Première recension de « Les Femmes de droite », parue dans les revues Recherches féministes et Érudit en 2013

RECENSÉ PAR Johanne Jutras

Recherches féministes, vol. 26, n° 1, 2013, p. 226-230, reproduit dans la revue Érudit

Recension de Les femmes de droite, d’Andrea Dworkin
Montréal, Les Éditions du remue-ménage, décembre 2012, 263 p.
(Titre original : Right-Wing Women, traduit par Martin Dufresne et Michèle Briand,
New York, A Perigee Book, 1983).

Quel est l’intérêt de traduire un ouvrage paru il y a 30 ans? Martin Dufresne,
cotraducteur, m’a répondu qu’il s’agissait de la quintessence des analyses d’Andrea
Dworkin, la féministe la plus cohérente et convaincante avec sa déconstruction du
pouvoir patriarcal. Right-Wing Women est en effet une synthèse de plusieurs articles
documentés et écrits pour des revues comme Ms pendant la période 1978à 1983.

Cette féministe ne parle pas que des femmes de droite. En effet, Dworkin démonte la
mécanique patriarcale qui, par l’entremise de la misogynie et de tout ce dont on prive les fillettes et les femmes, détourne systématiquement celles-ci de la reconnaissance de leurs talents, de l’égalité économique et de leurs propres projets.

Martin Dufresne ajoute que l’analyse des modèles du bordel et de la ferme demeure
éminemment moderne, surtout lorsqu’on voit les tentatives contemporaines de
banaliser la prostitution et de ramener les femmes à la domesticité dans le mariage.
Préfacé par Christine Delphy, qui présente une analyse matérialiste du patriarcat et de la sexualité, l’ouvrage traduit en français comprend six chapitres dans lesquels Andrea Dworkin analyse les rapports sociaux de sexe étatsuniens où la classe des hommes est dominante. Elle expose les stratégies et les modèles adoptés Par les « femmes de droite » et les féministes, afin de contrer la violence masculine : viol, pornographie, prostitution, violence conjugale, inceste et antiféminisme. Une postface de Frédérick Gagnon, qui aborde le féminisme et l’antiféminisme après l’élection historique de Barack Obama en 2008, conclut cet ouvrage qui remet en question la valeur des femmes aux États-Unis.

La préface de Christine Delphy signale que les œuvres d’Andrea Dworkin ont été peu traduites en français parce qu’il s’agit d’une féministe radicale et que la sexualité entre dominants et dominées est encore un sujet tabou. Le message d’Andrea Dworkin serait difficile à entendre parce que cette dernière partage le pessimisme radical des « femmes de droite » :
Elles ont vu le cynisme des hommes utilisant l’avortement pour baiser plus
facilement les femmes […] Quand l’avortement a été légalisé, elles ont vu
un mouvement social de masse visant à garantir aux hommes, à leurs
conditions, l’accès sexuel à toutes les femmes – soit le déferlement de la
pornographie; et oui, elles relient ces deux enjeux, et pas en raison de
quelque hystérie. L’avortement, disent-elles, prospère dans une société
pornographique; la pornographie prospère dans ce qu’elles appellent une
société d’avortement. Ce qu’elles veulent dire, c’est que les deux réduisent
les femmes à la baise (p. 11).

Christine Delphy estime que la tentative féministe de redéfinir la sexualité a
échoué et que, depuis une trentaine d’années, nous assistons à un ressac (backlash)
en matière de sexualité. Cette situation ne serait pas prise en considération par les
études féministes en France alors qu’elle l’est au Québec lorsqu’on parle des
phénomènes d’hypersexualisation. Delphy s’en prend à l’idéologie sadomasochiste
qui se répand dans les milieux féministes sous l’influence de la théorie fondée sur la
diversité sexuelle (queer) propagée par Judith Butler et Éric Fassin :

Car maintenant, nous disposons, pour justifier le sadisme des hommes et
diriger les femmes vers le masochisme complémentaire, d’une théorie
pseudo féministe. Elle est dommageable pour la sexualité, le féminisme, et
la théorie du genre. En effet, le genre est la catégorisation hiérarchique qui
crée deux groupes : les femmes et les hommes; il a été dénaturalisé par des
générations de féministes qui l’ont détaché de l’anatomie; la théorie queer le
re-naturalise en le présentant comme un fait, un donné inamovible du
psychisme humain (p. 16).

Dans le chapitre 1, « La promesse de l’extrême droite », Andrea Dworkin dépeint la conscience des femmes qui vivent dans un milieu dangereux puisqu’elles ne sont pas à l’abri du viol, de la violence conjugale et de l’exploitation économique et sexuelle sur le marché du travail. Les femmes cherchent donc à survivre et elles décident d’obéir aux règles des hommes estimant qu’elles seront ainsi protégées contre la violence masculine. La promesse de protection de la droite amène les femmes à être conservatrices. Pour Andrea Dworkin, il s’agit d’un suicide puisque
« les hommes respectent rarement leur part du marché, soit la protéger contre la
violence masculine » (p. 24).

Andrea Dworkin aborde l’intelligence sexuelle au chapitre 2 : « La politique de l’intelligence ». À son avis l’intelligence sexuelle « est une aptitude humaine à
discerner, manifester et bâtir l’intégrité sexuelle » (p. 60). Selon elle, l’intelligence
est refusée aux femmes par la classe des hommes. Les deux tiers des analphabètes de
la planète sont des femmes. Pourtant, les femmes sont intelligentes, mais
l’intelligence créatrice qui influence le monde est avant tout celle des hommes. Elle
compare aussi le moralisme des femmes de droite qui est statique, alors que
l’intelligence morale est dynamique et s’inscrit dans le mouvement des idées et de
l’histoire.

Au chapitre 3, « L’avortement », Andrea Dworkin traite du silence des femmes qui ont subi un avortement lorsque celui-ci était encore un crime. Ces femmes, souvent mariées et bonnes mères de famille, ont honte de ce qu’elles ont fait puisqu’on leur a appris que toute vie vaut plus que la leur et que les hommes refusent l’avortement parce qu’ils s’identifient au fœtus : « Pour beaucoup d’hommes, chaque grossesse avortée constitue le meurtre d’un fils – et il est ce fils tué » (p. 80).

Dans le chapitre 4, « Juifs et homosexuels », Andrea Dworkin commente sa présence au congrès des féministes au Colisée Sam Houston au Texas alors qu’elle tente de faire des entrevues avec des représentants de la droite américaine pour la revue Ms.Ensuite, elle aborde le racisme étatsunien :

Dans le racisme, l’homme du groupe racialement avili subit l’un ou l’autre de deux stéréotypes sexuels. Il est soit le violeur – l’animal sexuel à la virilité intense et un membre énorme et puissant – soit désexualisé au sens de démasculinisé. On peut alors le tenir pour castré (dévirilisé) ou l’associer à une homosexualité avilissante (féminisante) et avilie (non martiale)
(p. 124).

Enfin, Andrea Dworkin explique les raisons pour lesquelles les « femmes de droite » rejettent tellement l’homosexualité : « Les femmes sont interchangeables en
tant qu’objets sexuels; elles sont un brin moins jetables en tant que mères. Les
femmes n’ont de dignité et de valeur qu’au titre de mères : c’est une dignité relative
et une valeur bien faible, mais c’est tout ce que l’on offre aux femmes en tant que
femmes » (p. 143).

Dans le chapitre 5, « Le gynocide annoncé », Andrea Dworkin propose deux modèles qui décrivent la façon dont les femmes sont contrôlées socialement et utilisées sexuellement, soit le bordel et la ferme :

Le modèle du bordel est lié à la prostitution, au sens strict; des femmes
rassemblées aux fins d’être utilisées pour le sexe par des hommes; des
femmes dont la fonction est explicitement non reproductive, presque
antireproductive; des animaux sexuels en rut ou qui feignent de l’être,
s’affichant pour le sexe, qui se pavanent et posent pour le sexe […] Le
modèle de la ferme est lié à la maternité, aux femmes en tant que classe
ensemencées par le mâle et moissonnées; des femmes utilisées pour les
fruits qu’elles portent, comme des arbres; des femmes allant de la vache
primée à la chienne pelée, de la jument pur-sang à la triste bête de somme
(p. 174).

Andrea Dworkin compare ces deux modèles. Celui de la ferme serait un tant
soit peu efficace parce qu’il existe une relation particulière entre le fermier et sa
terre et parce qu’il y a eu des luttes féministes menées par des femmes de ce modèle.
Quant au modèle du bordel, il est très efficace puisque le joug de la classe des
hommes est trop lourd et que les femmes n’arrivent pas à se rebeller collectivement.

Le chapitre 6, « L’antiféminisme » présente trois modèles sociaux de
développement de cette haine des femmes et du féminisme qui se combinent pour
subordonner les femmes à la classe des hommes : « Le modèle « séparés-maiségaux », celui de la supériorité féminine et le modèle fiable et familier de la
domination masculine » (p. 201).

Après avoir décrit les piètres conditions de vie des femmes dans la société
patriarcale étatsunienne, Andrea Dworkin présente deux comportements très
différents adoptés par les femmes. Les « femmes de droite » se plient aux impératifs
sexuels et reproductifs de la classe des hommes qui englobe tout le spectre politique
de l’extrême droite à l’extrême gauche : « Les hommes de gauche veulent aussi des
épouses et des putains […] La droite dure donne habituellement à cette solution une
expression ultrareligieuse » (p. 189). De ce fait, elles acceptent la définition
masculine de leur classe de sexe en se battant, à l’intérieur de celle-ci, pour
conserver leur valeur économique, sociale et créatrice.

Les féministes proposent plutôt la valorisation d’une condition humaine
incluant toutes les femmes : « Les féministes voient les femmes comme des êtres
humains dotés d’individualité; et cette vision annihile le système de polarité de
genre qui réserve aux hommes supériorité et puissance » (p. 190). Ainsi, les femmes
ne sont pas réduites à leur sexe et leur vie n’est pas prédéterminée par des idées
totalitaires sur leur nature biologique et leur fonction sociale. Le plus grand critère
utilisé par l’analyse féministe est la dignité humaine sans laquelle la libération des
femmes, en tant que classe de sexe, ne pourra advenir : « Aucun mouvement de
libération ne peut accepter l’avilissement des personnes qu’il veut libérer, en
acceptant pour elles une définition différente de la dignité, et demeurer un
mouvement voué à leur liberté » (p. 217). Ainsi, certaines femmes n’ont pas à être
exploitées sexuellement pour protéger toutes les autres. Selon Andrea Dworkin, « la
seule protection pour n’importe quelle femme est la liberté pour toutes les femmes »
(p. 227).

En guise de conclusion, j’invite toutes les femmes et tous les hommes à lire
cet ouvrage très critique du patriarcat, que l’on dit pourtant disparu en 2013, au
Québec. De plus, Andrea Dworkin propose une analyse éclairée de la sexualité, de la
liberté sexuelle, de l’intelligence sexuelle et de l’intégrité sexuelle des femmes, ce
qui constitue un acquis essentiel pour le mouvement des femmes, devant
l’antiféminisme toujours présent dans notre société.

JOHANNE JUTRAS
Université Laval

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RECENSÉ PAR Johanne Jutras

Recherches féministes, vol. 26, n° 1, 2013, p. 226-230, reproduit dans la revue Érudit

Recension de Les femmes de droite, d’Andrea Dworkin
Montréal, Les Éditions du remue-ménage, décembre 2012, 263 p.
(Titre original : Right-Wing Women, traduit par Martin Dufresne et Michèle Briand,
New York, A Perigee Book, 1983).

Quel est l’intérêt de traduire un ouvrage paru il y a 30 ans? Martin Dufresne,
cotraducteur, m’a répondu qu’il s’agissait de la quintessence des analyses d’Andrea
Dworkin, la féministe la plus cohérente et convaincante avec sa déconstruction du
pouvoir patriarcal. Right-Wing Women est en effet une synthèse de plusieurs articles
documentés et écrits pour des revues comme Ms pendant la période 1978 à 1983.

Cette féministe ne parle pas que des femmes de droite. En effet, Dworkin démonte la
mécanique patriarcale qui, par l’entremise de la misogynie et de tout ce dont on prive les fillettes et les femmes, détourne systématiquement celles-ci de la reconnaissance de leurs talents, de l’égalité économique et de leurs propres projets.

Martin Dufresne ajoute que l’analyse des modèles du bordel et de la ferme demeure
éminemment moderne, surtout lorsqu’on voit les tentatives contemporaines de
banaliser la prostitution et de ramener les femmes à la domesticité dans le mariage.
Préfacé par Christine Delphy, qui présente une analyse matérialiste du patriarcat et de la sexualité, l’ouvrage traduit en français comprend six chapitres dans lesquels Andrea Dworkin analyse les rapports sociaux de sexe étatsuniens où la classe des hommes est dominante. Elle expose les stratégies et les modèles adoptés Par les « femmes de droite » et les féministes, afin de contrer la violence masculine : viol, pornographie, prostitution, violence conjugale, inceste et antiféminisme. Une postface de Frédérick Gagnon, qui aborde le féminisme et l’antiféminisme après l’élection historique de Barack Obama en 2008, conclut cet ouvrage qui remet en question la valeur des femmes aux États-Unis.

La préface de Christine Delphy signale que les œuvres d’Andrea Dworkin ont été peu traduites en français parce qu’il s’agit d’une féministe radicale et que la sexualité entre dominants et dominées est encore un sujet tabou. Le message d’Andrea Dworkin serait difficile à entendre parce que cette dernière partage le pessimisme radical des « femmes de droite » :
Elles ont vu le cynisme des hommes utilisant l’avortement pour baiser plus
facilement les femmes […] Quand l’avortement a été légalisé, elles ont vu
un mouvement social de masse visant à garantir aux hommes, à leurs
conditions, l’accès sexuel à toutes les femmes – soit le déferlement de la
pornographie; et oui, elles relient ces deux enjeux, et pas en raison de
quelque hystérie. L’avortement, disent-elles, prospère dans une société
pornographique; la pornographie prospère dans ce qu’elles appellent une
société d’avortement. Ce qu’elles veulent dire, c’est que les deux réduisent
les femmes à la baise (p. 11).

Christine Delphy estime que la tentative féministe de redéfinir la sexualité a
échoué et que, depuis une trentaine d’années, nous assistons à un ressac (backlash)
en matière de sexualité. Cette situation ne serait pas prise en considération par les
études féministes en France alors qu’elle l’est au Québec lorsqu’on parle des
phénomènes d’hypersexualisation. Delphy s’en prend à l’idéologie sadomasochiste
qui se répand dans les milieux féministes sous l’influence de la théorie fondée sur la
diversité sexuelle (queer) propagée par Judith Butler et Éric Fassin :

Car maintenant, nous disposons, pour justifier le sadisme des hommes et
diriger les femmes vers le masochisme complémentaire, d’une théorie
pseudo féministe. Elle est dommageable pour la sexualité, le féminisme, et
la théorie du genre. En effet, le genre est la catégorisation hiérarchique qui
crée deux groupes : les femmes et les hommes; il a été dénaturalisé par des
générations de féministes qui l’ont détaché de l’anatomie; la théorie queer le
re-naturalise en le présentant comme un fait, un donné inamovible du
psychisme humain (p. 16).

Dans le chapitre 1, « La promesse de l’extrême droite », Andrea Dworkin dépeint la conscience des femmes qui vivent dans un milieu dangereux puisqu’elles ne sont pas à l’abri du viol, de la violence conjugale et de l’exploitation économique et sexuelle sur le marché du travail. Les femmes cherchent donc à survivre et elles décident d’obéir aux règles des hommes estimant qu’elles seront ainsi protégées contre la violence masculine. La promesse de protection de la droite amène les femmes à être conservatrices. Pour Andrea Dworkin, il s’agit d’un suicide puisque
« les hommes respectent rarement leur part du marché, soit la protéger contre la
violence masculine » (p. 24).

Andrea Dworkin aborde l’intelligence sexuelle au chapitre 2 : « La politique de l’intelligence ». À son avis l’intelligence sexuelle « est une aptitude humaine à
discerner, manifester et bâtir l’intégrité sexuelle » (p. 60). Selon elle, l’intelligence
est refusée aux femmes par la classe des hommes. Les deux tiers des analphabètes de
la planète sont des femmes. Pourtant, les femmes sont intelligentes, mais
l’intelligence créatrice qui influence le monde est avant tout celle des hommes. Elle
compare aussi le moralisme des femmes de droite qui est statique, alors que
l’intelligence morale est dynamique et s’inscrit dans le mouvement des idées et de
l’histoire.

Au chapitre 3, « L’avortement », Andrea Dworkin traite du silence des femmes qui ont subi un avortement lorsque celui-ci était encore un crime. Ces femmes, souvent mariées et bonnes mères de famille, ont honte de ce qu’elles ont fait puisqu’on leur a appris que toute vie vaut plus que la leur et que les hommes refusent l’avortement parce qu’ils s’identifient au fœtus : « Pour beaucoup d’hommes, chaque grossesse avortée constitue le meurtre d’un fils – et il est ce fils tué » (p. 80).

Dans le chapitre 4, « Juifs et homosexuels », Andrea Dworkin commente sa présence au congrès des féministes au Colisée Sam Houston au Texas alors qu’elle tente de faire des entrevues avec des représentants de la droite américaine pour la revue Ms.Ensuite, elle aborde le racisme étatsunien :

Dans le racisme, l’homme du groupe racialement avili subit l’un ou l’autre de deux stéréotypes sexuels. Il est soit le violeur – l’animal sexuel à la virilité intense et un membre énorme et puissant – soit désexualisé au sens de démasculinisé. On peut alors le tenir pour castré (dévirilisé) ou l’associer à une homosexualité avilissante (féminisante) et avilie (non martiale)
(p. 124).

Enfin, Andrea Dworkin explique les raisons pour lesquelles les « femmes de droite » rejettent tellement l’homosexualité : « Les femmes sont interchangeables en
tant qu’objets sexuels; elles sont un brin moins jetables en tant que mères. Les
femmes n’ont de dignité et de valeur qu’au titre de mères : c’est une dignité relative
et une valeur bien faible, mais c’est tout ce que l’on offre aux femmes en tant que
femmes » (p. 143).

Dans le chapitre 5, « Le gynocide annoncé », Andrea Dworkin propose deux modèles qui décrivent la façon dont les femmes sont contrôlées socialement et utilisées sexuellement, soit le bordel et la ferme :

Le modèle du bordel est lié à la prostitution, au sens strict; des femmes
rassemblées aux fins d’être utilisées pour le sexe par des hommes; des
femmes dont la fonction est explicitement non reproductive, presque
antireproductive; des animaux sexuels en rut ou qui feignent de l’être,
s’affichant pour le sexe, qui se pavanent et posent pour le sexe […] Le
modèle de la ferme est lié à la maternité, aux femmes en tant que classe
ensemencées par le mâle et moissonnées; des femmes utilisées pour les
fruits qu’elles portent, comme des arbres; des femmes allant de la vache
primée à la chienne pelée, de la jument pur-sang à la triste bête de somme
(p. 174).

Andrea Dworkin compare ces deux modèles. Celui de la ferme serait un tant
soit peu efficace parce qu’il existe une relation particulière entre le fermier et sa
terre et parce qu’il y a eu des luttes féministes menées par des femmes de ce modèle.
Quant au modèle du bordel, il est très efficace puisque le joug de la classe des
hommes est trop lourd et que les femmes n’arrivent pas à se rebeller collectivement.

Le chapitre 6, « L’antiféminisme » présente trois modèles sociaux de
développement de cette haine des femmes et du féminisme qui se combinent pour
subordonner les femmes à la classe des hommes : « Le modèle « séparés-maiségaux », celui de la supériorité féminine et le modèle fiable et familier de la
domination masculine » (p. 201).

Après avoir décrit les piètres conditions de vie des femmes dans la société
patriarcale étatsunienne, Andrea Dworkin présente deux comportements très
différents adoptés par les femmes. Les « femmes de droite » se plient aux impératifs
sexuels et reproductifs de la classe des hommes qui englobe tout le spectre politique
de l’extrême droite à l’extrême gauche : « Les hommes de gauche veulent aussi des
épouses et des putains […] La droite dure donne habituellement à cette solution une
expression ultrareligieuse » (p. 189). De ce fait, elles acceptent la définition
masculine de leur classe de sexe en se battant, à l’intérieur de celle-ci, pour
conserver leur valeur économique, sociale et créatrice.

Les féministes proposent plutôt la valorisation d’une condition humaine
incluant toutes les femmes : « Les féministes voient les femmes comme des êtres
humains dotés d’individualité; et cette vision annihile le système de polarité de
genre qui réserve aux hommes supériorité et puissance » (p. 190). Ainsi, les femmes
ne sont pas réduites à leur sexe et leur vie n’est pas prédéterminée par des idées
totalitaires sur leur nature biologique et leur fonction sociale. Le plus grand critère
utilisé par l’analyse féministe est la dignité humaine sans laquelle la libération des
femmes, en tant que classe de sexe, ne pourra advenir : « Aucun mouvement de
libération ne peut accepter l’avilissement des personnes qu’il veut libérer, en
acceptant pour elles une définition différente de la dignité, et demeurer un
mouvement voué à leur liberté » (p. 217). Ainsi, certaines femmes n’ont pas à être
exploitées sexuellement pour protéger toutes les autres. Selon Andrea Dworkin, « la
seule protection pour n’importe quelle femme est la liberté pour toutes les femmes »
(p. 227).

En guise de conclusion, j’invite toutes les femmes et tous les hommes à lire
cet ouvrage très critique du patriarcat, que l’on dit pourtant disparu en 2013, au
Québec. De plus, Andrea Dworkin propose une analyse éclairée de la sexualité, de la
liberté sexuelle, de l’intelligence sexuelle et de l’intégrité sexuelle des femmes, ce
qui constitue un acquis essentiel pour le mouvement des femmes, devant
l’antiféminisme toujours présent dans notre société.

JOHANNE JUTRAS
Université Laval

2 réflexions sur “Première recension de « Les Femmes de droite », parue dans les revues Recherches féministes et Érudit en 2013

    • Merci. Nous avons travaillé très fort.
      Ne manquez pas « Notre sang », un essai que Dworkin a signé en 1976 et qui cherche présentement un co-éditeur français.

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