Les défaillances des hommes de gauche ont radicalisé les femmes, par Victoria Smith

Traduction par Audrey A. d’un article paru dans The Critic le  11 juin 2024.

NdT : Le vote RN décomposé par sexe aux Européennes s’est traduit par 31% des hommes votants et 32% de femmes votantes. La propagande médiatique importante du RN et sa dédiabolisation ne sont pas suffisantes pour expliquer ce vote des femmes. En revanche, ces dernières années, les hommes de gauche se sont mis à harceler les femmes qui tentent de défendre leurs droits à l’intégrité physique et psychique en lançant des insultes qui les désignent comme des cibles de violences légitimes : « putophobes », « transphobes/TERFs », « islamophobes« .

Loin des analyses critiques menées par le féminisme, de nombreuses femmes et mères sentent instinctivement que les religions infériorisent les femmes et sont dangereuses pour elles et leurs filles, que les humains ne peuvent pas changer de sexe, que les hommes travestis sexuels sont… des hommes travestis sexuels, qu’amputer les seins de leurs filles ne résoudra pas leurs problèmes psychiques, que le proxénétisme, la prostitution et la pornographie ont un impact sur la manière dont les femmes et les filles sont considérées et traitées dans la société et que la GPA est une horreur. Pour cela, elles sont traitées de racistes, de transphobes, de réactionnaires et sont menacées de violences physiques et sexuelles. Et ce par des hommes de gauche trop heureux d’avoir trouvé un filon « progressiste » pour laisser libre cours à leur haine des femmes et exploser de misogynie sous les applaudissements du public.

Les misogynes et les religieux de droite, menteurs comme les autres et aussi peu féministes que peuvent l’être les hommes, récupèrent ces femmes et leur donnent un faux sens de protection contre les agressions des hommes de gauche. Concrètement, les votes de l’extrême droite aux assemblées contredisent un quelconque intérêt à l’égard des causes sociales et des droits des femmes. Démagogie et mensonges : regardez ce qu’ils font et pas ce qu’ils disent.

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Crédit: Genevieve Gluck

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Les défaillances des hommes de gauche ont radicalisé les femmes, par Victoria Smith

Ne prétendez pas que les féministes sont « radicales » sans raison [ici « radical » ne fait pas référence au féminisme matérialiste radical, mais à son emploi vernaculaire].

La semaine dernière, la ministre britannique des Femmes et de l’égalité, Kemi Badenoch, a annoncé que les conservateurs allaient clarifier la loi sur la caractéristique protégée du sexe. Comme l’a rapporté Sonia Sodha, cette annonce a provoqué une « réaction de défense » dans certains milieux, car « des hommes de gauche n’ayant manifestement pas la moindre compréhension des implications d’une telle ambiguïté juridique sont montés au créneau pour qualifier [la proposition] d' »épouvantable » et de « croisade transphobe » ».

Pour ces hommes, aucune clarification n’était nécessaire. Après tout, pourquoi personne n’en avait-il jamais fait mention auparavant ? S’il existait un conflit entre les droits des femmes et les droits des « transgenres »  ( ce dont doutent fortement ces hommes), n’était-ce pas lié à la question de l’auto-identification du genre ? Toute cette agitation autour du sexe biologique ne prouvait-elle pas que le lobby critique du genre se radicalisait de plus en plus ? Donnons-leur la main et elles nous prendront le coude. 

Pour de nombreuses femmes, ces réactions masculines affligeantes ont été la goutte de trop. Les hommes qui n’ont que peu d’intérêt ou d’empathie pour les femmes (ou peu importe comment ils appellent les « personnes à vagin » en ce moment) écumaient de rage à l’idée même que des femmes détenues ou victimes de viols bénéficient du moindre espace non mixte à l’écart des hommes. Le plus agaçant est qu’il y avait néanmoins une petite part de vérité dans ce que ces hommes affirmaient. Oui, il y a quelques années, nombre d’entre nous qui soutenons aujourd’hui Badenoch ne se seraient pas souciées de clarifier le sens du mot « sexe ». Oui, nombre d’entre nous adoptent aujourd’hui une position beaucoup plus dure sur ces questions.

Mais le fait est que ce n’est pas parce que nous aurions été « radicalisées » par les forces du mal qui auraient bourré nos cerveaux de femmes (ladybrain, péjoratif) de propagande d’extrême droite. C’est parce qu’auparavant, nous n’aurions jamais imaginé avoir besoin de clarifier quoi que ce soit. Avant, nous faisions confiance aux hommes transidentifiés pour ne pas abuser de notre bonne volonté. Nous faisions confiance aux hommes « progressistes » pour ne pas faire semblant d’être confus sur les bases de la biologie. Nous pensions que  nous les femmes comptions suffisamment à leurs yeux pour que nos intérêts ne soient pas si complètement ignorés. Il s’avère que nous avons eu tort d’avoir eu confiance en eux, et c’est pourquoi nombre d’entre nous en sont revenues.

C’est triste à admettre, mais il semble que l’on ne puisse faire confiance aux hommes de gauche pour quoi que ce soit. [C’est une des différences entre les féministes radicales et les « libfems » au service des intérêts sexuels des hommes. Les premières ne sont pas surprises.] J’écris en tant qu’ancienne féministe libérale fatiguée, qui a vécu au pays imaginaire où les intérêts des hommes « progressistes » s’accordaient plus ou moins aux miens. Ils détestaient les normes de genre ? Moi aussi ! Ils trouvaient la masculinité étouffante et oppressive ? Génial ! Ils étaient tous pour « mon corps, mon choix » ? Bravo !

Bien sûr, il y avait des points sur lesquels j’avais quelques doutes (leur « respect » [elle est cynique et veut dire leur « intérêt sexuel »] pour les femmes aux prises de l’industrie du sexe me semblait quelque peu suspect) et ils ne semblaient jamais bien emballés par les aspects plus terre-à-terre du féminisme, tels que le travail du care ou les inégalités des retraites. Je n’ai jamais vraiment cru que ces hommes étaient des féministes à part entière, mais je croyais qu’ils avaient de la compassion pour les femmes, qu’ils ne nous considéraient pas seulement comme des stéréotypes ambulants et qu’ils ne dérailleraient pas les arguments féministes à leur propre bénéfice. C’était il y a bien longtemps et je ne pense plus rien de tout ceci aujourd’hui.

Quand ces hommes se sont mis à interpréter l’évolution de ces dernières années comme une période où les femmes « sectaires » se sont « radicalisées », j’ai plutôt vu une période où les hommes de gauche ont été mis à l’épreuve. Pour beaucoup de féministes radicales [au sens philosophique matérialiste], ce test n’aurait jamais dû avoir lieu – et elles avaient on ne peut plus raison – mais il a tout de même eu lieu. [Les féministes radicales savaient que les profem étaient des tartuffes. Ce « test » n’avait aucun sens, car elles étaient déjà au courant de la nature prédatrice de leur pseudo-féminisme.]  Dans la foulée du féminisme de la troisième vague inspirée par la théorie queer et « pro-sexe » [c.-à-d. la récupération masculiniste des idées féministes], les hommes de gauche ont eu maintes occasions de prouver dans la vie réelle leur engagement à rejeter les normes de genre et à renoncer à leurs privilèges de naissance.

Ils se sont systématiquement plantés. Dès qu’il y avait une chance d’exploiter une faille, de mal comprendre un slogan féministe ou de donner la priorité à la sexualité masculine au nom de la « destruction de la binarité », ils ont sauté dedans à pieds joints. Cela ne concerne pas seulement la « question trans ». C’est la même histoire sur tous les plans.

Prenez par exemple notre autonomie corporelle. « Votre corps, votre choix », ont-ils dit. Nous étions d’accord. Nous avons pensé qu’il était agréable de trouver des hommes aussi engagés en faveur du droit à l’avortement. Nous ne nous attendions pas à ce qu’ils étendent ce slogan à tout ce que les femmes les plus vulnérables pourraient être forcées de faire pour eux. [Prostitution, GPA.] Son corps, son choix ! Nous ne nous attendions pas non plus à ce que pour chaque désaccord sur une question relative au corps et aux choix des femmes, ils nous accusent de nous apparenter aux anti-avortement. Le soutien des hommes au droit d’avorter aurait pu être librement consenti, sans intérêt personnel – mais ce n’était pas le cas de nombreux hommes de gauche. Il s’agissait d’un calcul, d’une manière de réaménager sous un éclairage plus progressiste leur droit d’exploiter le corps des femmes.

Prenons ensuite l’exemple des soins aux enfants. « Les hommes aussi peuvent s’occuper des enfants », ont-ils déclaré. Nous étions d’accord. Magnifique, avons-nous pensé, de trouver des hommes prêts à prendre le relais. N’est-il pas merveilleux qu’ils ne présupposent pas que notre capacité exclusivement femelle à donner la vie nous destine inéluctablement à changer les couches et nettoyer les malades ? Nous n’avions pas prévu qu’ils décideraient que cela destinerait le corps maternel à perdre toute intégrité, à n’être plus qu’un objet à louer pour produire un bébé à la demande, bébé acheté légalement avant même que le cordon ne soit coupé. Nous ne nous attendions pas non plus à ce qu’ils nous disent que nous étions conservatrices, traditionalistes, « biologiquement essentialistes » pour nous y opposer. Nous pensions qu’ils avaient plus d’empathie humaine que cela. [Les hommes ont autant d’empathie que la Lune une atmosphère : comptez dessus et vous crèverez.]

En ce qui concerne la question trans, il n’est pas nécessaire de le préciser, même si en toute franchise, nous n’imaginions pas que ces hommes trouvent quoi que ce soit à redire au sujet de notre opposition à la présence d’hommes dans les prisons pour femmes, dans les sports de catégorie féminine et dans les centres d’aide aux femmes victimes de viols. Et si certains hommes trouvaient à y redire, nous pensions au moins que l’homme de gauche moyen s’exprimerait [pour prendre notre défense]. Dans l’ensemble, ils ne l’ont pas fait. C’est ce qui nous a conduites à la nécessité de clarifier la notion de sexe dans la loi. Nous savons toutes ce qu’est une personne de sexe féminin, mais nous savons aussi toutes que si vous dites à un certain type d’hommes que vous revendiquez des espaces réservés aux femmes, ils commenceront à vous parler d’inspections génitales, de poissons-clowns, de débats toxiques, de troubles du développement sexuel, de contrôle de la féminité des personnes et de diverses autres tactiques argumentatives qu’ils affectionnent particulièrement (ah, les bonnes femmes et leurs paniques morales !).

Personnellement, je suis vraiment peinée que tant d’hommes – dont certains étaient des amis – ne soient plus dignes de confiance comme je le croyais autrefois. Je réalise maintenant que le « respect » qu’ils avaient pour les femmes ne reposait pas tant sur un sens partagé de notre humanité commune que sur des normes sociales de groupe : dès qu’il est devenu socialement acceptable pour eux de se retourner contre nous, ils l’ont fait. Évidemment, tous les hommes de gauche ne sont pas concernés [#NOTALLMEN  mais la vaste majorité d’entre eux], suffisamment pour que des mesures de protection [la clarification juridique de la notion de « sexe »] nécessitent d’être mises en place.

Nous n’aurions jamais dû en arriver là, pourtant nous y voilà. Je reconnais que certaines femmes « radicalisées » [au sens péjoratif employé contre le simple bon sens] sont en partie à blâmer, mais c’est uniquement parce que nous avions jadis accordé notre confiance aux hommes qui nous attaquent aujourd’hui. Nous pensions que vous étiez des hommes bien alors que ce n’était pas le cas. Voilà pourquoi nous avons changé. Et c’est de votre faute. 

Victoria Smith

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