Finn MacKay : Ne décriez pas le féminisme radical – il a toujours été en avance sur son temps

Par Finn Mackay

Le mouvement révolutionnaire des années 70 pour la justice sociale est encore une ressource aujourd’hui.

"Il y a autant d’approches différentes qu’il y a de personnes qui s’en réclament. » Des militantes pro-choix au Parliament Square. Photograph: WIktor Szymanowicz/NurPhoto/Rex/Shutterstock

Le féminisme est souvent dépeint comme un dinosaure agonisant sur la voie du progrès. Les jeunes d’aujourd’hui comprennent beaucoup mieux les notions de sexe, de genre et de sexualité. Plus que jamais, il existe une multitude de termes pour décrire les catégories d’identité (Facebook propose plus de 50 choix différents pour le seul genre). En effet, une étude a révélé que les élèves des écoles secondaires britanniques utilisent plus de 23 appellations différentes pour désigner leur identité sexuelle. Dans ce climat, le féminisme, un mouvement construit à partir des expériences d’une identité précise, est considéré comme rétrograde, englué dans le passé. À cela s’ajoutent les idées fausses selon lesquelles le féminisme radical, en particulier, est foncièrement transphobe ; l’étiquette de « Terf », ou féministe radicale trans-excluante, est utilisée envers toute personne exprimant des opinions trans-excluantes, indépendamment de sa politique ou sans même chercher à savoir si elle est vraiment féministe.

En fait, loin d’être dépassé ou opposé à de telles transformations, le féminisme radical a été en avance sur son temps. Les féministes radicales des années 1970 ont été parmi les premières à prendre au sérieux les débats sur le genre et la sexualité qui secouent actuellement notre société. Nombre d’entre elles attendaient avec impatience l’avènement de relations polyamoureuses et pansexuelles fluides, où les rôles sociaux ne seraient plus définis par les caractéristiques sexuées des individus dès la naissance. Leur travail a contribué à tendre vers l’égalité structurelle pour les femmes, vers des acceptions plus larges de la famille et une plus grande liberté d’expression pour les identités de sexe et de genre qui vont à l’encontre du sens même de l’hétérosexualité.

L’un des principes centraux du féminisme radical a toujours été le rejet de l’essentialisme biologique – la croyance en des rôles sexués innés et biologiques. L’aboutissement de la révolution féministe, selon Shulamith Firestone, autrice de La dialectique du sexe, ne doit pas « se limiter à la suppression des privilèges masculins mais viser l’élimination même de la discrimination entre les sexes : les différences génitales entre les êtres perdraient leur importance sociale »[1]. Comme l’écrivait la féministe radicale, poète et artiste Kate Millett dans son livre de 1970 devenu un classique, La politique du mâle, « quelles que soient les différences « réelles » qu’il puisse y avoir entre les sexes, nous n’aurons aucune chance de les connaitre tant que ces deux groupes ne seront pas traités autrement qu’ils ne le sont, c’est-à-dire d’une façon identique. Et nous en sommes encore bien loin »[2].

Le travail des féministes radicales a mis le genre sous le microscope, y compris la masculinité. Cette démarche était très controversée à l’époque, et l’est toujours. Elles ont été parmi les premières à étudier pourquoi la masculinité est définie par la violence, et comment cela pourrait être modifié. Loin de promouvoir une guerre des sexes, les féministes radicales portaient un message encore plus radical : les femmes et les hommes, chacun-e de nous, quelle que soit notre façon de nous définir, nous sommes tou-tes des êtres humains, et sommes capables ensemble de progrès et d’humanité. Dans les années 1970 en Grande-Bretagne, les féministes allèrent au-delà des théorisations sur ce que pourrait être la vie familiale en dehors du modèle nucléaire, et elles-mêmes commencèrent à la mettre en pratique. Elles ont créé des communautés lesbiennes, organisé des cours d’auto-insémination et des réseaux d’hommes homosexuels pour qu’ils deviennent donneurs de sperme et co-parents. Certaines ont élevé leurs enfants collectivement. Ce faisant, elles ont créé des communautés égalitaires débarrassées de la pression des rôles sexués.

Ces féministes de la deuxième vague créèrent les premiers refuges et centres d’aide aux victimes de viols, elles occupèrent les tribunaux de juges sexistes, incendièrent des sex-shops, lancèrent des campagnes contre l’institution du mariage et portaient des badges incitant à la destruction de la famille nucléaire. Tout cela se passait bien avant que l’on commence à utiliser des termes comme famille choisie ou homoparentalité.

Leur mouvement formait une coalition en faveur de la justice sociale avec d’autres mouvements : le Black Power, l’écologie, le pacifisme et l’antimilitarisme. C’est peut-être en raison de leur radicalité, et du possible bouleversement social qu’elles contribuèrent à initier, qu’un tel retour de bâton s’est produit pour les arrêter. Malheureusement, l’homophobie, et peut-être plus particulièrement la lesbophobie, est toujours un puissant moyen de dissuader les femmes de s’engager dans le féminisme, et, dès le début, le féminisme radical a été dépeint comme repoussoir, avec le célibat et le rejet qu’induit un féminisme allant trop loin.

Nous devrions nous rappeler que ces rebelles ne sont pas reléguées aux archives. La plupart sont encore parmi nous. Le féminisme radical n’est pas notre passé. Au contraire, il est devenu de plus en plus pertinent pour notre avenir. Aucun mouvement social n’a encore guéri les fractures structurelles du racisme, de l’oppression de classe ou de l’homophobie, et le féminisme ne fait pas exception. Il est également affecté par ces mêmes fractures – le racisme, la domination des blancs, le classisme et la transphobie. Tout comme les activistes se tournent vers l’extérieur pour combattre l’inégalité et l’oppression dans la société, elles devraient aussi considérer les formes d’oppression au sein de leurs propres mouvements.

Bien que tout n’ait pas été parfait, cette époque a connu de nombreuses réussites. Les femmes qui ont lancé Reclaim the Night en 1977 ont jeté les bases d’un mode d’organisation que nous sollicitons encore aujourd’hui après des affaires tragiques comme l’assassinat de Sarah Everard. À l’époque, comme aujourd’hui, les femmes disaient qu’elles n’accepteraient pas un couvre-feu, ni le mensonge selon lequel ces tragédies sont des incidents isolés, ou rarissimes, ou perpétrés par des monstres détraqués. Les femmes ont créé les organisations Women’s Aid et Rape Crisis, ainsi que leurs propres maisons d’édition, leurs propres labels de musique et leurs propres médias. Nous n’avons pas besoin de réinventer la roue à chaque fois ; nous pouvons trouver dans le féminisme radical des réponses qui peuvent nous aider à avancer aujourd’hui.

Il n’existe pas de définition unique du féminisme ; il y a autant d’approches différentes qu’il y a de personnes qui s’en réclament. C’est une force, mais il existe aussi le risque que si le féminisme signifie tout, il perde de son sens. Au minimum, le féminisme est un mouvement pour l’obtention de l’égalité des femmes vis à vis des hommes en termes de droits, de reconnaissance et d’accès au monde. Mais les hommes ne constituent pas un groupe homogène, et ils ne jouissent pas des mêmes droits. C’est pourquoi, au fil des siècles, les militantes féministes ont souligné que ce mouvement n’est pas une simple lutte pour les mêmes droits que les hommes en situation d’inégalité.

Le féminisme radical est un mouvement révolutionnaire en faveur de la justice sociale, il œuvre pour faire advenir un autre monde, il travaille pour la libération des femmes et de la société ; par la remise en question, la transformation et, un jour, la fin fin au patriarcat comme forme de gouvernance.

Finn Mackay est l’autrice de Radical Feminism : Feminist Activism in Movement, et est maîtresse de conférences en sociologie, à Bristol, à l’University of the West of England.

Version originale : https://www.theguardian.com/commentisfree/2021/oct/17/radical-feminism-social-justice

Traduction : Tradfem


[1] Shulamith Firestone : La dialectique du sexe, éd. Stock, 1970, p. 23. (Ndt)

[2] Kate Millett : La politique du mâle, éd. Stock, coll. Points, 1983, p. 43. (Ndt)

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