par Meghan Murphy, initialement publiéle 26 août 2015, sur Feminist Current

POUR FEMMES SEULEMENT – Les jours de semaine, ce wagon est « Réservé aux femmes » pour les trains en direction de Tokyo qui arrivent à Shinjuku entre 1 h 30 et 9 h 30.
Dans ce qui s’est avéré une initiative plutôt controversée, Jeremy Corbyn, candidat à la direction du Parti travailliste britannique, a proposé que certains wagons soient réservés aux femmes dans des trains au Royaume-Uni. « Quelle horrible régression! », ont hurlé certains. D’autres ont qualifié cette proposition d’insulte aux hommes ou de mesure « draconienne » :
[Exemples de messages affichés sur le réseau Twitter :]
British Toy : Si j’étais un homme, je serais grossièrement insultée de voir Corbyn penser que les femmes devraient être maintenues à l’écart des hommes, sous prétexte que tous les hommes sont indignes de confiance.
Radagast the Brown : Non seulement les #WagonsRéservésauxFemmes sont un non-sens draconien, mais ils font également problème pour les personnes trans?
À quel point celles-ci deviennent-elles admissibles?
Spontanément, ma propre réponse à cette proposition a été « Bon Dieu, enfin! ». J’utilise le transport en commun pour me déplacer en ville depuis mon enfance. Adulte, je continue à prendre le bus presque quotidiennement , et c’est chaque jour stressant. Non pas parce que je suis une snob qui ne peut pas supporter de côtoyer des gens ou des bébés, ou parce que je suis dans une telle hâte que je ne peux pas gérer la lenteur de ce mode de transport. (Comme je ne sais pas conduire, ma solution de rechange au transport en commun est la marche, que je pratique aussi quotidiennement, mais qui n’est pas plus rapide que le bus) … En fait, si j’arrivais à réellement me détendre en bus, j’en profiterais totalement : une occasion de plus d’écouter la playlist de Swag Triumphant sur Songza de mettre à jour mon écoute de podcasts! Parfait. Mais le bus n’est jamais relaxant et il n’y a qu’une raison pour cela : les hommes.
Même si l’idée d’une ségrégation sexuelle des transports en commun peut suggérer de prime abord une culture ou une époque où régnaient sans partage les stéréotypes sexistes (les allusions aux talibans foisonnent…), du genre « les hommes ne peuvent pas se contrôler en notre présence, éloignons-les de peur qu’ils nous violent accidentellement » ou encore « les femmes sont des fleurs délicates ayant besoin d’être protégées contre le monde autour d’eux », la réalité est que cette proposition présente une certaine pertinence…
Dans un rapport d’enquête au sujet des transports en commun britanniques, Corbyn a écrit : « Des femmes ont porté à mon attention qu’une solution à la hausse des agressions et du harcèlement infligés dans les transports en commun pourrait être d’introduire des wagons réservés aux femmes. »
Le harcèlement dans les transports en commun est si routinier qu’il existe des sites web entièrement consacrés à partager les récits des femmes à ce sujet. Autrement, vous pouvez simplement lire les nouvelles. Les agressions sexuelles dans les transports en commun ne sont pas inhabituelles. Quand je monte dans un bus, je choisis de rester debout jusqu’à ce que se libère un siège dans la section des sièges individuels, parce que si je m’assois quelque part avec un siège libre à côté de moi, il est inévitable qu’un blaireau s’assoie à côté de moi (malgré l’existence d’autres places disponibles) et qu’il se comporte en blaireau jusqu’à ce que j’atteigne ma destination.
C’est la réalité. Ce qui ne veut pas dire que je ne comprends pas l’opposition à cette proposition.
La députée travailliste Yvette Cooper a tweeté:
Yvette Cooper : Je viens de débarquer du métro. La majorité des passagers sont des femmes. Pourquoi devrions-nous nous enfermer pour demeurer en sécurité? Mettons fin à la #violenceantifemmes au lieu d’instituer une #ségrégation.
D’autres ont fait remarquer que ce type de solution pourrait effectivement prêter le flanc à un blâme des victimes si une femme est harcelée ou agressée dans un wagon mixte :
Hannah : Ouais, c’est le fait de ne pas s’en prendre à la racine du problème qui me rend inconfortable. Et le risque d’un blâme de la victime si une femme est agressée dans un wagon mixte, puis se fait dire qu’elle aurait dû être dans un wagon réservé. C’est une pente glissante.
Ce sont là de bons arguments dont je conviens … Mais en même temps, si les hommes ne veulent pas cesser leurs comportements lubriques, violents et intimidants, ne devrions-nous avoir le droit de les tenir à distance? Ne serait-il pas bien si les choses de base que nous faisons dans notre vie de tous les jours, comme aller à l’école ou au travail, ne devenaient pas des sources d’anxiété tout simplement parce que les hommes ne sont pas disposés à se comporter comme des êtres humains respectueux?
Je dois admettre que je reste indécise, malgré mon enthousiasme pour l’idée de transports en commun sans bitards (littéralement et au sens figuré). Il s’agit très clairement d’une solution de cataplasme qui n’aborde pas vraiment le problème de la violence des hommes à l’égard des femmes. Mais en même temps, il existe de nombreuses situations où la formule « réservée aux femmes » est fonctionnelle…
J’adore les gymnases réservés aux femmes. J’aimerais que tous les gymnases aient au moins une section femmes – c’est sans conteste celle que j’utilise chaque fois que j’y vais, quand existe cette possibilité. Je refuse d’aller aux gymnases dominés par les hommes. Mes amies disent toutes la même chose. S’il y avait des piscines réservées aux femmes, je me remettrais avidement à la nage. J’ai cessé de faire des longueurs parce que des hommes rebelles refusaient de se déplacer vers le couloir lent malgré le fait d’être dépassés continuellement. Si vous aimez la nage en couloirs, vous comprenez sûrement à quel point il est stressant et fatigant d’avoir continuellement à trouver de l’espace dans le milieu et à accélérer pour dépasser quelqu’un, encore et encore, parce que vous leur foncez toujours dans le cul. J’ai cessé d’aimer mes cours d’éducation physique et d’y exceller au lycée après qu’on nous ait réorientées dans un cours mixte en terminale. Auparavant, c’était ma matière favorite.
Les avantages des établissements scolaires non mixtes pour filles sont remarquables. Je me souviens que ma mère souhaitait pouvoir m’y envoyer, uniquement parce qu’elle avait lu des études sur la façon dont les jeunes femmes prospéraient dans les classes sans hommes (mais les écoles de filles à Vancouver sont toutes des écoles privées, et donc hors de portée des familles ouvrières). Si les écoles de filles fonctionnent bien, ce n’est pas parce que des parents prudes peuvent s’assurer que leurs filles restent « pures » aussi longtemps que possible (ce n’est pas du tout comme ça que cela se passe). Elles fonctionnent parce que les filles s’épanouissent dans des salles où les garçons ne prennent pas tout l’espace. Les écoles non mixtes permettent aux filles de participer aux discussions, de gagner en confiance, d’apprendre librement et sans être harcelées sexuellement. Une fois diplômées, les femmes qui ont étudié entre filles continuent d’exceller. Il ne s’agit pas de s’abriter du « monde réel », mais d’accorder leur chance aux filles.
La ségrégation sexuelle n’est pas toujours mauvaise pour les filles et les femmes. En fait, dans certaines circonstances, elle peut être assez utile. Bien que je ne tienne pas à vivre entièrement séparée des hommes ou à bâtir une société qui ne permettrait aux hommes et aux femmes que de se côtoyer dans la sphère domestique (nous avons vu comment cela nuit aux femmes plus que cela ne les aide), il est également faux que la ségrégation sexuelle est toujours une idée régressive. Et c’est particulièrement vrai tant que les hommes continuent à rendre infernales des activités de base comme la gymnastique, l’éducation et les voyages, juste parce qu’ils en ont la possibilité.
Certains soutiennent qu’une telle politique constituerait un « aveu d’échec », mais mettre fin à la violence masculine n’est pas le genre de scénario volontariste où il faut « faire semblant jusqu’à ce qu’on y arrive ».
Liz Kendall : Tout le monde devrait pouvoir voyager sans craindre d’attaques physiques ou verbales. Mais la ségrégation est un aveu de défaite, et non une solution durable.
Faire semblant de se sentir à l’aise en partageant des transports en commun avec des hommes ne suffit pas à en faire une réalité. Le harcèlement et l’agression ne sont pas des comportements que les femmes devraient simplement ignorer au nom de l’empowerment.
Et même si ce n’est pas la solution idéale, n’est-il pas significatif que nous la voulions?
Meghan Murphy est écrivaine et journaliste indépendante, secrétaire de rédaction du soir pour le site rabble.ca, et fondatrice et directrice du site Feminist Current. Elle a obtenu une maîtrise au département d’Études sur les femmes, le genre et la sexualité de l’Université Simon Fraser en 2012. Elle travaille actuellement à un livre qui invite à un retour vers un féminisme plus radical, rappelant la deuxième vague et ancré dans la sororité.
Meghan a commencé sa carrière radiophonique en 2007, dans une caravane installée au milieu d’un champ de moutons. Son émission s’appelait « The F Word » et était diffusée à partir d’une toute petite île au large des côtes de la Colombie-Britannique. Elle a pleinement profité de la liberté que lui laissait cette radio pirate : buvant de la bière à l’antenne, lisant des passages d’Andrea Dworkin, et passant du Biggie Smalls. Elle est revenue à Vancouver, où elle a rejoint l’émission de radio nommée, coïncidence, elle aussi « The F Word », qu’elle a produite et animée jusqu’en 2012. Le podcast de Feminist Current est le projet « radio » actuel de Meghan, une façon de communiquer une analyse critique féministe progressiste à quiconque s’y intéresse. Feminist Current est une émission syndiquée à Pacifica Radio et hébergée par le réseau de podcasts Rabble.
Meghan blogue sur le féminisme depuis 2010. Elle n’hésite pas à penser à contre-courant et a été la première à publier une critique des défilés Slutwalk, en 2011. C’est l’une des rares blogueuses populaires à développer en public une critique à la fois féministe radicale et socialiste de l’industrie du sexe. Les critiques adressées par Meghan au#twitterfeminism, à la mode du burlesque, à l’auto-objectivation des selfies, et au féminisme du libre choix lui ont valu une foule d’éloges et d’attaques, mais surtout une reconnaissance comme écrivaine qui n’a pas peur de dire quelque chose de différent, en dépit de ce que le féminisme populaire et les grands médias décrètent comme ligne du parti.
Vous pouvez trouver ses écrits en version originale dans les médias Truthdig, The Globe and Mail, Georgia Straight, Al Jazeera,Ms. Magazine, AlterNet, Herizons, The Tyee, Megaphone Magazine, Good, National Post, Verily Magazine,Ravishly, rabble.ca,xoJane, Vice, The Vancouver Observer et New Statesman. Meghan a également participé à l’anthologie Freedom Fallacy : The Limits of Liberal Feminism.
Meghan a été interviewée par Radio-Canada, Sun News, The Big Picture avec Thom Hartmann, BBC Radio 5, et Al Jazeera, ainsi que dans de nombreux autres médias.
Isabelle Alonso a publié une interview d’elle sur son blog.
Vous pouvez la suivre sur Twitter @MeghanEMurphy.
Version originale : http://www.feministcurrent.com/2015/08/26/women-only-public-transit-regressive-or-dreamy/
Traduction : TRADFEM
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