Le sabotage des centres d’aide aux victimes de viol est une caractéristique, et non un bogue, du transactivisme.

Le transactivisme n’est pas compatible avec le militantisme anti-viol.

Par Victoria Smith, dans The Critic, 29 mai 2024

Cela fait presque trois ans que Mridul Wadhwa, l’homme trans-identifié qui a pris la tête de l’Edinburgh Rape Crisis Centre (ERCC), a déclaré aux auditrices du podcast Guilty Feminist que certaines victimes de viol – à savoir les femmes qui demandaient un soutien exclusivement féminin – étaient des « personnes sectaires » qui devaient « recadrer [leur] traumatisme ». Cela aurait dû être un scandale. Étrangement, ce n’en fut pas un. Comme c’est souvent le cas avec le transactivisme, cette anecdote était si extrême que le public a présumé que les féministes exagéraient ou qu’il y avait quelque chose qui leur avait échappé. Cela ne pouvait pas être ce à quoi cela ressemblait : un homme narcissique qui humiliait des femmes victimes de viol parce qu’elles ne flattaient pas son ego. Et pourtant, c’est précisément ce qui s’est passé.

Enfin, au début du mois, une sorte de bilan a été dressé. Roz Adams, une ancienne travailleuse de l’ERCC, a gagné son procès contre cette organisation pour licenciement abusif, après avoir été accusée de transphobie pour avoir voulu rassurer les clients à propos du sexe d’un collègue. Le jugement a été accablant dans sa description de la manière « profondément déficiente » dont M. Wadhwa avait mené l’enquête interne. Néanmoins, à l’heure où nous écrivons ces lignes, il demeure en poste. C’est inexcusable.

Aujourd’hui encore, on verra certaines personnes qualifier cette situation d’équilibre délicat à préserver entre des droits concurrents (un exercice si difficile !) ou de militantes bien intentionnées qui vont un peu trop loin (cela arrive si facilement !). Personnellement, je dirais que c’est bien pire que cela. Tout en prétendant défendre des marginaux, M. Wadhwa a profité de sa position pour faire preuve d’une insensibilité extraordinaire à l’égard des femmes victimes de violences sexuelles. Des femmes traumatisées ont été traitées de racistes ; on les a enjointes à « repenser [leur] relation avec les préjugés » ; on leur a fait la leçon sur leurs « privilèges » en tant que femmes. Ce comportement est trop systématique pour être accidentel. Il témoigne d’un manque total de compassion à l’égard des femmes victimes de viol. Wadhwa pourrait vouloir réparer ces femmes, mais uniquement parce qu’elles ne formulent pas ce qui leur est arrivé d’une manière qui reflète adéquatement une vision du monde fondée sur la notion d’identité de genre.

Cette situation constitue une caractéristique, et non d’un bogue, du transactivisme contemporain. Les hommes transidentifiés comme Wadhwa ou Morgane Oger, qui a fait la guerre au Vancouver Rape Relief & Women’s Shelter, ont pour priorité de contrôler les services d’aide aux victimes de violences sexuelles de manière à ce que leurs perceptions y dominent à tout moment. Ils peuvent se dire adeptes du principe d’inclusion, mais leur intérêt n’est pas seulement de s’assurer que les ressources offertes sont disponibles pour tout le monde. Si c’était le cas, ils ne verraient aucun inconvénient à ce que certaines femmes offrent un soutien exclusivement féminin à celles qui en ont besoin (lorsque JK Rowling a créé le nouveau centre Beira’s Place dans ce but, Wadhwa a été jusqu’à dénoncer cette ressource comme étant « fondée sur une plate-forme d’exclusion, de désinformation et de ce que je qualifierais d’impérialisme féministe blanc »). Ce que tentent de faire Wadhwa, Oger et d’autres – comme ceux qui s’opposent à une campagne actuelle de financement pour la mise sur pied d’un seul service non mixte à Brighton – c’est de prendre le contrôle de l’analyse féministe du sexe, du pouvoir et des traumatismes féminins. Ce serait déjà assez grave si leur seule préoccupation en était une de validation, mais ce n’est pas le cas. Il s’agit pour eux de façonner le récit politique du viol lui-même.

L’amalgame créé par le transactivisme entre le statut de femme et la féminité tend à créer des propos très douteux sur le sexe, la violence et la féminité

Tout le monde peut être victime d’un viol (bien que la plupart des victimes soient des femmes et que, selon la loi britannique, tous les auteurs de viols soient des hommes). Je ne doute pas que certains hommes transidentifiés aient été eux-mêmes victimes de telles agressions et qu’ils aient besoin d’aide et de soins à ce titre. Cependant, une victimisation commune n’est pas la même chose qu’une compréhension commune de la politique de la violence sexuelle. La théorie de l’identité de genre n’a pas grand-chose à offrir lorsqu’il s’agit de remettre en question et de rejeter la culture du viol telle que la définissent les féministes. Au contraire, l’amalgame créé par le transactivisme entre le statut de femme et la féminité tend à créer des propos très douteux sur le sexe, la violence et la féminité.

Des textes tels que Whipping Girl de Julia Serano et Females d’Andrea Long Chu sont totalement incompatibles avec les travaux féministes qui mettent l’accent sur les limites, la subjectivité et l’agencéité des femmes. Rendre l’activisme anti-viol totalement « trans-inclusif » – c’est-à-dire conforme à une conception transactiviste des relations humaines – ne signifierait pas seulement fournir certains services aux personnes des deux sexes, indépendamment de leur identité de genre. Cela signifierait le remplacement complet d’une analyse du viol par une autre, en partant du principe que l’approche féministe originale, qui prend en compte le corps et le pouvoir des hommes, est dépassée.

C’est pour cette raison que je pense que l’existence d’un seul service ou d’une seule séance d’aide aux victimes de viol réservés aux femmes est si intolérable pour Wadhwa, Oger et d’autres. Ce n’est pas parce que cela reviendrait à enlever quelque chose à quelqu’un d’autre (ce n’est pas le cas). C’est que ce serait idéologiquement offensant, une reconnaissance implicite que la version transactiviste du féminisme est profondément déficiente. C’est la seule façon de comprendre le niveau de cruauté et de vitriol actuellement dirigé contre les survivantes de viol qui demandent des espaces réservés aux femmes. Celles-ci demandent tellement, tellement peu. Comme l’a écrit Marina Strinkovsky, « cette demande semble si inoffensive : laissez-nous ces petits espaces […] Qui d’autre que les femmes se verraient refuser un petit espace privé pour discuter de leurs expériences de traumatismes sexuels dans l’enfance, par exemple ? Qu’est-ce qu’on peut gagner à franchir ces limites et à imposer une inclusion indésirable dans ces espaces ? »

Au lieu de se voir allouée cette concession, on attend des victimes de viol non seulement qu’elles tolèrent la présence d’hommes dans des espaces nominalement réservés aux femmes, mais aussi qu’elles consentent à ce que leurs perceptions soient « corrigées ». L’expression « recadrer son traumatisme » a un sens, si l’on entend par là que les victimes peuvent y être autorisées à rejeter tout sentiment de honte et à retrouver la confiance en autrui. Elle n’en a pas si l’on entend par là « arrêtez de faire confiance à vos perceptions ». Il ne s’agit plus là de rétablissement mais de manipulation.

Le transactivisme est incompatible avec le féminisme en général, mais il est particulièrement incompatible avec le militantisme anti-viol. À la suite d’un traumatisme, nous avons besoin qu’on nous rappelle qui nous sommes et que nous comptons. Être une femme, ce n’est pas exister pour être objectivée, redéfinie, remise en question. C’est simplement être une femme humaine, entière, complète. Les femmes traumatisées ont besoin d’aide pour s’en souvenir. Quiconque trouve une telle chose offensante pourrait bien avoir besoin d’aide lui-même, mais d’une autre nature. Ce qu’ils ne devraient jamais faire, c’est prétendre offrir cette aide à d’autres personnes.

Victoria Smith

Traduction: TRADFEM

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