« Elle ne peut pas dire non » : les hommes ougandais qui exigent d’être allaités

Une étude se penche sur cette pratique coercitive en Ouganda, alors que des appels sont lancés au gouvernement pour qu’il s’attaque à ce problème

par Louise Hunt. The Guardian, 28 janv. 2020

Le mari de Jane* aime le lait maternel. « Il dit qu’il en aime le goût et que cela l’aide sur le plan de la santé. Il se sent bien après », dit cette Ougandaise de 20 ans, qui a un bébé de 6 mois.
Jane dit que son mari a commencé à lui demander son lait le soir où elle est rentrée de l’hôpital après avoir accouché. « Il a dit que c’était pour m’aider à faire couler le lait. J’avais l’impression que c’était normal. »
Il n’est pas rare que les hommes boivent le lait de leur partenaire dans certaines régions de l’Ouganda, et dans certaines parties de la Tanzanie et du Kenya. On lie aujourd’hui cette exigence à la violence sexiste et aux comportements coercitifs et l’on s’inquiète de l’impact sur la nutrition des bébés. Cette pratique était peu connue jusqu’à ce que la ministre ougandaise de la santé, Sarah Opendi, brise le silence au Parlement en 2018 et mette en garde contre « une culture croissante d’hommes exigeant de téter, ce qui devenait un problème pour certaines mères allaitantes et leurs bébés ».
Les raisons de ce phénomène et ses conséquences font aujourd’hui l’objet de ce que l’on croit être la première étude préliminaire à ce sujet, réalisée par l’université Kyambogo de Kampala et l’université britannique du Kent, avec le soutien du Global Challenges Research Fund.
« Il s’agissait d’une mission très exploratoire. Nous ne savions pas si nous trouverions quelqu’un qui accepterait de nous parler et qui admettrait l’avoir fait. Nous ne savions même pas vraiment si ce phénomène était réel ou non », a déclaré la Dre Rowena Merritt, spécialiste britannique en santé publique et chercheuse principale du projet.
L’étude s’est concentrée sur le district rural de Buikwe, dans la région centrale, où ce comportement est signalé comme répandu.
Des entretiens anonymisés ont été menés avec un groupe de quatre hommes qui travaillaient comme chauffeurs de motos-taxis.
L’un d’entre eux a déclaré : « Je sais que d’autres hommes le font, mais nous n’en avons jamais parlé ». Pour la Dre Merritt, « Cela me fait penser que c’est un comportement courant, mais qui n’est pas socialement accepté ».
Les recherches préliminaires ont montré que les hommes s’allaitent souvent avant que l’enfant soit nourri, généralement une fois par jour, parfois plus fréquemment, et pendant environ une heure à la fois.
Les hommes ont déclaré qu’ils trouvaient cela énergisant. « Cela me soutient, je rentre à la maison pour le déjeuner et cela soulage le stress au milieu de la journée de travail », a déclaré Thomas*.

Dans certaines communautés de certaines régions d’Afrique, on croit que le lait maternel a des pouvoirs énergisants et curatifs, affirment les chercheurs.

« Dans certaines communautés, on croit que le lait maternel a des pouvoirs énergisants et curatifs, voire qu’il peut guérir des maladies comme le VIH, le sida et le cancer », a déclaré le Dr Peter Rukundo, maître de conférences à l’université de Kyambogo, qui a contribué à la recherche.
Les hommes ont également dit que c’était une façon d’amorcer des rapports sexuels et de manifester de l’affection. « Par contre, ils font cela à des femmes qui viennent d’accoucher », a-t-il ajouté.
Un homme a déclaré aux chercheurs : « Quand on m’allaite, j’ai l’impression qu’on s’occupe de moi comme d’un enfant, et cela devient une dépendance. Je me sens comme un prince ».
Les femmes ne semblaient pas avoir beaucoup de choix en la matière. « Il semble que ce soit un comportement extrêmement contraint selon les personnes à qui nous avons parlé », a ajouté la Dre Merritt.
Lorsqu’on lui a demandé ce qui pourrait arriver si elle disait non, une femme a répondu : « Je crains que mon mari n’aille ailleurs si je ne le laisse pas faire. »

«  »Elle ne peut pas dire non parce que vous devenez obsédé, c’est difficile d’arrêter. »

Thomas* a admis que toute résistance pouvait entraîner un passage à tabac des femmes. « Elle ne peut pas dire non parce que vous devenez obsédé, c’est difficile d’arrêter. Si les femmes disent non, cela peut provoquer des violences, c’est un gros problème », reconnaît-il .
Ce comportement a été lié à la violence sexiste dans la région de Karamoja, du nord-est de l’Ouganda. « Le nutritionniste principal a affirmé que c’est une pratique courante dans cette région sous forme de violence, que lorsque les hommes sont ivres, certains d’entre eux s’emparent avec force des seins des femmes », a déclaré M. Rukundo.
Des professionnels de la santé, notamment des sages-femmes et des nutritionnistes, ont raconté aux chercheurs des cas où il a fallu donner du lait maternisé aux bébés parce que les partenaires réclamaient le lait maternel, et où des femmes sont arrivées à la clinique avec des mamelons infectés ou mordus par un homme qui tétait. Il existe également des risques pour les bébés d’infection croisée issue de la salive de l’homme.
Allaitement

Tasha Cunningham et son garçon de 9 mois. (Magicmaman Magazine)

« Il y a une lacune dans la sensibilisation du public aux risques de telles pratiques. Mais le défi est que nous n’avons pas la preuve de l’ampleur de ce comportement. Nous avons besoin d’une enquête sur sa prévalence », a déclaré M. Rukundo.
Il a également appelé le gouvernement et les partenaires de développement à travailler ensemble pour atténuer ces préjudices. « Nous n’avons ni message clair ni politique délibérée dans ce domaine, même si le ministre de la santé a reconnu l’existence d’un problème. Donc, d’une certaine manière, c’est un déni. Si l’on reste silencieux, le problème restera caché », a-t-il déclaré.
Mme Merritt a ajouté : « La crainte pour moi, c’est que plus longtemps cela continue, plus cela s’intègrera à la culture comme tradition pour la prochaine génération. Je vois des parallèles avec les mutilations génitales. »
*Les pronoms des répondant-e-s ont été modifiés.

Traduit par TRADFEM

Version originale: « She can’t say no’: the Ugandan men demanding to be breastfed »

Inspiration: « Je suis maman et je suis Noire »

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