Le rituel pénible des cours d’éducation sexuelle

Le savoir n’est pas le pouvoir – c’est plutôt « passe-moi les détails »

par Kathleen Stock, sur UnHerd, le 17 mai 2024

« En matière de sexualité, nous ne sommes actuellement, tous autant que nous sommes, malades ou bien portants, que des hypocrites », a écrit Sigmund Freud – un sentiment qui m’est venu à l’esprit lorsque j’ai observé les réactions à l’annonce faite mercredi dernier par le gouvernement britannique au sujet de nouvelles directives en matière d’éducation sexuelle.

Répondant aux critiques selon lesquelles les ressources existantes en matière d' »éducation sexuelle et sanitaire » (ESS) tendaient à être confiées à des agents commerciaux douteux tout en étant cachées aux parents, une refonte du programme scolaire est prévue dans les écoles anglaises.

Selon les nouvelles lignes directrices proposées, les enseignant-es qui s’épanchent à qui-mieux-mieux sur les « identités sexuelles » intérieures seront désormais réduit-es au silence, mais ce n’est pas le seul changement dont il faut se réjouir. Les informations sur la mécanique de la sexualité ne seront communiquées aux jeunes qu’à partir de l’âge mûr de neuf ans, et la « discussion détaillée des activités sexuelles » sera repoussée jusqu’à 13 ans.

Alors que dans certains bastions de la répression puritaine (comme, par exemple, la France), ces limites d’âge seraient probablement accueillies avec incrédulité pour leur laxisme, ici, leurs opposant-es ont réagi comme si le Secrétaire d’État à l’éducation avait imposé des ceintures de chasteté financées par la loterie nationale pour l’enseignement au niveau primaire.

« La politisation de l’éducation sexuelle est impardonnable, dangereuse et réactionnaire… C’est la pire forme de politique de salon, sectaire et mal informée », a fulminé l’ancienne dirigeante des Verts, Caroline Lucas, exprimant de manière élégante l’éternel fantasme selon lequel les initiatives conservatrices sont toujours hautement idéologiques, et que le fait de jouer au sourcier pour deviner le sexe d’enfants en bas âge ou celui d’aborder la question de la prostitution avec des élèves du primaire sont des actions qui brillent de la lumière claire et non filtrée de la vérité morale.

En général, la plupart des réactions exprimées ont semblé inutilement outrées, dénonçant une version imaginaire des nouvelles orientations proposées ou niant complètement l’existence d’un quelconque problème. Ce n’est pas la première fois que je me retrouve à me demander pourquoi la gauche moderne est à ce point sur la défensive face aux tentatives de protéger des esprits fragiles contre le marché adulte des idées sexuelles.

Divers commentateurs-trices critiques ont ressorti l’analogie favorite des zélateurs de l’idéologie du genre – « C’est comme le retour de l’article 28 » – mais sans mentionner qu’en 1988, lorsque la promotion de l’homosexualité dans les écoles a été interdite pour la première fois par les conservateurs, peu d’opposants de cet article de loi, même parmi les plus virulents, auraient rêvé d’insister sur le fait que les enfants du primaire devraient être placés en première ligne pour obtenir des informations détaillées sur quel organe va où.

La différence, je suppose, est l’internet, qui a considérablement abaissé l’âge de l’innocence par rapport aux normes des années 80 en exposant potentiellement des publics beaucoup plus jeunes à du matériel explicite à plus grande échelle. D’où l’argument populaire auprès des protestataires selon lequel si les enfants n’en entendent pas parler par les enseignant-es suffisamment tôt, iels seront de toute façon confronté-es à des informations révélatrices, d’une manière beaucoup plus directe et moins gérable sur le plan psychologique.

Je sais qu’il s’agit d’une objection classique, mais j’ai tout de même quelques doutes à ce sujet. Tout d’abord, la position générale qu’elle suggère – à savoir un acquiescement relatif à la colonisation de l’esprit des enfants par des images incompréhensibles de corps déformés par l’orgasme – est une dérobade. D’autres solutions existent ; d’ailleurs, de nombreux parents utilisent déjà le contrôle parental sur Internet ou évitent entièrement l’usage des smartphones par les enfants en âge d’aller à l’école primaire. Pour des centaines de milliers de jeunes, protégés au moins temporairement des excès de la culture sexuelle dominante, sacrifier leur heureuse ignorance des questions d’adultes afin de devancer le trafic internet pour une poignée de personnes semble être un compromis social qui mérite d’être réexaminé.

Il semble également possible d’enseigner à tous les jeunes enfants l’intégrité et l’autonomie corporelles, de manière à les protéger contre la molestation sexuelle, sans entrer dans tous les détails – d’ailleurs, la NSPCC (Société nationale pour la prévention de la cruauté envers les enfants) a déjà mis en place un programme de ce type.

Mais en réalité, la question de savoir si l’éducation sexuelle à l’école est une réussite ou non – ou si elle est trop permissive ou trop stricte – dépend de la question préalable de savoir à quoi sert cette éducation exactement ; et il me semble que plus personne ne le sait vraiment. Alors qu’il fut un temps où elle visait à informer les adolescents sur des faits biologiques de base, puis à les persuader immédiatement de ne pas mettre en pratique leurs nouvelles connaissances avant d’être en sécurité dans les limites d’un mariage chrétien, elle est aujourd’hui un méli-mélo d’objectifs et de récits contradictoires.

Pour établir ce constat, j’ai cherché un exemple de ressource SSE complète actuellement utilisée dans une école britannique. Bien qu’entravée par des murs payants, j’ai trouvé une version écossaise équivalente disponible gratuitement : décrite comme « élaborée par un partenariat d’autorités locales et d’institutions sanitaires, avec les conseils du ministère écossais et du gouvernement national », elle est vraisemblablement largement utilisée au nord de la frontière. Ici, comme dans les fouilles d’un ancien site archéologique utilisé par différentes tribus au fil des siècles, j’ai trouvé des traces résiduelles de diverses conceptions de la sexualité en vogue au cours de l’histoire, sans que l’on ait apparemment réfléchi à la manière dont elles sont censées s’articuler entre elles.

Débarrassée de ses oripeaux chrétiens, la prévention des grossesses non désirées chez les adolescentes est toujours présentée comme un objectif clair, de même que la normalisation utile des processus corporels normaux tels que la menstruation et l’éjaculation. Mais des artefacts culturels plus récents et moins contraignants sont également présents. L’un d’entre eux est l’accent mis sur le plaisir sexuel : par exemple, dans le gauchement nommé « plan d’activité de masturbation », recommandé aux jeunes de 11 à 15 ans. Dans les années 90, les féministes libérales s’agaçaient du fait que les femmes n’avaient généralement pas autant d’orgasmes que les hommes, considérant qu’il s’agissait d’un problème d’égalité. Que l’augmentation du plaisir sexuel dans le monde soit ou non un objectif politique sérieux, il est toujours dérangeant de rencontrer le fantôme de cet impératif autrefois à la mode dans le contexte d’un plan de cours scolaire.

Par exemple, on dit aux élèves que « si vous vous masturbez, vous apprenez à connaître votre propre corps et ce que vous aimez » et – ce qui ressemble un peu à une campagne publicitaire de Sport Scotland – que « la masturbation est un bon moyen de réduire le stress, de détendre les muscles et peut souvent aider à améliorer le sommeil, l’humeur et la confiance en soi ». Il n’est pas nécessaire d’être un nostalgique fini des années 50 pour penser qu’il vaudrait mieux laisser les étudiants découvrir ces choses par eux-mêmes, pour comprendre que pratiquement plus personne ne s’inquiète sérieusement de la crainte que l’auto-érotisme rende les gens aveugles ou faibles d’esprit, qu’il n’est donc pas nécessaire d’organiser un contre-discours aussi enthousiaste, et qu’entendre de tels arguments de la part d’un-e enseignant-e pourrait s’avérer assez bizarre et dérangeant. En effet, en lisant cette partie du texte, j’ai commencé à penser que ce n’était peut-être pas une coïncidence si l’asexualité est une tendance si importante chez les enfants de nos jours. Dans le domaine de l’éducation sexuelle, le savoir n’est pas toujours synonyme de pouvoir ; parfois, cela provoque simplement la réaction « passez-moi les détails ».

Une autre facette de la ressource que j’ai trouvée, probablement héritée à un moment donné des principes féministes de la deuxième vague des années soixante-dix et quatre-vingt, soulignait l’importance de rejeter les stéréotypes de la masculinité et de la féminité. Une partie d’un module présentait même comme objectif d’apprentissage la phrase « Je comprends que mon apparence, mon comportement ou mes aspirations ne doivent pas être limités par des stéréotypes, par mon sexe ou par les attentes de ce que devraient être des comportements de garçons et de filles ». Pourtant, dans le thème suivant, on trouve des éléments très XXIe siècle, dans lesquels les « personnes cisgenres » sont définies comme celles qui « s’identifient ou s’expriment conformément aux attentes de genre liées à leur sexe », et les personnes transgenres sont celles pour qui « le sexe dans lequel elles sont nées ne correspond pas à ce qu’elles ressentent intimement ». Il n’existe pas de façon satisfaisante de relier ces objectifs pédagogiques.

« Laissons-les à leur inconscience béate des paradoxes sexuels contemporains pour un tout petit peu plus longtemps. »

Ces documents contiennent d’autres tensions sur lesquelles les esprits curieux peuvent se pencher. Si le consentement est la règle d’or des relations humaines, comment cela s’accorde-t-il avec le fait que les pressions sociales modifient involontairement nos choix sexuels ? Si le sexe n’est souvent qu’un plaisir inoffensif entre adultes consentants, alors pourquoi – comme le suggère également ce matériel pédagogique – serait-il préférable pour les jeunes d’attendre pour s’y livrer, et pourquoi dit-on que certain-es d’entre iels regrettent cette activité par la suite ? Si, hormis les problèmes de contraception, le choix entre le sexe vaginal et le sexe anal n’est pas plus complexe que le choix entre deux parfums de glace, pourquoi les femmes préfèrent-elles de loin la version à la vanille ? Étant donné que la société adulte ose à peine aborder de telles questions, nous ne devrions pas attendre des enfants d’âge scolaire qu’ils en trouvent les réponses, mais nous devrions également reconnaître qu’ils risquent d’en être profondément désorienté-es.

En fin de compte, le problème de base d’une grande partie de l’ESS est qu’elle a tendance à traiter ce qui est essentiellement un objectif pratique – à savoir apprendre à devenir un être sexuel pleinement réalisé, heureux, assertif, convenablement respectueux, correctement adapté au monde moderne et doté de toutes les compétences émotionnelles requises – comme s’il s’agissait d’une matière théorique telle que les mathématiques ou l’histoire. C’est comme si nous essayions d’apprendre aux gens à cuisiner uniquement en leur donnant des livres de cuisine, puis en jugeant notre degré de réussite par la précision avec laquelle ils nous répètent des recettes ou décrivent des plans de repas, sans les laisser s’approcher d’une cuisine. Pourtant, comme dans tous les sujets « pratiques », on ne peut pas vraiment comprendre un ensemble d’instructions tant qu’on n’a pas essayé de les mettre en pratique. (De même, personne de responsable ne suggérerait ici des cours pratiques en classe).

En l’absence d’une boucle de rétroaction avec des expériences du monde réel, pour ces enfants qui n’ont pas encore tenu la main d’une autre personne, sans parler de quoi que ce soit de plus impliqué, exceller en ESS n’aura que peu de pertinence sur la façon dont ils se comporteront et se sentiront dans la brousse de la vie sentimentale. Nous pouvons leur faire la leçon sur les limites appropriées, le consentement, la satisfaction de leur partenaire, l’intimité, la confiance et tout le reste, mais tant que le comportement ne commencera pas à être lié à leur libido, cela ne voudra pas dire grand-chose. Vu sous cet angle, la microgestion anxieuse de la psyché naissante des jeunes pour s’assurer qu’ils finissent par répéter toutes les bonnes opinions semble être plus à notre avantage qu’au leur. Peut-être pourrions-nous alors fixer nous-mêmes des limites saines et les laisser à leur inconscience béate des paradoxes sexuels contemporains pour un tout petit peu plus longtemps.

Kathleen Stock est chroniqueuse à UnHerd et codirectrice du Projet lesbien.
Elle signe de courts textes sur « X » sous l’identité @Docstockk
et vient de publier l’essai MATERIAL GIRLS (H&O Éditions)

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