.6659 | C : 1.902.956.2117 twin2@eastlink.ca; flight@ns.sympatico.ca

Co-autrices du livre WOMEN UNSILENCED – Our refusal to let the torturer-traffickers win!, à paraître au printemps 2021 chez Friesen Press #torture#humantrafficking

Sarson,J.,&MacDonald,L.(2018). « Il est impératif que la torture non étatique soit reconnue par l’ONU et les États membres comme une violation des droits fondamentaux des femmes », CanadianWomanStudies/LesCahiersdelaFemme,33(1.2):143-155.

Cette lettre a été adressée aux député-e-s membres du Comité permanent de la justice et des droits de l’homme Iqra Khalid : Iqra.Khalid@parl.gc.ca, Mike Kalloway : Mike.Kelloway@parl.gc.ca, Michael Cooper : Michael.Cooper@parl.gc.ca, James Maloney : James.Maloney@parl.gc.ca, Arif Virani : Arif.Virani@parl.gc.ca, Rhéal Fortin : Rheal.Fortin@parl.gc.ca, Ramesh Sangha : Ramesh.Sangha@parl.gc.ca, Chris Lewis : Chris.Lewis@parl.gc.ca. Luc Thériault : Luc.Theriault@parl.gc.ca, Rob Moore : Rob.Moore@parl.gc.ca, Sameer Zuberi : Sameer.Zuberi@parl.gc.ca.

Ainsi qu’à : Marion Monsef, ministre de la Femme et de l’Égalité des sexes (WAGE) : Maryam.Monsef@parl.gc.ca, et Nathalie Levman, avocate-conseil, ministère de la Justice : Nathalie.Levman@justice.gc.ca

NOTES:

1 Bedford v. Canada, 2010ONSC 4264 (CanLII). http://canlii.ca/t/2cr62

2 Ibid.

3 Robertson, J. (1979). Pornography and its effects A survey of recent literature. Ontario Status of Women Council.

4 The Canadian Panel on Violence Against Women. (1993). Changing the landscape: Ending violence ~ Achieving equality. Minister of Supply and Services.

5 Lepard, D. (2010). Missing Women investigation review. Vancouver police Department. BC. https://www.bwss.org/wp-content/uploads/2010/08/36185748-VPD-Missing-Women-Report.pdf

6 Human Trafficking National Coordination Centre (HTNCC). (2013, October). Domestic human trafficking for sexual exploitation in Canada. Royal Canadian Mounted Police. https://www.publicsafety.gc.ca/lbrr/archives/cnmcs-plcng/cn000042761614-eng.pdf

7 Native Women‘s Association of Canada. (2014, March). Sexual exploitation and trafficking of Aboriginal women and girls Literature review and key informant interviews. https://www.nwac.ca/wp-content/uploads/2015/05/2014_NWAC_Human_Trafficking_and_Sexual_Exploitation_Report.pdf

8 Lane, A., & Holodak, R.G. (2016). Brief to: The House of Commons Standing Committee on Justice and Human Rights in view of its study of bill c-242 an act to amend the Criminal Code (inflicting torture). https://www.ourcommons.ca/Content/Committee/421/JUST/Brief/BR8406577/br-external/LaneAlexandra-e.pdf

9 Smith, C. P., & Freyd, J. J. (2014). Institutional betrayal. American Psychologist, 69(6), 575-587. https://doi.org/10.1037/a0037564

10 Sarson, J., & MacDonald, L. (2019). “A difficult client”: Lynn‘s story of captivity, non-state torture, and human trafficking by her husband. International Journal of Advanced Nursing Education and Research, 4(3), 107-124. https://gvpress.com/journals/IJANER/vol4_no3/13.pdf?emci=426a1d92-af8b-ea11-86e9-00155d03b5dd&emdi=29c3fba8-c38b-ea11-86e9-00155d03b5dd&ceid=2140048

11 Persons Against Non-State Torture.(n.d.). Questionnaire 3: Torture inflicted in prostitution. https://www.nonstatetorture.org/~nonstate/research/participate/questionnaire-3

12 Justice Laws Website. (2014). Statutes of Canada Chapter 25. https://laws-lois.justice.gc.ca/PDF/2014_25.pdf

13 Sarson, J. (2017). [Review of book Human Trafficking: Contexts and Connections to Conventional Crime, edited by Joan A. Reid]. “Journal of Human Trafficking”, 3(4), 338-340. https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/23322705.2016.1221723?forwardService=showFullText&tokenAccess=AMvN8gnWMZRYrvmVuQVN&tokenDomain=eprints&doi=10.1080%2F23322705.2016.1221723&doi=10.1080%2F23322705.2016.1221723&journalCode=uhmt20

14 Bastarache, M. (2020). Broken dreams broken lives The devastating effects of sexual harassment on women in the RCMP Final report on the implementation of the Merlo Davidson Settlement Agreement. https://merlodavidson.ca/wp-content/uploads/RCMP_Final-Report_Broken-Dreams.pdf

Traduction: TRADFEM

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