Une grande journaliste pète les plombs.

Les femmes doivent avoir le droit de s’organiser. Nous ne serons pas réduites au silence!

Par Suzanne Moore, le 3 mars 2020

AJOUT: Commentaire de Julie Bindel

Le traitement infligé à Selina Todd ce week-end était un avertissement. Nous devons protéger les droits des femmes fondés sur leur sexe.

Billet publié dans The GUARDIAN, le 3 mars 2020

En février 1988, un groupe de lesbiennes a fait irruption à la Chambre des Lords pour protester contre l’article 28 de répression de l’homosexualité que le gouvernement Thatcher voulait intégrer au Code pénal; quelques mois plus tard, Booan Temple a perturbé en direct le journal télé de 18 heures au nom de la même cause. Margaret Thatcher avait affirmé que la promotion de l’homosexualité sapait la famille, et alors que Sue Lawley lisait les nouvelles, on pouvait entendre les cris étouffés de Madame Temple tandis que Nicholas Witchell la maintenait au sol. Les homosexuels, les lesbiennes et leurs alliés étaient tous du même côté à l’époque, solidaires contre la répression exercée par le parti Conservateur.

La manière dont nous nous identifions sexuellement n’était pas primordiale à l’époque. Nous lisions toutes et tous beaucoup de théorie queer, mais, plus important encore, nous savions que les corps existaient dans l’histoire, dans un contexte, car nous voyions une génération anéantie par le sida. Si vous avez vécu cela, la solidarité a pris le pas sur la sexualité.

Aujourd’hui, je ressens une immense tristesse lorsque je regarde la fragmentation du paysage, où des combats sans fin, des annulations d’invitations et la censure (no-platforming) de féministes ont obscurci notre compréhension de qui sont nos véritables ennemis.

Samedi dernier, Selina Todd, professeure d’histoire moderne à l’université d’Oxford, devait prononcer un discours de remerciement poli de deux minutes lors d’un événement au collège d’Exeter qui commémorait le cinquantenaire de la conférence inaugurale nationale de libération des femmes au collège Ruskin. La veille de l’allocution de Todd, elle dit avoir vu son invitation annulée sous prétexte qu’elle avait pris la parole lors d’une réunion du groupe Woman’s Place UK, créé en 2017 à la suite de changements proposés à la Loi britannique sur la reconnaissance du genre. Le groupe fait campagne pour que les femmes puissent conserver des espaces et services distincts sur la base de notre sexe biologique. Todd, une spécialiste très estimée de l’histoire de la classe ouvrière, a été accusée sur les médias sociaux d’être « transphobe ». Woman’s Place UK a récemment été qualifié de « groupe haineux trans-exclusionniste » dans un engagement adopté par un groupe de pression travailliste dédié aux droits des personnes trans, auquel ont adhéré deux candidates à la direction du parti travailliste, Lisa Nandy et Rebecca Long-Bailey.

Selina Todd, professeure à l’université d’Oxford.

Il est clair que Woman’s Place UK n’est pas un groupe haineux, et l’engagement pris par les travaillistes a conduit de nombreuses femmes à citer sur Twitter le hashtag #ExpelMe (Expulsez-Moi) en raison de leur malaise à  l’idée que n’importe qui puisse s’auto-déclarer homme ou femme – quel que soit leur sexe biologique – pour n’importe quelle raison.

La vision radicale du féminisme reconnaît que le genre est une construction sociale – que les filles et les femmes n’ont pas pour destinée d’être féminine et que les garçons et les hommes n’ont pas à se montrer masculins. Mais nous sommes passés de l’autre côté du miroir et on nous dit aujourd’hui que c’est le sexe qui n’est qu’une construction sociale. On affirme que le sexe est simplement attribué à la naissance, plutôt que d’être un fait matériel – dans les faits, le sexe est reconnaissable dans l’utérus (ce qui permet la sélection du sexe à cette étape). Le sexe n’est pas un sentiment. La femellité est une classification biologique qui s’applique à toutes les espèces vivantes. Si vous produisez de gros gamètes immobiles, vous êtes une femelle. Même si vous êtes une grenouille. Ce n’est pas compliqué, et il n’y a pas de spectre, bien qu’il y ait un nombre minuscule de personnes intersexuées qui doivent absolument être appuyées.

L’oppression des femmes est intrinsèquement liée à notre capacité de reproduction. Les femmes ont progressé en parlant de biologie, de menstruation, d’accouchement et de ménopause. Nous n’allons pas laisser nos corps et nos voix être retranchées du scénario. La matérialité d’avoir un corps féminin peut signifier un viol ou un accouchement – mais nous cherchons toujours à nous libérer des contraintes du genre. Certains courants idéologiques transgenristes nous affirment le contraire; on nous dit : le genre est matériel et peut donc être possédé par quiconque le revendique, et c’est le sexe en tant que catégorie qui est une construction sociale. Ainsi, les droits fondés sur le sexe, qui sont protégés par la loi, peuvent être supprimés.

Je connais par expérience personnelle les conséquences d’être qualifiée de transphobe par un jury invisible sur les médias sociaux. Cela s’est traduit par des menaces de mort et de viol pour moi et mes enfants, qui ont nécessité l’intervention de la police. Je sais aussi que les choses les plus vicieuses se passent en ligne et non dans la vie réelle. Mais je ne peux pas rester sans rien faire. C’est au moment où Roman Polanski était récompensé pour son dernier film aux César que Selina Todd s été réduite au silence.

Cette nouvelle réduction au silence des femmes est un avertissement. Soit vous protégez les droits des femmes en tant que fondés sur leur sexe, soit vous ne les protégez pas du tout.

Si l’idée de femmes s’organisant de manière autonome est transphobe, vous entrez dans une impasse, qui piège absolument les gens dans des cases avantageuses pour le patriarcat. Car il n’y a rien que le patriarcat craigne plus que les femmes qui ne dépendent plus de l’autorité masculine. C’est rétrograder à une société où les femmes doivent être chaperonnées, où on ne leur fait pas confiance pour prendre des décisions concernant leur propre réalité. Pendant ce temps, les espaces réservés aux hommes continuent à occuper une bonne moitié de l’establishment, et personne ne considère cela comme transphobe. Nulle part dans cette discussion ne suggère-t-on que des hommes cèdent de l’espace aux hommes trans ; il s’agit toujours de ce que les femmes doivent accepter.

La plupart des gens veulent que le minuscule pourcentage de la population qui est transgenre ait la meilleure vie possible. La meilleure vie possible en serait une qui serait libre de violence masculine. Ce ne sont pas les féministes qui assassinent les transgenres, même si c’est l’impression que vous auriez en ne vous fiant qu’à Twitter pour vous informer.

La violence masculine est un problème pour les femmes, et c’est pourquoi nous tenons à conserver des espaces non mixtes. Les femmes vulnérables qui peuplent des refuges et des prisons doivent pouvoir vivre dans un environnement sûr – l’ennemi commun ici est le patriarcat, vous vous souvenez ? Comment en sommes-nous arrivées à une situation où un nombre choquant et croissant d’adolescentes se présentent dans des cliniques spécialisées en disant souffrir d’une dysphorie de genre, alors que d’autres qui ont vécu une transition sont maintenant pleines de regrets et infertiles ?

Les femmes ont le droit de dénoncer les hommes violents qui sont auteurs de viols. Nous avons le droit de parler et de nous organiser sans qu’on nous dise que la parole est elle-même dangereuse. Vous pouvez m’enjoindre à votre guide de « crever dans un fossé, espèce de TERF », comme beaucoup le font depuis des années, mais je m’identifie comme une femme qui ne se laisse pas abattre tranquillement.

Nous sommes plus nombreuses que vous ne le pensez.

Suzanne Moore était chroniqueuse au journal britannique The Guardian au moment où elle a écrit ces lignes, il y a six mois. Elle vient d’en être purgée par une démarche concertée de ses collègues (https://gript.ie/names-338-guardian/), qui l’ont qualifiée de « transphobe » pour avoir écrit cette analyse féministe.

Version originale : https://www.theguardian.com/society/commentisfree/2020/mar/02/women-must-have-the-right-to-organise-we-will-not-be-silenced

Julie Bindel s’insurge


Le traitement épouvantable de Suzanne Moore
Par Julie BINDEL, dans UNHERD, le 19 mars 2020

J’aimerais que quelqu’un me donne un exemple de ce que Moore a jamais écrit de « transphobe ».
 
J’ai écrit mon premier article pour The Guardian en 1996. J’étais une militante féministe contre la violence masculine et j’ai utilisé cette plateforme pour faire passer le message sur des questions cruciales telles que le viol, la maltraitance des enfants et les homicides conjugaux.
 
En 2004, je suis passée au journalisme à plein temps. Et j’ai toujours aimé écrire pour The Guardian. Mais ces dernières années, un brouillard de censure s’est abattu sur certaines sections du journal. Au cours des cinq dernières années, je sais qu’au moins trois articles de fond sur le conflit entre les féministes et certaines opinions extrémistes du lobby transgenre ont été supprimés à la dernière minute parce qu’un rédacteur en chef craignait une réaction des talibans transgenristes, toujours aussi puissants.
 
Mais le dernier exemple en date de cette hypocrisie et de ce journalisme non journalistique est le traitement épouvantable dévolu à la redoutable columnist Suzanne Moore. Le Guardian s’est longtemps targué d’être une plateforme médiatique libérale, invitant un large éventail d’opinions, y compris une justification des attaques terroristes du 11 septembre et un article de fond favorable aux pédophiles – ainsi que d’autres contenus susceptibles d’offenser fortement un groupe ou un autre.
 
Il semblerait que la question de l’idéologie transgenre soit d’un tout autre ordre que celle de la maltraitance des enfants et du terrorisme. Lorsque Moore a écrit un article d’opinion parfaitement raisonnable sur la façon dont les féministes sont maltraitées, interdites de tribunes et réduites au silence par les transsexuels et leurs alliés, 338 lâches reptiles ont signé une lettre à la rédaction, à condition que leurs noms ne soient pas rendus publics, dénonçant ce qu’ils appelaient la nature « transphobe » du journal. Cette lettre a été envoyée très peu de temps après la publication de l’article de Moore et a été communiquée au média Buzzfeed le même jour, présumément par l’un des signataires.
 
Moore n’a pas assisté à la conférence du matin suivant la publication de son article, à laquelle ont assisté plus de 200 personnes, dont certaines hurlaient pour réclamer sa tête et quelques âmes courageuses ont défendu le vrai journalisme. En fait, Moore ne se rend jamais au bureau, et a donc dû être très surprise lorsqu’elle a été accusée d’avoir poussé des membres transsexuels du personnel à démissionner au cours de l’année écoulée.
 
Aujourd’hui, Moore, qui a clairement été poussée à la démission par des collègues – dont certains qu’elle considérait comme des amis – a publié la liste complète des signataires de sa lettre de dénonciation sur les médias sociaux. Il y a quelques grands noms, dont Owen Jones, Simon Hattenstone et Eva Wiseman, mais la majorité semble être des membres du personnel non éditorial. Comment diable ont-ils été autorisés à rançonner ainsi des auteurs ? Et j’aimerais beaucoup que l’un ou l’autre d’entre eux me donne un exemple de ce que Moore a jamais écrit de « transphobe ». Les journalistes sont censés écrire la vérité. Ceux qui ont signé cette lettre honteuse devraient songer au mauvais service qu’ils rendent à leur propre métier.
Version originale : https://unherd.com/thepost/the-appalling-treatment-of-suzanne-moore/?

Une réflexion sur “Une grande journaliste pète les plombs.

  1. Le mouvement féministe s’est agrandi, bonne nouvelle.
    Mauvaise nouvelle : des non-féministes s’y trouvent désormais. Ou des femmes féministes tellement conditionnées à la bienveillance, qu’elles font encore une fois passer la souffrance des hommes (bien réelle) sur la souffrance de leurs sœurs (bien réelle aussi). Bizarrement certains et certaines se représentent mieux la souffrance de l’homme « mégenré » que celles de la femme apeurée par le risque d’agression en foyer ou en prison (exemples parmi les plus graves).
    Et les femmes qui osent défendre le droit à l’intégrité physique des autres femmes se voient harcelées, ou silenciées, ou ostracisées.

    Mais comment certains et certaines peuvent-ils à ce point confondre le genre (socialement imposé et socialement construit) et le corps humain ?

    Les femmes n’ont pas réellement la possibilité de dégager leur corps (physique) du genre qu’on leur impose, dans notre société. Seuls les hommes le peuvent.
    Encore une fois, seuls les dominants le peuvent vraiment, peuvent imposer leur désir aux dominées.
    Une femme transidentifiée homme, dans une prison pour homme, on parie que pas grand-monde ne lui laissera oublier son « genre féminin » ? Ce qui montre bien que le genre n’est pas un « choix » ou un ressenti, mais une violence pour les dominées, et un signe de reconnaissance pour les dominants.

    D’ailleurs je serais curieuse de savoir si les demandes d’accéder aux prisons viennent seulement des prisonniers hommes transidentifiés femmes, ou si des femmes transidentifiées hommes demandent aussi l’accès aux centres pénitentiaires masculin, avec les risques évidents que ça comporte ?

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