Un forum Internet féminin, Mumsnet, peut faire vaciller le gouvernement britannique.

Il est difficile de lire la liste de ces exigences politiques sans se dire que la vie des femmes britanniques est en train de se dégrader.

Par Hannah Barnes, journaliste senior au New Statesman et autrice de “Time to Think: The Inside Story of the Collapse of the Tavistock’s Gender Service for Children”

Justine Roberts, fondatrice de Mumsnet.

Lorsqu’un forum en ligne destiné aux nouveaux parents a été créé en Angleterre en mars 2000, peu de gens auraient pu imaginer l’influence qu’il aurait par la suite. Pourtant, les cofondatrices de Mumsnet, Justine Roberts et Carrie Longton, sont aujourd’hui deux des femmes les plus puissantes du Royaume-Uni. Et une entrevue serrée par les membres du site – ou par Mme Roberts elle-même – peut faire ou défaire la carrière d’hommes politiques.

Les élections générales de 2010 ont été surnommées les « élections Mumsnet », le premier ministre en exercice, Gordon Brown, et le chef des conservateurs, David Cameron, ayant tous deux accepté de répondre en direct aux questions d’utilisatrices du réseau. Et peu de gens peuvent oublier la question d’ouverture de l’interview de 2022 de Justine Roberts avec Boris Johnson, alors premier ministre : « Pourquoi devrions-nous croire ce que vous dites alors qu’il a été prouvé que vous êtes un menteur invétéré ? » Mme Roberts aurait alors pu s’exprimer au nom de tout le pays.

Aujourd’hui, Mumsnet a publié son premier manifeste électoral. Cette décision, m’a dit Mme Roberts, est « née en grande partie des conversations que nous avons eues sur le site pendant la pandémie ». Bien que les femmes portent une grande partie du fardeau en cause – jongler entre le travail et les cours donnés à la maison, ou faire face à la perspective effrayante d’accoucher seule – « les décisions de l’État sur ces enjeux ont été prises sans contribution des femmes ou prise en cause de leurs intérêts ». Mumsnet cherche à utiliser sa position unique pour changer cette situation.

Le site de ce réseau d’échange en ligne compte neuf millions d’utilisateurs-rices inscrit-es, dont plus de 90 % déclarent « voter à chaque élection générale » ; lors du dernier recensement, la population féminine d’Angleterre et du pays de Galles âgée de 25 ans ou plus s’élevait à 21,5 millions de personnes. Les femmes étant également surreprésentées parmi les électeurs indécis, les hommes politiques ne peuvent se permettre d’ignorer les souhaits des personnes abonnées à ce site.

Les 12 revendications politiques de Mumsnet émanent directement de ces souhaits. En tête du manifeste Mumsnet figure l’exigence d’une enquête statutaire sur les soins de maternité au pays. Les enquêtes menées dans certains hôpitaux ont mis en lumière des conséquences fatales pour les femmes et leurs bébés lorsque les choses tournent mal. Mais, selon le manifeste, « des enquêtes locales répétées ne nous permettront pas d’apporter les améliorations systémiques nécessaires au niveau national ». Avec plus de 600 000 femmes qui accouchent chaque année, leur prise en charge est loin d’être une question marginale. Pourtant, seule la moitié des maternités anglaises sont jugées bonnes par la Care Quality Commission du Service national de santé et une sur dix est inadéquate. Le Royaume-Uni obtient de moins bons résultats que nombre de ses voisins européens en matière de décès maternels, et les femmes noires et asiatiques sont touchées de manière disproportionnée par ce problème. Les progrès de la médecine auraient dû rendre l’accouchement « plus sûr que jamais », m’a dit Mme Roberts, et pourtant ce n’est pas le cas. Pourquoi ? C’est « une partie du service de santé qui s’adresse exclusivement aux femmes… Les échecs des soins de maternité sont représentatifs d’une culture qui, pour l’essentiel, traite encore les femmes comme moins importantes que les hommes ».

L’appel à des mesures immédiates pour lutter contre les traumatismes liés à l’accouchement est étroitement lié à cette question et figure en deuxième position dans le manifeste. En fait, la moitié des changements politiques proposés concernent les femmes (ou leurs partenaires) et la période pendant ou juste après chaque naissance. Un appel est lancé en faveur d’un soutien accru à l’allaitement et d’une réforme des règles de commercialisation des préparations pour nourrissons. Le besoin d’un congé parental statutaire est également abordé. La revendication politique la plus surprenante est sans doute celle d’un vote parlementaire sur le décès assisté. Selon Mme Roberts, le niveau élevé de soutien au changement sur cet enjeu – 87 % des personnes sondées y sont favorables – s’explique par le fait que les femmes sont représentées de manière disproportionnée parmi les soignants. De nombreuses utilisatrices du réseau ont « vu leurs proches mourir dans la douleur et l’indignité ».

Il est difficile de lire la liste de ces revendications politiques sans se dire que la vie des femmes britanniques ne cesse de se dégrader. Sinon, pourquoi exiger une réforme du droit de la famille afin de protéger les victimes de violences conjugales ? Ou encore la revendication de mieux assurer la sécurité des femmes et des jeunes filles ? « Beaucoup de choses ont changé pour le mieux depuis près de 25 ans que Mumsnet existe », a déclaré Mme Roberts, « mais les conversations que nous voyons tous les jours sur notre site montrent à quel point nous avons encore du chemin à parcourir ».

Prenons l’exemple du tableau « Relations » de Mumsnet. Après seulement dix minutes de navigation parmi ces conversations, il est clair à quel point la violence et la misogynie sont encore des problèmes endémiques. Un simple fil de discussion sur le départ d’un partenaire émotionnellement violent a reçu 100 réponses en seulement quatre jours cette semaine. La lecture en est bouleversante : « Un soir, il s’en est pris à moi et à deux de mes enfants avec un couteau », écrit une femme. « Je l’ai quitté après qu’il m’a violée et battue à la suite de grands événements familiaux auxquels il insistait pour assister… J’ai failli mourir entre ses mains », a déclaré une autre. Une troisième femme a ajouté : « Je lui ai demandé pourquoi il me traitait si mal – il m’a répondu : ‘Parce que j’en ai le droit' ».

Selon Mme Roberts, environ 1 000 femmes par an sont aidées par d’autres Mumsnetters à quitter une relation violente. Les questions les plus fréquemment posées par ces femmes sont les suivantes : « Est-il normal que j’aie abandonné mon travail pour m’occuper des enfants et que mon partenaire me dise aujourd’hui que je n’ai pas le droit de dépenser ‘son’ argent ? « Est-il normal qu’il ne veuille pas que je sorte avec mes amies ? « Est-il normal qu’il m’étrangle pendant nos rapports sexuels ? « Ces questions ne se posent pas en vase clos », déclare Mme Roberts.

Ni Justine Roberts ni les Mumsnetters ne considèrent que ces nombreux problèmes sont l’apanage d’un seul parti. Par exemple, le manifeste demande au prochain gouvernement de modifier la loi britannique sur l’Égalité afin de préciser que le terme « sexe » se réfère au sexe biologique. Comme je l’ai écrit dans notre revue des enjeux de la semaine dernière, il ne s’agit pas d’un sujet de débat partisan. « Les utilisatrices de Mumsnet ne considèrent certainement pas qu’il s’agit d’une question de droite ou de gauche », déclare Mme Roberts, mais plutôt d’une question de vie privée et de sécurité pour les femmes.

Les bureaux du premier ministre Rishi Sunak et du chef de l’opposition Keir Starmer sont tous deux en discussion avec Mumsnet pour parler à ses utilisatrices, mais rien n’est encore confirmé. Les avantages d’une telle démarche – si elle porte fruit – sont évidents. Les femmes constituent la majorité des votants au pays, et les utilisatrices de Mumsnet en particulier sont apparemment plus susceptibles de voter que n’importe quel autre groupe démographique. Les ignorer se ferait à leurs risques et périls pour les hommes politiques.

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