Montserrat Fernández-Garrido : A l’intention de Cristina Pedroche: l’ignorance est très effrontée.

Par Montserrat Fernández-Garrido, tiré du site catalan Accio Feminista

Il y a beaucoup de femmes qui se retournent dans leur tombe à cause de l’interview de Cristina Pedroche1 publiée par votre journal dimanche dernier.

Dire que « nous devons oublier le machisme et le féminisme parce que ce sont des bêtises » c’est parler sans savoir. Et cette femme le fait avec désinvolture, avec l’orgueil de celle qui, étant jeune, populaire et belle, a beaucoup de fans, mais ignore tout de ce qu’elle ne connaît pas. 

Cristina Pedroche dans la rue avec une citation extraite de l’interview: « Il faut oublier l’Espagne, la Catalogne, le machisme, le féminisme et toutes ces bêtises. Il faut bien se comporter et c’est tout. »

Cristina Pedroche dans la rue avec une citation extraite de l’interview: « Il faut oublier l’Espagne, la Catalogne, le machisme, le féminisme et toutes ces bêtises. Il faut bien se comporter et c’est tout. »

Le machisme tue, maltraite, discrimine, exploite et impose. Et le féminisme n’est pas le revers de la médaille, c’est en réalité une philosophie libératrice et une lutte bénéfique aux femmes et aux hommes.

Le féminisme lutte pour une société meilleure, avec une réelle égalité en dignité et des droits égaux face à des situations identiques: que les femmes aient le droit de vote et celui d’être élues, le droit d’étudier à l’Université ou être juges ou présidentes, ne pas avoir à demander l’autorisation du père ou du mari pour ouvrir un compte en banque, avoir un passeport ou créer une entreprise, avoir le droit d’hériter, disposer sur les enfants du même droit que leur père, pouvoir divorcer, ne pas être incarcérées ou se faire confisquer nos enfants pour des soupçons d’adultère alors que les hommes pouvaient avoir des amants, avoir le droit à la contraception et à l’avortement dans des conditions médicales pour ne pas mourir, ne pas souffrir de discrimination pour nos tendances sexuelles, ne pas gagner moins pour un travail égal,… Voilà la lutte qui a été menée, et dont Cristina Pedroche aussi a profité.

Aujourd’hui nous sommes encore très loin d’un monde d’égalités: les chiffres sont très parlants. En Espagne, il n’y a que 9,6% de rectrices d’Université et 7,8% d’ambassadrices. Les femmes représentent 10,5% dans les comités directeurs des Académies Royales, 8,5% sont présidentes d’entreprises de l’IBEX2, 39,4% sont députées, 30,7% ministres, 60% sont étudiantes et 51% sont en doctorat, 39,7% sont maitresses de conférence, mais seulement 20,6% sont professeures d’universités. Les femmes représentent 50% des étudiant.e.s d’audiovisuel, mais il n’y a que 13% de femmes metteures en scène et 20% de productrices, scénaristes et réalisatrices. Quant aux fondations et centres d’art, il y a respectivement 5% et 26 % de directrices de musées. Mais bien sûr, les femmes occupent 95% des emplois subalternes (conservatrices, coordinatrices, communication).

Parmi les candidats aux concours de juge et procureur, 73% sont des femmes, elles réussissent avec les meilleures notes, mais seulement 20% d’entre elles sont juges chez les plus de 60 ans. Il y a 70% de femmes chez les moins de 30 ans, cependant, elles occupent des postes peu importants. Au Conseil Général du Pouvoir Judiciaire3, il n’y a que 36,5% de femmes et seulement 5,8% sont à la tête d’un Tribunal Supérieur de Justice. Dans les quatre présidences de l’Audience Nationale4, il n’y a aucune femme. En tant qu’associées dans les cabinets d’avocats prestigieux ou à la tête des Collèges d’avocats, il y a peu de femmes et, chez les doyens, elles représentent moins de 20%. Bien entendu, il y a moins de 50% de femmes parmi les invités réguliers des plateaux télé et les directeurs de médias.

Les femmes doivent concilier vie privée et vie professionnelle. Elles consacrent au moins 75% du temps nécessaire aux tâches domestiques et aux enfants, contre 25% pour les hommes. Les femmes sortent généralement du travail vers 18h et les hommes à 20h ou 21h. Les hommes détiennent toujours les noyaux de pouvoir. Les femmes touchent entre 20 et 30% de moins que les hommes, pour un travail égal. Elles représentent 70% des contrats à temps partiel, et ce sont elles qui demandent le plus de congés pour élever des enfants (97% contre 3% pour les hommes). Parmi 28 tâches nécessaires dans le domaine familial, les femmes en font 26 et les hommes 2 (conduire et entretenir la voiture).

Ces 10 dernières années, très peu d’hommes se sont fait tuer par leur épouse ou ex-conjointe, alors que 600 femmes au moins ont été assassinées par leur mari ou ex. Eux ils n’ont pas peur. Elles, elles sont terrorisées. Le nombre de femmes maltraitées est immense (en France il y en a au moins 2 millions et, en Espagne, cela ne doit pas être moins), et le nombre de “fausses dénonciations” est de moins de 0,05%. La traite des femmes et des enfants à des fins prostitutionnelles atteint des chiffres terrifiants en Espagne.

Nous pourrions aussi continuer la liste avec toutes les informations rapportées par les médias. Nous pouvons attendre d’une personne qui vit de ses apparitions dans les médias qu’elle lise la presse et s’informe.

Avec le féminisme, nous devons continuer à lutter pour que, dans un futur pas trop lointain, femmes et hommes soient des compagnons de route, traités à égalité en dignité, en salaires, en potentialités… et nous exigeons que les hommes honnêtes soient à nos côtés. Parce que sans égalité entre les gens, femmes et hommes, il n’y a pas de vraie démocratie. Et nous espérons que les jeunes femmes comme Cristina savent de quel côté se placer si elles souhaitent « bien se comporter ».

Montserrat Fernández-Garrido

Avocate, médiatrice familiale, professeure du Master de droit de l’Université de Barcelone

Militante féministe

Original : https://acciofeminista26n.wordpress.com/2016/04/09/a-cristina-pedroche-la-ignorancia-es-muy-osada/

Traduction : Tradfem

[Ndt : pour un équivalent français des chiffres énoncés ici pour l’Espagne, voir le livre La Barbe! Cinq ans d’activisme féministe, du collectif féministe La Barbe ! : http://www.editions-ixe.fr/content/la-barbe-cinq-ans-dactivisme-f%C3%A9ministe ]

1 Cristina Pedroche est une présentatrice de télévision espagnole. (ndt)

2 L’IBEX est l’équivalent espagnol du CAC 40. (ndt)

3 Le Conseil Général du Pouvoir Judiciaire est l’organe constitutionnel de direction du pouvoir judiciaire espagnol. (ndt)

4 L’Audience Nationale est un haut tribunal qui siège à Madrid et dont la juridiction s’applique à l’ensemble du territoire espagnol. (ndt)

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