L’amour qui ne peut être effacé

Julie Bindel, dans The Critic, le 5 juin 2024

Un récent procès a mis en lumière l’immense mensonge qui sous-tend l’industrie de la maternité de substitution.

Les pères d’un enfant ont insisté pour affirmer que leur fils n’avait « pas de mère » et que celle-ci n’avait « pas de place dans sa vie ».

Cet article est extrait du numéro de juin 2024 du magazine The Critic. Pour recevoir l’intégralité du magazine, pourquoi ne pas vous abonner ? En ce moment, nous proposons cinq numéros pour seulement 10 euros.

Il existe une contradiction au cœur de l’industrie internationale de la maternité de substitution. Ses acteurs prétendent que les émotions des mères à l’égard des enfants qu’elles portent n’existent pas, mais ils tentent simultanément de les empêcher d’agir en fonction de ces émotions. De nombreux parents commanditaires négocient leur achat de bébés dans des territoires qui autorisent l’imposition de sévères restrictions aux droits des mères dites « porteuses ».

Au Royaume-Uni, cette contradiction a récemment été mise en évidence dans une affaire relevant du tribunal des affaires familiales (numéro de référence : [2024] EWFC 20). Un couple d’hommes homosexuels a mené une longue bataille juridique contre la mère qui a porté leur fils. Plutôt que de simplement disparaître après leur avoir remis l’enfant, elle voulait jouer un rôle dans la vie de ce garçon. La réaction de ces hommes a consisté à prétendre leur fils n’avait pas de mère – seulement une « porteuse » – et que l’identité de l’enfant était celle de membre d’une famille sans mère. Il n’y avait « aucune place » à occuper pour elle dans la vie de l’enfant, affirmaient-ils, et il était préjudiciable aux familles homosexuelles de suggérer le contraire.

Au début de cette histoire, G, la porteuse en question, était âgée de 36 ans, mère célibataire d’un adolescent et naïve quant à ce qu’impliquait la maternité de substitution. Les parents commanditaires étaient des amis de sa sœur, mais pas des personnes qu’elle connaissait. Agés de 43 et 36 ans et mariés, ils étaient membres d’une agence organisant des maternités de substitution, Surrogacy UK, et connaissaient très bien ses protocoles – qui comprenaient une période de « prise de connaissance » et du soutien. Cependant, plutôt que de passer par cette agence, les deux hommes ont choisi d’accélérer le processus en concluant directement un accord indépendant avec G.

Après l’échec d’un transfert d’ovule d’une donneuse, le trio a décidé d’utiliser un ovule de G. Les hommes ont convenu que G aurait des contacts avec l’enfant, mais aucune des parties n’a bien mesuré les implications de cette entente. La relation entre les trois personnes s’est détériorée pendant la grossesse de G, et celle-ci a donné naissance à un garçon en septembre 2020.

Après la naissance, G n’a pas voulu consentir à l’ordonnance parentale, en vertu de laquelle elle perdrait toute responsabilité parentale, car elle craignait d’être exclue de la vie de l’enfant. Mais au cours d’une longue audience en ligne où elle était seule et non représentée – contrairement aux hommes – G a été pressée par le juge d’accepter l’ordonnance parentale ainsi qu’un accord de contact qualifié « d’ordonnance sur les arrangements concernant l’enfant »).

Après avoir obtenu la responsabilité parentale, les hommes sont rapidement revenus sur cet accord. Lorsque G s’est présentée chez eux pour une visite convenue à l’avance, ils l’ont menacée d’appeler la police. Elle a enregistré cette rencontre. Le juge des affaires familiales a déclaré plus tard à propos de l’enregistrement que « ce qui a été dit a été décrit à juste titre comme “horrible” ». Les hommes ont déclaré à G qu’elle « nourrissait le désir d’avoir une relation inappropriée » en voulant que son garçon la reconnaisse comme sa mère et l’ont accusée d’avoir « rejeté son rôle de porteuse ».

En janvier 2022, les deux hommes ont refusé d’autoriser G à rendre visite à son fils et ont demandé la modification de leur accord mutuel d’ordonnance parentale sur les arrangements de contact. G a alors déposé sa propre demande d’annulation de l’ordonnance parentale. Elle a obtenu gain de cause en novembre de la même année. Cette décision a rétabli sa responsabilité parentale à l’égard de l’enfant et l’a retirée à l’homme qui n’était pas le père biologique de l’enfant.

Les deux hommes ont redoublé d’efforts pour retirer à G sa qualité de parent, en demandant cette fois une ordonnance d’adoption. Au cours de la procédure judiciaire, ils ont affirmé que l’identité de leur fils était celle d’un enfant de parents homosexuels élevé au sein de la communauté LGBT et qu’il appartenait à une « famille sans mère ».

Ils ont accusé G d’homophobie, en lui disant : « Il n’y a pas de vacance à combler : Il n’y a pas de place à prendre juste parce que [le bébé] a des parents de même sexe ». Selon eux, tout rôle maternel accordé à G créerait le message qu’une famille gaie est incomplète ou inadéquate. Le tuteur des enfants nommé par le tribunal a également déclaré que l’enfant serait confronté à de la stigmatisation et aux préjugés du fait d’avoir des parents de même sexe et qu’« il était important que le bon message lui soit transmis ».

En tant que lesbienne ayant fait son coming out dans les années 1970, je ne connais que trop bien l’histoire de la diabolisation des couples lesbiens et gays. Les parents qui avaient conçu des enfants dans le cadre d’une relation hétérosexuelle se voyaient souvent refuser la garde et des droits de visite s’ils s’avéraient homosexuels après la séparation. Les agences d’accueil et d’adoption affichaient ouvertement des préjugés envers eux. Mais les temps ont changé et aujourd’hui, l’on voit couramment des parents de même sexe aux portes des écoles dans certaines régions du Royaume-Uni.

Les affirmations selon lesquelles les enfants de parents de même sexe seraient désavantagés d’une manière ou d’une autre ont été largement battues en brèche, un nombre croissant de preuves (par exemple Zhang Y, Huang H, Wang M, et al., BMJ Global Health, 2023) montrant que leurs pronostics sont similaires à ceux des familles hétérosexuelles. Les droits des homosexuels sont solidement soutenus par la plupart des institutions publiques et des organisations privées. Il est donc impardonnable qu’un couple gai invoque des préjugés historiques pour justifier l’exclusion d’une mère de la vie d’un enfant.

Quoi qu’il en soit, l’argument des hommes était fatalement – et manifestement – miné par sa propre logique. Si l’enfant n’avait réellement pas de mère, il n’y avait pas lieu d’intenter un recours en justice pour la discréditer.

Comme l’a reconnu le psychologue clinicien chargé conjointement de cette affaire, le moteur de l’argumentation des hommes était « l’éléphant dans la pièce » – soit l’existence de G en tant que mère légale et biologique de l’enfant – et la crainte des hommes quant à son lien maternel avec son fils. Le psychologue a constaté que les hommes avaient des difficultés à « accepter la réalité » de la conception de l’enfant et à envisager le sens que le garçon pourrait donner à la situation en grandissant.

Ils se sont fermement attachés à la convention de maternité de substitution et à l’idée que [G] était une simple « porteuse » parce que, selon ce récit, « la porteuse n’éprouve aucun sentiment, ou presque, pour le bébé », a écrit le psychologue. Il a décrit les hommes comme tentant d’« effacer la mère », ce qui, selon lui, n’était pas dans l’intérêt de l’enfant car cela ne reflétait pas la réalité.

En rejetant une ordonnance d’adoption qui aurait probablement eu pour conséquence de retrancher G de la vie de son fils, le tribunal a décidé que G devait conserver un contact direct et non supervisé avec lui. Le juge a critiqué les hommes pour avoir tenté de rendre G responsable de tout ce qui avait mal tourné. Le jugement a également soulevé des questions sur la manière dont une décision d’adoption serait expliquée au garçon, étant donné qu’elle aurait été prise sans le consentement de sa mère.

Dans une certaine mesure, l’histoire s’est répétée dans cette affaire. Il existe de nombreux exemples de batailles juridiques impliquant des couples de lesbiennes qui ont créé un enfant avec l’aide d’un donneur de sperme qui, par la suite, a insisté pour avoir des contacts avec l’enfant ou jouer le rôle de père.

Comme la Cour d’appel a statué sur l’une de ces affaires en 2012: « Ce que les adultes espèrent vivement avant d’entreprendre les risques de la conception, de la naissance et de la première expérience de la parentalité peut s’avérer être une illusion ou un fantasme. Le couple peut avoir eu le désir de créer une famille nucléaire lesbienne biparentale totalement intacte et exempte de toute fracture résultant d’un contact avec le troisième parent. Mais de tels désirs peuvent être essentiellement égoïstes et peuvent par la suite ne pas prendre suffisamment en compte le bien-être et le développement des droits de l’enfant qu’ils ont créé. »

Ce qui est inquiétant dans cette affaire, c’est le langage utilisé – celui d’un « effacement » de la mère

Les affaires de maternité de substitution contestées ne sont guère différentes de ces querelles et, en fait, de tout autre litige en matière de contact. Ce qui est préoccupant dans le cas de G, et ce qui le différencie du cas des parents lesbiens ci-dessus, c’est le langage utilisé. La psychologue a explicitement fait référence à la tentative d’« effacement » de la mère par les hommes. Ils refusaient tout simplement de reconnaître l’existence de G sous toutes les formes dans lesquelles elle remplissait une capacité maternelle : juridique, génétique et en tant que personne ayant donné naissance. Ils ont été soutenus dans cette illusion par les professionnels qui ont argué en leur faveur.

En l’espace de quelques années, le terme « orphelin de mère » est ainsi passé d’une description émotionnelle d’une absence à une identité positive défendue devant les tribunaux. Cette évolution est tout à fait cohérente avec le récit que font au public les acteurs des entreprises de maternité de substitution.

Lorsque des couples célèbres présentent leurs enfants nés d’une mère porteuse sur les réseaux sociaux, les femmes qui ont mis au monde ces enfants sont rarement mentionnées. Les nouveaux bébés sont « accueillis » comme s’ils étaient arrivés par livraison spéciale. Cette attitude est conforme à celle de l’industrie internationale de la maternité de substitution, qui réduit le rôle de la mère biologique à celui d’une « porteuse » ou d’un utérus loué.

Pour les parents commanditaires, il doit être très facile de considérer la femme qui a porté leur enfant pendant neuf mois comme une simple prestataire de services, quelqu’un que l’on oublie avec gratitude dès que le dernier versement est effectué et que le produit est remis.

Pendant ce temps, certains éléments du National Health Service britannique sont déterminés à « dégenrer » l’accouchement, se référant régulièrement aux « parents accoucheurs » plutôt qu’aux mères. À titre d’exemple (il y en a plusieurs autres), les « Informations destinées aux familles » de l’Hôpital royal de Bath sur l’induction des accouchements font référence aux pères, mais ne mentionnent pas les mères – parlant plutôt de « parents accoucheurs ».

Les féministes font depuis longtemps campagne pour l’adoption de termes neutres à l’égard du genre qui reflètent des rôles qui sont effectivement, ou peuvent être, neutres à cet égard. Mais le fait de dissocier le sexe des processus nécessairement féminins de la grossesse et de l’accouchement est un pas vers un avenir dystopique. En 2015, Victoria Smith a écrit : « Le langage non sexiste autour de la reproduction crée l’illusion de démanteler une hiérarchie – alors qu’en réalité, il ne fait que l’ignorer ». J’irais même plus loin. Le langage neutre en matière de reproduction – comme tout langage qui occulte la réalité – renforce et contribue à établir des hiérarchies d’oppression.

Pour les hommes, G n’était qu’un utérus de substitution pour un enfant destiné à être sans mère. Mais pour G et l’enfant, elle était sa mère. Comme l’a dit le psychologue, « l’absence de mère est une illusion. Cet enfant est né de deux personnes, biologiquement, et de trois personnes, psychologiquement… La mère a certainement joué un rôle, biologiquement et psychologiquement, dans la conception de l’enfant. »

Cette affaire, passée inaperçue dans les médias, ne changera rien à l’opinion publique sur la maternité de substitution. Il est probable qu’elle encouragera de futurs parents intentionnels à explorer des juridictions étrangères douteuses, où les mères porteuses ont encore moins de droits. Les profiteurs de la maternité de substitution continueront à encourager des couples riches à exploiter des femmes pauvres et naïves.

Quant au terme « orphelin de mère », il pourrait, avec le temps, perdre ses connotations négatives et se consolider en tant qu’identité. Deviendra-t-il un badge que des enfants hétérosexuels pourront utiliser pour signaler leur lien avec la communauté LGBTQ+ ? Ou une carte d’oppression que les enfants d’hommes riches pourront utiliser pour expliquer leur mauvais comportement à l’égard des femmes ? Quoi qu’il en soit, les récits de Disney et Dickens vont avoir besoin de beaucoup de réécritures.

Julie BINDEL

Traduction: TRADFEM

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