À ceux qui justifient la violence envers les femmes

SUZANNE MOORE, sur son substack, le 29 mars 2023

Quand la violence à l’égard des femmes est-elle acceptable ? Quand elle est commise pour la « bonne raison » ? Quand les femmes en question « l’ont bien cherché » ? Quand les femmes qui s’expriment doivent être bâillonnées « par tous les moyens nécessaires »?

Il semble que des gens croient cela, oui. Si vous considérez que les femmes qui se mobilisent et font campagne pour leurs droits sont « fascistes », alors tout devient permis. 

En ligne, on a droit aux menaces directes de soi-disant activistes trans qui rêvent à voix haute de violer et tuer des « TERF ». Tout le monde constate ces menaces, qui sont vaguement mais pas réellement condamnées. Les frères socialistes s’en donnent à cœur joie en décrivant toute femme qui remet en question l’idéologie du genre comme une nazie. Les idéologues comme Billy Bragg et Owen Jones servent de porte-voix à ceux qui, nourris par une misogynie « juste », enfilent un masque et vont crier au visage de femmes. 

Et il y a pire encore. Bien pire.

Si vous n’avez jamais été menacée par ces gens-là, il peut être difficile de comprendre ce qui se passe. Si vous l’avez été, ce sentiment est évident. 

Je me souviens être arrivée à Brighton en 2019 pour le congrès du Parti travailliste. Des groupes de transactivistes traînaient à proximité du Pavillon. Je n’y ai accordé que peu d’attention : ce n’était qu’une des nombreuses bandes d’activistes qui entouraient le parti de Corbyn. Ce n’est que plus tard dans la nuit, alors que j’ai traversé en pleine nuit une foule de gens qui hurlaient et frappaient aux fenêtres d’un édifice, que j’ai réalisé que ces types n’étaient pas aussi gentils qu’ils en avaient l’air. (Pour être franche, la plupart d’entre eux avaient d’assez sales gueules.)

J’ai ensuite réalisé qu’une réunion de l’organisation Woman’s Place UK était en cours à l’intérieur et que les manifestants tentaient d’en intimider les participantes par tous les moyens possibles. 

À ce moment-là, j’avais l’esprit ailleurs. Le congrès était une expérience horrible, pétrie de l’arrogance machiste des leaders syndicaux. Si vous n’étiez pas dans le camp de Corbyn, vous étiez l’ennemi. La moitié des députés travaillistes n’étaient même pas présents. 50% des ateliers portaient sur la Palestine. À l’époque, mon meilleur ami était mourant et j’ai marché sous une pluie battante, les larmes aux yeux, consciente des pertes imminentes : il était clair que le Labour allait perdre la prochaine élection, tout comme il était clair que j’allais perdre mon ami.

Je vous dis cela parce que seule la violence des hommes qui tambourinaient dans ces fenêtres m’a fait revenir à moi. Pourquoi étaient-ils si en colère ? Pourquoi un groupe de femmes travaillistes, dont beaucoup étaient des syndicalistes de longue date, étaient-elles soudain considérées comme les pires personnes en ville du fait de tenter de préserver leurs droits fondés sur le sexe ?

Les menaces lancées sur Internet sont une chose. La violence dans la vie réelle en est une autre. Les femmes la reconnaissent quand elles la voient.  Nous la connaissons réellement, et nous n’avons pas besoin de faire de longues confessions pour être crues. 

Cette violence se poursuit, et des gens continuent à la justifier. Les femmes doivent se rencontrer en secret, dans des lieux protégés, au coût de mesures de sécurité. Pourquoi ? Parce que nous pensons à des choses dangereuses et que nous en discutons, alors se réunir doit signifier que nous complotons…

Les préjugés répandus sont stupéfiants : Les femmes comme moi n’acceptent pas l’existence des transgenres. Bien sûr que si. Nous voulons un génocide trans. Quoi?! Mais c’est de la projection pure et simple! Nous sommes des femmes marquées : des TERF, des nazies, des intolérantes. Ce qui nous arrive n’est que ce que nous méritons.                

La façon dont les mots «fasciste» et «nazi» sont lancés à tous vents ces jours-ci me rappelle le personnage de Rik dans le téléroman The Young Ones – une posture performative pour se donner une allure d’intégrité, pour rendre la cruauté sexy. Les jeunes parlent de «fash» et d’ «antifa» sans avoir la moindre idée du sens de ces notions ; il s’agit simplement d’un raccourci pour désigner de mauvaises et de bonnes personnes. Je trouve choquant qu’un chansonnier comme Billy Bragg, qui est de ma génération et qui a vu de vrais fascistes en action, le fasse aussi. J’ai été la cible de véritables fascistes, ligués dans le groupe Combat 18. C’était il y a longtemps et c’était horrible. J’ai rencontré de vrais nazis, là encore il y a longtemps, au Chili. N’utilisons ces mots que pour de tels groupements extrémistes. Sinon, nous perdons le langage qui nous permet de décrire ce qui se passe réellement dans le monde.

Ce glissement du sens des mots me préoccupe, car il favorise une polarisation qui permet à un jeune homme de penser qu’il existe une justification morale pour marteler le visage d’une femme de 70 ans. Si vous en venez à croire que votre ennemi est un nazi meurtrier, alors cette violence devient admissible. Et c’est ce qui s’est passé, non seulement en Nouvelle-Zélande, mais aussi plus près de chez nous.

Quelle que soit l’opinion de chacun sur Kellie-Jay Keen-Minshull – et elle est sans aucun doute un personnage controversé – ce qui lui est arrivé à Auckland samedi dernier est dégoûtant. Une foule en délire l’a attaquée et la police a laissé faire. Elle a été aspergée de ce qui s’est avéré être un liquide inoffensif – de la sauce aux tomates – mais qui aurait très bien pu ne pas l’être, par un soi-disant activiste qui voulait la voir « couverte de sang ». Cet activiste a suggéré que je mériterais le même sort, comme toute autre sorcière ayant fréquenté JK Rowling.

D’autres extrémistes ont dit avoir pris leur pied en constatant la peur sur le visage de Kellie-Jay alors qu’elle a dû être poussée à travers une foule hostile par ses agents de sécurité, qui ont dû la maintenir debout pour qu’elle ne soit pas piétinée et ensuite la placer sous la protection de la police. Nous avons vu des hommes en colère renverser des barricades. Nous avons vu leur haine palpable. 

Certains prétendent que la Nouvelle-Zélande est un pays béni ; je ne saurais vraiment le dire. Je constate simplement que la violence masculine n’a pas été éradiquée dans cet Eden. Les statistiques montrent qu’en 2020 encore, la Nouvelle-Zélande affichait l’un des taux de violence sexuelle et conjugale les plus élevés du monde développé, la police étant appelée toutes les quatre minutes pour un incident de violence familiale. Et cette situation s’est apparemment aggravée depuis la pandémie. Dans un tel contexte, une femme qui s’exprime sur les droits liés au sexe peut être considérée comme prenant sa vie en main, dès qu’elle est étiquetée comme « TERF ».

Ici, à Londres, The Lesbian Project s’est réuni – comment ont-elles osé?! – et a été encerclé et harangué par des antifascistes autoproclamé-es, dont Sarah Jane Baker (photo). Sarah, qui est trans, « a passé 30 ans en prison pour avoir tenté d’assassiner un autre prisonnier, après avoir été emprisonnée pour avoir kidnappé et torturé le frère de sa belle-mère, et s’est depuis consacré à des causes locales ». Je suppose que dénoncer le mauvais type de lesbiennes (c’est-à-dire celles qui sont des femmes) constitue une « cause locale ». Elle veut maintenant devenir députée, alors bonne chance aux électeurs de Richmond Park…

Au Speakers’ Corner de Hyde Park et à Manchester, d’autres femmes réunies ont été harcelées et ciblées de la même manière le weekend dernier. Il est vraiment difficile de savoir quel genre de menace ces groupes de femmes d’âge moyen, majoritairement de gauche, sont censés représenter pour qui que ce soit. Pourquoi des hommes munis de mégaphones doivent-ils leur crier au visage et les menacer ? Pourquoi le fait de dire que le sexe est immuable doit-il faire l’objet d’agressions manifestes ? Les slogans s’élèvent : « À qui sont les rues ? À nous! Grattez une TERF et c’est une fasciste qui saigne! »

Dans tout cela, deux choses me sont apparues clairement : l’une concerne l’échec et l’autre la réussite. La première est l’échec absolu du féminisme « libéral » pour ce qui est de contrer la violence masculine. Tout le monde déplore la misogynie exposée au sein du service de police de Londres, par exemple, parce qu’il est peu controversé de constater l’échec institutionnel de cette organisation. Regardez, la misogynie est là ! Et là !

Mais presque toutes les institutions libérales – les universités, la BBC, le Parti travailliste, et même le décevant Parti pour l’égalité des femmes – adhèrent à un féminisme de type « j’aimerais apprendre au monde à chanter », où l’inclusion signifie de rester gentilles. Aucune voix critique du genre n’est entendue dans ces institutions et elles n’y sont pas représentées. Lorsque la question des transgenres est utilisée, comme elle l’a été, pour alimenter une misogynie vicieuse, toutes ces personnes détournent le regard. Seul le détrônement de Mme Sturgeon a fait réfléchir. 

Les droits des femmes ne sont pas l’affaire d’une guerre culturelle – à moins que vous ne pensiez que les femmes sont une minorité sans importance. Pour penser cela, il faut être spectaculairement stupide ou simplement se soucier très peu de nous. Ce qui est actuellement fait au nom des « droits des trans » n’améliore que très peu, voire pas du tout, la vie quotidienne des personnes transgenres.

Ce qui est actuellement fait au nom des « droits des trans » n’améliore que très peu, voire pas du tout, la vie quotidienne des personnes transgenres.

Mais l’autre chose à laquelle il faut se raccrocher face à l’escalade de la violence est la suivante : sur plusieurs des enjeux qui nous tiennent à cœur – non pas parce que nous sommes «anti-trans», mais parce que nous sommes pro-femmes – nous sommes en train d’obtenir gain de cause. 

Les bloqueurs de puberté ne seront plus distribués. Le rapport de l’Enquête Cass a discrédité cette pratique et la médicalisation à vie d’adolescentes désorientées sera maintenant évitée.  

Les difficultés rencontrées pour imposer l’auto-identification sexuelle en Écosse ont mis en lumière ce que nombre d’entre nous ont (incroyablement) dû défendre pendant très longtemps, à savoir que mettre des violeurs dans des prisons pour femmes est une très mauvaise chose. 

Les sports féminins viennent enfin d’être protégés par la décision de la Fédération internationale d’athlétisme d’interdire aux athlètes ayant vécu une « puberté masculine » de participer aux compétitions féminines de niveau mondial. Seb Coe l’a dit clairement, exprimant ce que beaucoup d’entre nous disaient depuis des années et qui demeure encore nié par l’establishment libéral : il y a un conflit à certains égards entre les droits des femmes et les droits des transgenres. 

En fin de compte, Lord Coe a opté pour l’équité, la biologie et les preuves scientifiques. « Les décisions sont toujours difficiles à prendre lorsqu’elles impliquent des besoins et des droits contradictoires entre différents groupes, a-t-il déclaré. Mais nous continuons à penser que nous devons maintenir l’équité pour les athlètes féminines au-dessus de toute autre considération. »

Équité : quel mot calme dans cet océan d’hostilité. Pourtant, nous ne demandons que l’équité, et non quelque génocide imaginaire des personnes souffrant de dysphorie sexuelle. Ce n’est là qu’un fantasme paranoïaque. Si, comme l’a dit le Dr Martin Luther King, l’arc de l’univers moral est long, nous avons encore du chemin à parcourir. Mais la justice viendra. 

En attendant, il y aura plus de menaces, plus de violence, et une exacerbation de rhétorique. Et de la haine. Des transactivistes appellent à une « Journée de Vengeance Trans ». De quoi s’agit-il sinon d’un appel à la destruction ? Une fois de plus, la rhétorique confond cet appel avec le mouvement « antifa ». La réponse à cela n’est pas de faire comme si de rien n’était, comme le font tant d’organisations libérales, mais de tenir bon. 

Jouez avec les genres tant que vous voulez. La non-conformité au genre est en fait l’un des objectifs de tout féminisme digne de ce nom. Mais les droits des femmes ne sont pas à négocier, et les politicien-nes avisé-es commencent à s’en rendre compte. S’il vous plaît, ne rendez pas hommage du bout des lèvres aux courageuses femmes d’Iran tout en nous disant que les droits fondés sur le sexe n’ont pas d’importance. 

La violence à l’égard des femmes est une violence à l’égard des femmes, quel que soit le nom au nom duquel elle est commise. Nous n’oublierons pas ceux qui l’ont tolérée, ni ceux qui l’ont applaudie, croyez-moi. Vous ne pouvez pas empêcher les femmes de parler, pas plus que vous ne pouvez nous empêcher de penser. L’application forcée d’une orthodoxie signifie que la liberté d’expression n’est pas une question abstraite. Des femmes sont littéralement bâillonnées aujourd’hui. C’est une situation odieuse.

Le repli dans la violence peut sembler un geste de puissance à son auteur pour le moment. Mais, aussi terrifiant que soit le spectacle actuel, ce à quoi nous assistons n’est que l’expression d’une impuissance rageuse et inarticulée. 

Rien de plus.

Suzanne Moore

Suzanne Moore est une journaliste britannique de gauche qui a été chassée de l’équipe du Guardian par l’idéologie transgenriste.

Abonnez-vous au substack de Mme Moore pour en savoir plus.

Traduction : TRADFEM

DERNIÈRE HEURE: Lu sur Twitter aujourd’hui 29 mars…

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