« Enfin, la paix! »

par Victoria Smith

A propos de la reddition de comptes exigée des femmes.

Il existe une célèbre carte postale anti-suffragiste intitulée « Enfin la paix ! », qui représente une femme aux lèvres cadenassées. On a récemment vu un crétin en diffuser une version mise à jour, soit un montage de tubes de super-colle avec la légende « Enfin, une ligne de rouges à lèvres faite exclusivement pour les TERF ».

La suppression de la parole des femmes, allant de la « bride de la mégère » au « violon de la harpie », s’est toujours accompagnée de fantasmes de violence masculine, justifiés par la description des femmes comme essentiellement hostiles. Nous sommes des chicanières, des harpies, des TERF. Le mot « femme » nous est progressivement retiré.

Les débats contemporains sur la liberté de parole et les propos haineux ont tendance à faire l’impasse sur cette histoire sexuée, en insistant plutôt sur les débats entre la gauche et la droite. On ne reconnaît guère la manière dont les hommes ont toujours utilisé l’idée de haine pour faire taire les femmes, en présentant les discours féminins comme haineux et les femmes qui s’expriment publiquement comme des non-femmes emplies de haine.

Peut-être est-ce dû au fait que l’accès des femmes aux forums publics est encore considéré comme un acte de bienveillance de la part des hommes, sous réserve d’un bon comportement. L’internet est inondé de misogynie violente, mais bon, il faut bien que virilité se passe (boys will be boys). En attendant, nous, les femmes, sommes sommées de bien nous comporter, sous réserve de perdre les privilèges qui nous sont si généreusement accordés.

Ceci n’est pas une observation que l’on risque de trouver dans l’article de gauche habituel sur la culture de l’annulation (cancel culture). Là, des commentateurs masculins comme Billy Bragg prêchent les vertus de la reddition de comptes : « sans responsabilité, la liberté peut se transformer en la plus dangereuse de toutes les licences — l’impunité ». Dieu nous en préserve ! Je suppose que Bragg doit être ravi de voir des femmes comme Sasha White, Beth Rep et Claire Chandler être « forcées de rendre des comptes ». La révolution doit bien commencer quelque part, alors pourquoi pas avec, euh, des femmes délibérément appauvries pour avoir tenté de se défendre en tant que classe.

Alors que Sasha White a perdu son emploi d’agent littéraire pour des tweets personnels sur la pertinence du sexe dans l’oppression des femmes, Claire Chandler a été confrontée à une plainte anti-discrimination pour avoir souligné l’injustice de forcer les joueuses de rugby à se mesurer èa des hommes. Entre-temps, Beth Rep a été condamnée à une amende de 10 000 dollars australiens pour avoir « aimé » sur Facebook des commentaires qui désignaient l’activiste transgenre Bridget Clinch comme un homme. C’est particulièrement remarquable ; il ne suffit pas qu’une femme épure son propre discours. Elle doit maintenant s’efforcer de désavouer celui des autres.

Je n’ai aucune idée de ce qui est passé par la tête de madame Rep lorsqu’elle a aimé ces commentaires particuliers, qui décrivent Clinch comme un « tyran masculin » ou déclarent qu’« aucune des femmes aînées de mes cours d’artisanat […] ne considère Bridget comme une femme ». Il se peut qu’elle ait simplement voulu se montrer polie puisque ces personnes exprimaient leur soutien à son égard (le message initial était des excuses de la part de Madame Rep. pour avoir « mégenré » Clinch. Cela peut indiquer que les excuses de Rep étaient peu sincères, ou pas du tout. Quoi qu’il en soit, il est ridicule que Clinch ait pu poursuivre Rep en vertu de la loi sur la discrimination, en invoquant une diffamation et une victimisation illégales fondées sur l’identité sexuelle. Selon le tribunal, Rep aurait dû supprimer les commentaires alors qu’en les « aimant », elle s’est rendue coupable de diffamation et de victimisation à l’égard de Clinch.

Il existe une célèbre carte postale anti-suffragettes intitulée « Enfin la paix », qui représente une femme aux lèvres cadenassées. On a récemment vu un crétin diffuser une version mise à jour de cette illustration, soit un montage de tubes de super-colle avec la légende « Enfin, une ligne de rouges à lèvres faite exclusivement pour les TERF ».

La suppression de la parole des femmes, allant jusqu’aux brides et aux violons de la mégère, s’est toujours accompagnée de fantasmes de violence masculine, justifiés par le positionnement des femmes comme des agresseures. Nous sommes des grommeleuses, des harpies, des TERF. Le mot « femme » n’est plus à notre usage.

Les débats contemporains sur la liberté et les propos haineux ont tendance à faire l’impasse sur cette histoire sexuée, en insistant plutôt sur les divisions entre la gauche et la droite. On ne reconnaît guère la manière dont les hommes ont toujours utilisé l’idée de haine pour faire taire les femmes, en présentant les discours féminins comme haineux et les femmes qui s’expriment comme des non-femmes pleines de haine. Peut-être est-ce dû au fait que l’accès des femmes aux forums publics est encore considéré comme un acte de bienveillance de la part des hommes, sous réserve d’un bon comportement.

Ceci n’est pas une observation que l’on risque de trouver dans l’article de gauche habituel sur la culture de l’annulation. Là, des hommes comme Billy Bragg prêchent les vertus de la reddition de comptes : « sans responsabilité, la liberté peut se transformer en la plus dangereuse de toutes les licences — l’impunité ». Dieu nous en préserve ! Je suppose que Bragg doit être ravi de voir des femmes comme Sasha White, Beth Rep et Claire Chandler être « tenues de rendre des comptes ». La révolution doit bien commencer quelque part, alors pourquoi pas avec, euh, des femmes activement appauvries pour avoir tenté de se défendre en tant que classe.

Alors que Sasha White a perdu son emploi d’agent littéraire pour des tweets personnels sur la pertinence du sexe dans l’oppression des femmes, Claire Chandler a été confrontée à une plainte anti-discrimination pour avoir souligné l’injustice de forcer les joueuses de rugby à se mesurer a des hommes. Entre-temps, Beth Rep a été condamnée à une amende de 10 000 dollars australiens pour avoir « aimé » sur Facebook des commentaires qui désignaient l’activiste transgenre Bridget Clinch comme un homme. C’est particulièrement remarquable ; il ne suffit pas qu’une femme épure son propre discours. Elle doit maintenant contrôler celui des autres.

Je n’ai aucune idée de ce qui est passé par la tête de Madame Rep lorsqu’elle a aimé ces commentaires particuliers, qui décrivent Clinch comme un « tyran masculin » ou déclarent qu’« aucune des femmes âgées de mes cours d’artisanat […] ne croit que Bridget est une femme ». Il se peut qu’elle ait simplement voulu se montrer polie puisque ces personnes exprimaient leur soutien à son égard (le message initial était des excuses de la part de Madame Rep. pour avoir « mégenré » Clinch. Cela peut indiquer que les excuses de Rep étaient peu sincères, ou pas du tout. Quoi qu’il en soit, il est ridicule que Clinch ait pu poursuivre Rep en vertu de la loi sur la discrimination, en invoquant une diffamation et une victimisation illégales fondées sur l’identité sexuelle. Selon le tribunal, Rep aurait dû supprimer les commentaires et, en les « aimant », elle s’est rendue coupable de diffamation et de victimisation à l’égard de Clinch.

Maintenant, réfléchissons tous et toutes une minute. Pouvez-vous imaginer un monde dans lequel toutes les choses déshumanisantes que les hommes disent aux femmes ont la moindre importance ? Je ne parle même pas des conversations qu’ils pourraient avoir entre eux à propos de nous (penser que quelqu’un d’autre s’en soucierait est tout simplement risible). Mais les choses qu’ils vous disent en face ? Les mensonges qu’ils répandent à votre sujet ? Toutes ces choses que vous entendez jour après jour et que vous ne mentionnez même pas parce que, eh bien, vous êtes juste heureuse qu’ils n’aillent pas jusqu’a vous violer (parce que s’ils le faisaient, ce n’est pas comme si vous obtiendriez justice même en ces circonstances).

Regardez, par exemple, le tollé de réactions adressées a l’écrivaine JK Rowling pour son article prudent et réfléchi sur le sexe et le genre. Photos de bites, menaces de viol, fantasmes d’étranglement — tout cela, elle l’a enduré. Pourtant, lorsqu’elle a finalement osé demander à une publication de rétracter des mensonges purs et simples, elle a été accusée de s’en prendre à plus faible que soi et d’être totalement opposée a toute liberté d’expression. Il est clair que nous sommes censées encaisser sans relâche, sans se plaindre. Personne ne dédommage les femmes après avoir répandu de la haine misogyne à leur sujet. Si c’était le cas, nous serions riches et les misogynes, pauvres comme Job. Au lieu de cela, les pays les plus puissants du monde sont dirigés par des hommes dont le mépris pour les femmes est ostentatoire.

Il est particulièrement ironique de constater que la manière dont on réprime le « mégenrage » est implicitement une forme de mégenrage puisqu’elle traite un groupe de femmes comme des hommes et un autre comme des femmes. La décision rendue contre Madame Rep rend parfaitement évident le fait que seul ce dernier groupe doit se voir refuser le droit à l’autodéfinition, limitant ainsi gravement sa capacité à faire valoir ses propres droits. Les femmes — dans l’ancien sens, inacceptable, du mot — ne peuvent plus nommer la hiérarchie sociale qui les désavantage dans les interactions quotidiennes ; une personne qui affiche le pronom « il » ne peut pas être accusée de se plaindre des hommes, tandis qu’une femme affichant une identité féminine peut être jugée incapable de recourir au traditionnel « old boys network ». Les femmes qui sont traitées comme des femmes (mais qui ne peuvent s’intituler comme telles) dépendent de l’approbation de ceux qui ont traditionnellement exercé un pouvoir sur elles pour décrire leurs propres réalités sociales. Tout manquement à cette règle sera sanctionné.

Mme Clinch elle-même n’a soulevé aucune objection à ce que le tribunal ne la traite pas avec un dédain similaire, adapté à son genre. Le message résultant semble être que, contrairement aux autres femmes, les transfemmes ont tellement souffert — elles ont fait un si grand sacrifice en rejetant la masculinité — qu’elles méritent le droit à un traitement préférentiel dans les situations où cela les avantage par rapport aux femmes non-trans (accès aux clubs de réseautage des hommes, héritages, protection de sentiments blessés). Cela ne constitue apparemment pas un mégenrage. Seules les femmes se méprennent sur le genre lorsqu’elles donnent la priorité à leurs propres besoins, et de toute façon, elles ne sont pas vraiment des femmes, mais des intolérantes.

La bride de la mégère

Je doute que le créateur de l’appareil de torture qu’est la bride de la mégère (scold’s bridle) n’ait jamais entendu la phrase « ce n’est pas une culture de l’annulation, c’est une culture de la reddition de comptes ». Mais je parie que, sous une forme ou une autre, il l’a pensé. Personne ne fait jamais taire une femme sans se dire qu’elle le mérite. Les nouvelles méthodes — diffamation, menaces de violence, retrait de l’accès à l’espace public et à un gagne-pain — ne sont pas différentes des anciennes. Que vos mèmes évoquent de la supercolle ou des cadenas, des tribunaux ou l’immersion forcée dans l’étang du village, vous avez clairement dévoilé vos couleurs.

Version originale : https://grahamlinehan.substack.com/p/peace-at-last

Traduit par TRADFEM, avec l’accord de l’autrice.

Tous droits réservés à Victoria Smith

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