Susan Cox : Non, les ‘‘poupées sexuelles enfantines’’ n’empêcheront pas les pédophiles d’agresser

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Par Susan Cox, initialement publié le 28 janvier 2016, sur Feminist Current

Une entreprise de pornographie japonaise, Trottla, fabrique des poupées sexuelles réalistes de fillettes, en prétendant qu’elles vont « épargner des agressions sexuelles à des enfants ». L’argument utilisé pour justifier la vente de ces poupées est que les hommes les utiliseront au lieu de violer de véritables petites filles, que l’utilisation de ces poupées pornifiées* aura pour effet de « rassasier » leurs désirs.

Si nous tenons pour acquis que la pornographie et les jouets sexuels empêchent les hommes de commettre des crimes sexuels, le problème du viol aurait dû être résolu depuis longtemps. Mais ce n’est pas le cas : aujourd’hui, il y a plus de porno que jamais et il est beaucoup plus facilement accessible que jamais auparavant ; pourtant, les hommes continuent à agresser sexuellement des femmes et des filles tous les jours, partout dans le monde.

C’est parce que l’utilisation de pornographie ne fonctionne pas vraiment de cette façon (comme un exutoire). Elle n’a pas réussi et ne réussira jamais à « rassasier » les désirs masculins, en les empêchant efficacement de libérer ces « désirs » par des (d’autres) moyens violents. Des spécialistes de la médecine confirment ce facteur, soulignant même que les poupées sexuelles enfantines auront exactement le contraire d’un effet rassasiant sur les pédophiles : elles créeront plutôt un « effet de renforcement », en amenant les hommes à « actualiser [leurs désirs pédophiles] de façon encore plus urgente ».

Malgré cela, la couverture médiatique récente accordée à ces poupées sexuelles enfantines s’est alignée sur une tendance des médias d’idéologie néolibérale à dépeindre les pédophiles avec sympathie et compréhension. Un reportage récemment publié dans la revue The Atlantic dépeint Shin Takagi, le propriétaire pédophile de l’entreprise qui fabrique ces poupées sexuelles enfantines, comme une sorte de philosophe zen : « Être pédophile, c’est comme vivre en portant un masque, » opine-t-il. (Ces pauvres pédos…) L’article semble bien décidé à minimiser les agressions sexuelles d’enfants et à promouvoir les apologies de la pédophilie. L’auteur, Roc Morin, écrit : « Les gens comme Takagi qui se débattent contre des pulsions pédophiles, mais ne sont jamais passés aux actes, ont suscité beaucoup d’attention des médias. »

Nous demande-t-on de croire que le désir de commettre un crime odieux contre la population humaine la plus vulnérable équivaut à se « débattre » contre une condition personnelle ? Devons-nous percevoir ces hommes comme courageux et célébrer leur capacité de ne pas violer des enfants ?

Morin poursuit : « Compte tenu d’un manque de données scientifiques fiables sur leurs circonstances… »

« Leurs circonstances ?? » Être excité sexuellement par le viol d’enfants est maintenant décrit comme une simple « circonstance » surgissant à l’improviste ? Ah bon. Ces hommes sont manifestement de simples victimes du hasard…

« Et en l’absence de tout traitement médical ou psychiatrique connu, beaucoup de ces individus en sont réduits au strict autocontrôle pour éviter d’actualiser leurs pulsions, » écrit Morin.

Comme ce doit être difficile pour eux ! Ils veulent jouir d’agresser des enfants et doivent s’imposer un autocontrôle pour ne pas le faire. Il est évident que la société doit se précipiter à l’aide de ces hommes et leur offrir quelque répit du fardeau qu’ils portent si noblement.

Ce genre d’apologie de la pédophilie exploite maintenant une certaine mode : l’idéologie du « born this way » (c’est de naissance…) pour prétendre que les pédophiles n’ont aucun contrôle sur ce qu’on qualifie d’« orientation sexuelle », comme s’ils étaient tout simplement nés avec la volonté de violer des enfants. (Il est pratique que l’argument d’être « né comme ça » serve aujourd’hui à empêcher des gens d’identifier tout facteur nocif de construction sociale et à préserver ainsi le statu quo…)

M. Takagi défend sa création en soutenant qu’il rend à la société un immense service en offrant aux hommes un exutoire à leurs désirs sexuels violents. Il dit recevoir souvent des lettres d’acheteurs, qui sont des hommes respectables – des médecins, des célébrités, des enseignants *frisson* – et qui prétendent que son produit les a empêchés de commettre un crime.

Mais encore une fois, la pornographie ne fonctionne pas ainsi. Quand un homme avilit et chosifie une femme en utilisant de la pornographie, cela ne l’amène pas magiquement à respecter ou à cesser de chosifier les « vraies » femmes qu’il côtoie dans la vie. La notion que les poupées sexuelles enfantines vont contribuer à absorber une partie des pulsions pédophiles de la société rappelle l’argument fallacieux avancé en faveur de la prostitution : celui qu’une classe de femmes doit exister pour faire les frais des « besoins sexuels » des hommes, de peur que les hommes se déchaînent et se mettent à violer de façon incontrôlable des femmes un peu partout. En réalité, plus la société valide le droit sexuel masculin en leur offrant des « exutoires » pour leurs soi-disant « besoins », plus ces « besoins » s’accroissent et sont normalisés. L’existence de la prostitution n’a certainement pas fait du monde un endroit moins violent ; l’idée que les poupées sexuelles enfantines protégeront en quelque sorte les enfants contre les pédophiles n’est pas moins illusoire.

Le problème social de la pédophilie ne sera pas atténué en permettant aux hommes de simuler les crimes qu’ils ont envie de commettre. Nous ne donnerions pas à un éventuel meurtrier une « poupée à tuer » sur laquelle pratiquer, sous prétexte que cela fonctionnerait comme une sorte de thérapie qui les rendrait moins violents. Pourquoi des revues comme The Atlantic prennent-elles au sérieux les prétextes de Takagi pour justifier son entreprise tordue, au lieu d’exprimer une préoccupation pour les fillettes qu’elle menace ?

Cela semble être un nouvel exemple de la priorité accordée aux érections des hommes au détriment de la sécurité des femmes et des filles, alors que les médias continuent à dépeindre l’utilisation de la pornographie (même celle impliquant des enfants) comme une activité inoffensive, et même bénéfique.

* Nous ne mettons pas d’hyperlien vers le site Web qui vend ces poupées. Cherchez-le à vos propres risques : ces images des poupées sont assez troublantes, à tout le moins.

Susan Cox illustration

Susan Cox est une écrivaine féministe qui vit à New York; vous pouvez la suivre sur Twitter : @Blasfemmey.

Version originale : http://www.feministcurrent.com/2016/01/28/no-child-sex-dolls-wont-keep-pedophiles-from-offending/

Traduction : TRADFEM, avril 2016.

Copyright : Susan Cox.

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3 réflexions sur “Susan Cox : Non, les ‘‘poupées sexuelles enfantines’’ n’empêcheront pas les pédophiles d’agresser

  1. Oui, ces poupées existent depuis un bail, mais sans doute que certaines personnes se rassurent en se disant qu’elles ne sont qu’un achat exceptionnel de « pervers », le « pervers » étant souvent l’autre, l’étranger, le lointain, l’exceptionnel, le rare…

    Et quand on s’aperçoit que c’est tonton ou papy qui en ont, on trouve peut-être moyen de se rassurer en se disant ce qui est souligné dans le texte. A tort assurément. Mais quelque part est-ce que les agressions sexuelles ne sont pas toujours cautionnées malgré les grands cris d’usage et d’apparât ?

    J’avais lu d’ailleurs un jour un article traitant d’un homme fan de ce genre de poupées, version « J’ai 18 ans, tu peux y aller ». La femme de ce dernier adorait les vêtir pour s’occuper un peu (en plus des tâches ménagères habituelles j’imagine). Bref, tout va bien n’est-ce pas…

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  2. A reblogué ceci sur Mon petit espace persoet a ajouté:
    Le problème social de la pédophilie ne sera pas atténué en permettant aux hommes de simuler les crimes qu’ils ont envie de commettre. Nous ne donnerions pas à un éventuel meurtrier une « poupée à tuer » sur laquelle pratiquer, sous prétexte que cela fonctionnerait comme une sorte de thérapie qui les rendrait moins violents. Pourquoi des revues comme The Atlantic prennent-elles au sérieux les prétextes de Takagi pour justifier son entreprise tordue, au lieu d’exprimer une préoccupation pour les fillettes qu’elle menace ?

    Cela semble être un nouvel exemple de la priorité accordée aux érections des hommes au détriment de la sécurité des femmes et des filles, alors que les médias continuent à dépeindre l’utilisation de la pornographie (même celle impliquant des enfants) comme une activité inoffensive, et même bénéfique.

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