Les refuges pour femmes, obligés de s’adapter à la pandémie, sont essentiels au rétablissement de la société canadienne

par JAN REIMER

En 2017, une travailleuse porte de la literie dans l’un des appartements de l’Interval House de Toronto, un refuge d’urgence pour les femmes en situation de violence.

En mars, lorsque la pandémie a provoqué une vague de fermetures d’entreprises et de services en Alberta, aucune organisation ne semblait à l’abri. Pendant la période de confinement, les détachements locaux de la GRC dans les petites villes de l’Alberta ont fermé leurs portes d’entrée aux visiteuses sans rendez-vous. Les bureaux des services à l’enfance ont fermé. Les banques alimentaires ont également fermé boutique.

Mais pour les refuges pour femmes de l’Alberta, et même de la majorité du pays, la possibilité de fermer ou d’emballer le bureau pour travailler à domicile n’a jamais été envisagée. Dans le meilleur des cas, le voyage des femmes qui quittent une situation difficile pour se rendre dans un refuge n’est pas facile. C’est pourquoi, en ces temps sans précédent, le personnel des refuges savait qu’il devait être là pour toute femme qui avait besoin d’aide, même si les gouvernements disaient aux gens de rester chez eux.

Entre-temps, on a beaucoup écrit sur la nature sexospécifique de cette pandémie. Les femmes ont subi le plus gros des pertes d’emploi ou font un triple travail, essayant d’être à la fois parents, enseignantes et travailleuses. L’économiste Armine Yalnizyan a déclaré qu’il n’y aurait pas de reprise économique sans une « reprise féminine ». Il est clair que nous devons soutenir les services de garde d’enfants et les autres services qui permettent aux femmes de retrouver un emploi.

Mais nous devons également soutenir les refuges pour femmes, qui depuis plus de 40 ans aident les femmes à trouver la sécurité, la stabilité et les ressources nécessaires pour sortir des cycles dangereux de la violence. Bien qu’ils ne soient pas toujours reconnus comme tels, les refuges pour femmes offrent des services essentiels et répondent 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 aux femmes et aux personnes âgées qui fuient des agressions. Les femmes qui craignent pour la sécurité de leurs enfants et la leur ne peuvent participer pleinement au marché du travail ou soutenir leur famille et leur réseau social de multiples autres façons. Les refuges offrent donc un soutien social qui est vital pour notre société et notre économie.

Les refuges pour femmes ont toujours su s’adapter à la dynamique sociale et économique du moment. Les premiers refuges du Canada ont été fondés par des femmes qui disposaient de peu de fonds ou de soutien communautaire. Plus tard, lorsque des agresseurs ont tenté de forcer en camion la porte d’entrée des refuges, le personnel de ces maisons a installé des bornes de ciment pour leur barrer la route. Lorsque les femmes des zones rurales ne pouvaient pas physiquement s’échapper de leurs fermes isolées, les refuges organisaient des ramassages d’urgence avec les services de taxi locaux. Aujourd’hui, parmi les diverses directives de rester confinées rendues nécessaires par la pandémie, on craint que l’instinct toxique des agresseurs, qui consiste à isoler les femmes de leurs amies et de leur famille, n’ait été aggravé par la COVID-19.

Heureusement, les refuges se sont déjà adaptés. À Calgary, le Brenda Stafford Centre – un refuge de deuxième étape comprenant 85 appartements pour les femmes et leurs enfants – a mis en place un centre de ressources pour aider les femmes à se retrouver dans la multitude d’annonces de financements et de programmes fédéraux et a travaillé dur pour rouvrir le plus tôt possible leur centre d’éducation de la petite enfance afin de soulager les pressions exercées sur les mères et les enfants. À Saint-Paul, le Centre Capella a assuré la liaison avec un hôtel voisin pour que les femmes et le personnel aient un endroit où s’isoler si un cas positif se présentait au refuge et a engagé davantage de chauffeurs pour emmener les femmes à leurs rendez-vous et faire leurs courses.

D’autres refuges ont transposé en ligne leurs services de conseil, et tous les refuges de la province se sont efforcés d’atteindre les femmes qui avaient besoin de soutien mais qui ne voulaient pas risquer leur santé – ou contrer les directives gouvernementales – en quittant physiquement leur domicile. Les refuges ont utilisé les médias sociaux pour atteindre les femmes et les encourager à appeler pour obtenir du soutien, des conseils et des directives ; ici, au sein de l’Alberta Council of Women’s Shelters, nos membres ont même fait appel à notre réseau mondial, en consultant les refuges pour femmes de Taïwan sur leur préparation à la pandémie et leurs conseils. Le gouvernement albertain a offert une aide d’urgence aux refuges pendant la pandémie, et tout récemment, le gouvernement fédéral a augmenté son financement d’urgence aux refuges et aux centres d’aide aux victimes d’agressions sexuelles jusqu’à concurrence de 100 millions de dollars. Cet argent a été une bouée de sauvetage importante qui a permis à ces organisations de payer le personnel pour les heures supplémentaires, d’engager des chauffeurs supplémentaires et de couvrir le coût des chambres de motel pour les mises en quarantaine.

Mais la pandémie a également mis en lumière des problèmes d’infrastructure de longue date, tels que des bâtiments obsolètes avec des salles de bain communes. Le stress et l’anxiété liés à la pandémie ont aggravé des pénuries de personnel déjà importantes. Les refuges auront besoin de plus de fonds pour faire face à ces problèmes afin que nous restions prêts à relever les défis encore à venir pendant cette pandémie. Pendant trop longtemps, le financement des refuges a été offert de manière fragmentaire, une loterie par code postal déterminant les services que les femmes canadiennes reçoivent. Si la pandémie nous donne l’occasion de faire une pause et de réfléchir à la nécessité d’un financement durable et équitable des refuges et d’une programmation axée sur les femmes, ce sera une bonne chose.

Les refuges font depuis longtemps partie d’un réseau de soutien qui est vital pour la santé des femmes canadiennes. Si nous voulons lancer une « reprise féminine », nous devons reconnaître et soutenir le travail des refuges pour femmes, qu’une pandémie se produise ou non en plus de la pandémie actuelle de violence contre les femmes. En effet, lorsqu’on dit à tout le monde qu’il faut rester chez soi et garder ses portes fermées, les refuges doivent faire tout ce qu’il faut pour garder les leurs ouvertes.

Ex-mairesse d’Edmonton (Alberta), Jan Reimer est directrice générale de l’Alberta Council of Women’s Shelters.

Versions anglaise, mandarin et sonore de cet article: https://www.theglobeandmail.com/opinion/article-womens-shelters-forced-to-adapt-again-during-this-pandemic-are/?

Traduction: TRADFEM

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