Le témoignage de Christine Blasey Ford est le contexte de chaque blague sur le viol

La violence des hommes à l’égard des femmes n’est trop souvent qu’une plaisanterie pour eux.

par NATASHA CHART, sur Feminist Current, le 27 septembre 2018

photo audition Ford

Christine Blasey Ford a témoigné aujourd’hui lors d’une audience de la commission judiciaire du Sénat américain sur la nomination de Brett Kavanaugh à la Cour suprême des États-Unis. Madame Ford allègue qu’au cours de l’été 1982, Kavanaugh et son ami Mark Judge l’ont poussée dans une pièce lors d’une petite fête, l’ont agressée sexuellement, ont essayé de lui arracher ses vêtements et lui ont couvert la bouche quand elle a essayé d’appeler à l’aide.

Mr Judge a plus tard rédigé un recueil de souvenirs à propos de son adolescence d’alcoolique. Il vient de passer la semaine planqué dans un chalet de plage au Delaware, et le parti qui détient la majorité des sièges à la commission judiciaire ne l’a pas invité à venir répondre à des questions.

Les médias des États-Unis ne parlent de presque rien d’autre depuis une semaine, et ce blitz de nouvelles s’est avéré déchirant pour beaucoup de femmes observant sur la scène nationale une dynamique sociale que beaucoup d’entre nous connaissons trop bien, de par notre vécu.

A la page 42 de ses mémoires, Judge parle de la « semaine de plage » où, au début de l’été, les gars et les filles des écoles privées de sa région louaient des maisons à Ocean City ou à Rehoboth. M. Judge décrit la semaine de plage comme une « bacchanale d’alcool et de baise, ou du moins de tentatives de baise. » – Peter Maass sur Twitter (@maassp), le 26 septembre 2018

Ford a dit que ce dont elle se souvenait le plus de l’agression était que ses deux agresseurs riaient de bon sœur ensemble, de cette chose hilarante qu’ils étaient en train de faire : des bons copains, vivant la belle vie.

C’était un peu leur film d’été perso entre copains, vécu en direct ensemble, un an après la sortie du film pour adolescents Porky’s, une histoire de garçons sexuellement agressifs qui tentent de larguer leur pucelage. Pour eux, c’était la fête, une fête dont tant de femmes disent de plus en plus qu’elles en gardent des souvenirs tout autres.

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Quand on lui demande quel est le souvenir le plus marquant qu’elle en conserve, Mme Ford répond : « Le rire, le rire éclatant qu’ils partageaient, le plaisir qu’ils prenaient à mes dépens. »

« J’étais sous l’un d’eux pendant que les deux riaient. Deux copains qui s’amusaient vraiment bien ensemble. » – ABC News (@ABC) 27 septembre 2018

Parce que c’est drôle et divertissant quand une fille ou une femme se prend pour une personne, alors qu’un garçon ou un homme la torture sans vergogne, la terrorise, puis continue ses affaires comme si ce n’était rien. Comme si elle n’était rien.

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Une femme a téléphoné au réseau de nouvelles CSPAN pendant la pause et a raconté une histoire déchirante à propos de son propre traumatisme. Prenez une minute pour l’écouter en entier. – Mother Jones (@MotherJones) le 27 septembre 2018

L’expérience de Mme Ford, comme celle de beaucoup d’autres femmes victimes de violence sexuelle masculine, constitue la chute de chaque blague sur le viol, le cliché « Les garçons sont comme ça ». C’est ce qu’ils nous disent, non ? Ce n’est pas grand chose. Ça arrive et c’est tout. Beaucoup d’entre nous ne se donnent même pas la peine de contester ce cliché, ou du moins cela nous prend du temps pour le faire.

Ne faites pas d’histoires, cela se terminera bien assez tôt. Pour eux, c’est la belle vie, une partie de plaisir.

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Une partisane de Trump interviewée par le réseau MSNBC a dit à ses filles qu’il n’y « pas de quoi se formaliser » quand des hommes molestent des femmes. – Caleb Ecarma (@calebecarma) le 26 septembre 2018

Tous les garçons n’agissent pas comme ça, bien sûr. Il paraît qu’ils ne sont qu’un sur dix à violer :

« Dans nos échantillons, 178 des 1 642 participants (10,8 %) ont déclaré avoir commis au moins un viol entre l’âge de 14 ans et la fin de leurs études. »

Donc quand quelqu’un raconte une blague de viol, on essaie de ne pas se souvenir. Parfois on s’en souvient quand même. Les hommes qui rient doivent ressembler à ça :

photo audience Ford

Et nous savons ce que sera leur réaction si nous disons que ce n’est pas drôle.

Appels de réaction sur le réseau C-SPAN :

Ind. : « Elle ment comme une vipère »

Rép. : « Elle ment »

Dém. : Une femme qui pleure en racontant comment elle a été agressée dans son enfance, il y a des décennies. « Je pensais avoir tourné la page… Ça me brise le cœur. » – Pam Vogel (@pamela_vogel) le 27 septembre 2018

Si nous disons quelque chose, les hommes peuvent nous demander si nous avions bu. Comme si c’était un prétexte valable – comme si un homme arrêté avec un portefeuille volé pouvait dire à un policier : « Désolé, monsieur l’agent, je ne savais pas que c’était mal de voler le portefeuille d’un homme ivre ». Comme si la consommation d’alcool par une femme, même une seule fois, créait une zone d’impunité pour les comportements masculins.

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Kavanaugh demande plusieurs fois à la sénatrice Klobuchar si elle a déjà eu des pertes de mémoire dues à l’alcool. – Josh Marshall (@joshtpm) le 27 septembre 2018

Quand les femmes émettent une critique, quelle qu’elle soit, à l’égard des hommes, nous essayons habituellement de remettre immédiatement ceux-ci à l’aise. Peut-être en essayant de leur faire comprendre que nous essayons seulement de leur rendre service.

« Bon dieu! « Ma motivation était d’être utile. » C’est la phrase la plus révélatrice et la plus déchirante que j’aie jamais entendue de ma vie. » – David Roberts (@drvox) le 27 septembre 2018

La plupart des femmes ont l’habitude de demander aux hommes, poliment, avec déférence, de ne pas nous faire de mal; nous le faisons comme si nous ne marchions pas sur du verre brisé, alors que c’est très certainement notre situation. Nous savons qu’ils peuvent nous faire du mal. C’est permis. Nous essayons donc de ne pas oublier de demander poliment. Nous savons toutes ce qui arrive aux filles qui ne sont pas gentilles et ce n’est jamais bon.

Jean Hatchet tweet

Note du traducteur: Jean Hatchet est une cycliste britannique qui, même si elle souffre d’un cancer avancé, continue de faire des circuits de vélo quotidiens en commémoration de femmes tuées par des hommes, afin de lever des fonds pour des maisons d’hébergement, sujettes aux mesures d’austérité du gouvernement Tory.

 

C’est pourquoi nous ne pouvons pas en général être directes.

Une femme vient de dire au sénateur Lindsey Graham qu’elle a été violée. Il dit, en continuant vers un ascenseur : « Je suis désolé. Dites-le aux flics. » – Emma Dumain (@Emma_Dumain) le 27 septembre 2018

Les femmes doivent être gentilles. D’une gentillesse particulière. Il est si facile de se tromper, ou simplement de ne pas être le bon genre de femme dès le départ.

Un expert invité au réseau CNN affirme que le témoignage de Blasey-Ford a plus de résonance parce que – contrairement à Anita Hill qui a projeté une image de force et d’équilibre – Blasey-Ford a projeté une image de vulnérabilité.

Il y a tant de choses à déballer dans ce jugement. – Jawny Mathis. (@GeeDee215) le 27 septembre 2018

Vous devez faire attention à ne pas lui demander explicitement de ne pas vous faire mal – ce serait peu diplomatique, ce serait insulter son honneur et impliquer des motivations peu recommandables de sa part. Il serait probablement offensé si elle lui indiquait le contexte de crainte dans laquelle elle a vécu toute sa vie.

L’honneur est une chose à laquelle les hommes ont droit. Comme c’est bien pour eux

« Quand Grassley a demandé à Ford si elle voulait faire une pause, elle a répondu :  » Est-ce que ça fonctionne pour vous ? J’ai l’habitude de m’adapter aux autres. »

Bien sûr qu’elle s’adapte. Personne ne veut être plus longtemps qu’il ne le faut la risée d’une blague sur les hommes qui maltraitent les femmes. Il dit : « Allez, c’est drôle, non ? » « Amuse-toi, rigole un peu », dit-il. « Ne le prends pas si au sérieux. Ne fais pas la garce », dit-il.

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Quelques « Partisanes » de Kavanaugh. – Monica Klein (@MonicaCKlein) 27 septembre 2018

Nous soupçonnons, mais ne voulons pas apprendre, de quelle façon les hommes comme eux agissent quand ils nous voient comme des garces.

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Kavanaugh : « Vous pouvez me battre lors du vote final, mais vous ne me ferez jamais abandonner » – Bloomberg Politics (@bpolitics) le 27 septembre 2018

C’était juste une blague, non ?

Les vieux copains sont sur le point d’en finir. Ils rigolent durant une audience sur de graves allégations d’agression sexuelle. – Jennifer Hayden (@Scout_Finch) le 27 septembre 2018

Nataha Chart

Gracie and Rachel: « HER » (vidéo)

Elles écrivent ici:

« Le courage qu’il faut pour affronter quelque chose à haute voix et pour se tenir debout quand les chances ne sont pas forcément en notre faveur n’est rien de moins qu’héroïque. Puissions-nous nous lever pour ELLE et pour chacune d’entre ELLES. Avec notre dernière chanson et vidéo, HER (Elle), nous avons cherché à mettre en valeur les femmes, de divers milieux, des femmes qui ont pris position quand ce n’était pas nécessairement facile de le faire, mais celles qui figurent dans la vidéo ne sont que quelques-unes de toutes celles qui nous inspirent à continuer à utiliser nos voix et à exiger d’être entendues.

L’appui massif reçu pour cette chanson nous a encouragées à porter plus loin cette mission en rendant la chanson disponible à l’achat sur Bandcamp et en faisant don de 100% des recettes recueillies à RAINN, le principal organisme étasunien de lutte contre la violence sexuelle. Nous avons commencé avec notre propre don à RAINN et nous espérons que vous ferez de même. Vous pouvez acheter la chanson pour aussi peu que 1 $ et jusqu’à concurrence de la somme que vous désirez donner. Puissions-nous continuer à nous rappeler que son histoire à ELLE est notre histoire et, par conséquent, que nous sommes toutes ELLE. »

*Ndt: Les encadrés sont tirés des fils Twitter des signataires. (Ndt)

Version originale : https://www.feministcurrent.com/2018/09/27/christine-blasey-fords-testimony-context-every-rape-joke/

Natasha Chart est une militante en ligne et une féministe vivant aux États-Unis, qui assure la veille quotidienne (« What’s Current« ) du site Feminist Current. Elle ne rétracte pas son hérésie.  

Traduit par TRADFEM.

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