À propos des « bonnes » femmes et des dinosaures

par Victoria Smith, sur Medium, le 30 septembre 2021

« La seule « bonne » femme, a écrit Andrea Dworkin, est la femme morte. Quand elle est méchante, elle survit, ou quand elle survit, elle est méchante. » Dworkin faisait spécifiquement référence aux contes de fées, dans lesquels les méchantes belles-mères et les méchantes sorcières – des femmes plus âgées, des femmes ayant outrepassé les limites de l’accueil patriarcal – sont diabolisées, tandis que l’on pleure les mères décédées. Si vous vivez trop longtemps, les hommes se demanderont à quoi vous servez (« Pourquoi, » demande-t-elle dans COÏTS, « nourrir une femme que l’on ne peut pas sauter ? »). En dehors du monde des contes de fées, les femmes difficiles, celles qui ne veulent pas repartir, qui ne veulent pas se taire, qui ne veulent pas se résoudre à accepter leur propre obsolescence, deviennent des dinosaures.

Les hommes qui se disent bons sont très doués pour se sentir tristes à propos des femmes que de méchants ont tuées. Ils sont moins doués pour penser que ces méchants hommes pourraient avoir quelque lien avec eux, et encore moins pour penser que l' »épidémie » de violence masculine à l’encontre des femmes et des filles pourrait relever de la responsabilité des hommes en tant que classe de sexe. Ils sont encore pires lorsqu’il s’agit d’écouter les femmes qui pourraient avoir une analyse – appuyée sur des décennies d’études féministes en plus de leur vécu personnel – au sujet des raisons pour lesquelles les hommes, et non les femmes, se sentent autorisés à faire ce qu’ils font. Ces hommes sont doués pour considérer les femmes comme des victimes et pour pleurer sur des femmes victimes, à condition que ces victimes connaissent leur place et ne soient pas réellement en mesure de s’exprimer. Dès qu’une victime parle, elle devient méchante.

« Les hommes adultes » – écrivait Dworkin en 1974 (dans La haine des femmes) – « sont terrifiés par la méchante sorcière, intériorisée au plus profond de leur mémoire. Les femmes ne sont pas moins terrifiées, car nous savons que ne pas être passives, innocentes et impuissantes, c’est être activement méchantes. » Près de 50 ans plus tard, on exige toujours de nous que nous demeurions passives, dans l’attente d’être sauvées. Le simple fait de nommer notre statut de victime revient à en faire une arme, à nous transformer en bourreau. Les hommes peuvent nous décrire comme craintives – de pauvres petites princesses apeurées, attendant leur prince – mais dès que nous nommons ce que nous craignons, cette crainte est qualifiée de phobie irrationnelle. Les hommes peuvent nous plaindre de marcher nerveusement dans les rues – une pitié toujours teintée de ce sentiment viril de supériorité – mais dès que nous demandons des espaces à nous, on nous dépeint comme accaparant avec égoïsme des privilèges que nous ne méritons pas.

Lorsqu’une femme a suffisamment vieilli pour atteindre le statut de méchante sorcière ou de dinosaure, elle peut avoir de nombreuses expériences de violence masculine à raconter. Elle peut être plus douée que jamais pour faire sens de son vécu. Cela ne fait pas d’elle une bonne victime. Premièrement, elle n’est pas morte. Deuxièmement, elle est « endommagée ». Troisièmement, elle pose des exigences déraisonnables aux hommes gentils qui pensent que leurs larmes devraient suffire. Elle pourrait vouloir qu’ils tiennent tête à leurs amis, aux membres de leur famille, à leurs collègues de parti. Elle pourrait leur demander de nommer le sexe des agresseurs et pas seulement celui des victimes. Elle pourrait vouloir qu’ils prennent au sérieux la proposition selon laquelle la femme a une vie intérieure et que lorsqu’elle vous dit ce dont elle a besoin, elle ne le fait pas uniquement pour priver de ressources d’autres victimes plus « réelles » et valables. Rien de tout cela n’est admissible.

Même en connaissant ces règles – pour les avoir vues identifiées depuis des décennies – on peut se demander quel genre d’homme reste assis là, déclarant vouloir en faire plus pour les victimes, après avoir passé des mois à ne rien dire au sujet des menaces de viol et de meurtre qu’une collègue a reçues de la part de membres de son propre parti. Quel genre d’homme est à ce point incapable de reconnaître ce lien ? Un homme qui aime l’idée de sauver des victimes passives, mais qui ne songerait jamais à risquer sa peau pour une femme qui n’a pas encore été blessée, ou du moins pas suffisamment pour répondre à ses critères de victime passive. Bref, un homme qui traite les femmes ciblées par la violence masculine comme le miroir qui lui renvoie plusieurs fois amplifié son niveau réel de bonté et d’intégrité.

Les femmes n’ont pas seulement peur à cause des hommes vraiment méchants. Le problème est qu’il existe si peu d’hommes vraiment bons. Nos vies sont jonchées d’histoires que nous ne pouvons pas raconter, d’accusations que nous ne pouvons pas porter, parce que nous savons que les hommes bons vont serrer les rangs et que nous ne voulons pas assister à cela. Par conséquent, la grande majorité des victimes ne sont même pas vues, même si ce n’est qu’en constatant tout cela que nous avons une chance de mettre fin à la violence fatale qui – parfois – peut être nommée. Croyez-le ou non, la plupart d’entre nous ne veulent pas avoir à attendre d’être perçues comme « bonnes ».

Victoria Smith

Victoria Smith est l’autrice de HAGS: The Demonisation of Middle-Aged Women, Fleet, 2023.

Traduction: TRADFEM

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