Un nouveau documentaire de Netflix prétend s’intéresser à la traite sexuelle sur Pornhub, mais fait plutôt office de propagande de l’industrie du sexe.
Par Meghan Murphy, sur Feminist Current
Mercredi le 15 mars, Netflix a publié un nouveau documentaire sur la création du réseau Pornhub et les controverses (et procès) qui en ont découlé. Réalisé par Suzanne Hillinger, Money Shot : The Pornhub Story (Pornhub: Gros plan sur le géant du sexe), présente des interviews de stars du porno qui dépendent de plateformes comme Pornhub et Onlyfans pour leurs revenus, ainsi que de militant-es anti-traite qui ont cherché à mettre fin à l’exploitation, au viol et à l’affichage d’imagerie non consensuelle (y compris des vidéos de mineur-es) sur le site Pornhub.
Le film commence par une compilation mignonne de stars du porno qui racontent leur première expérience de l’industrie. Un certain nombre de ces histoires datent d’avant Internet, ce qui signifie qu’elles paraissent désuètes par rapport à ce que les enfants voient aujourd’hui, à un âge de plus en plus jeune, en ligne. Nous parlons ici des Playboys des années 80 et des « films érotiques » sur des thèmes de contes de fées diffusés à l’époque sur Cinemax. Même moi, lorsque j’étais enfant, je trouvais ces choses déroutantes et dérangeantes, mais apparemment, de nos jours, les gens trouvent ces choses mignonnes et kitsch – ah les bons souvenirs d’enfance de la sexualité adulte… Une jeune femme du nom de Noelle Perdue a cependant grandi à l’ère d’Internet et raconte qu’à l’âge de 11 ans, elle s’est rendue sur Pornhub, où elle a découvert « un gangbang gériatrique de huit personnes », ce qui correspond mieux à la norme actuelle.
Mme Perdue a travaillé dans l’industrie pornographique pendant un certain nombre d’années, notamment en tant que scénariste, productrice et recruteuse de talents chez MindGeek. Malgré ce conflit d’intérêts apparent, elle est présentée comme une simple « consultante » du documentaire Money Shot. Mme Perdue ne semble pas être la seule représentante de l’industrie à avoir participé au projet.
Bien que ce documentaire prétende montrer « les deux côtés » de la controverse, son récit est façonné par des défenderesses de l’industrie déguisées en « travailleuses du sexe indépendantes ». L’une des personnes interviewées, Asa Akira, est en fait la porte-parole et l’ambassadrice de la marque Pornhub. Les autres vedettes pornographiques interviewées n’ont peut-être pas littéralement ce titre, mais elles dépendent de ce type de sites pour leurs revenus et s’investissent pour que leur industrie et les sites dont elles tirent profit n’aient pas mauvaise réputation ou ne soient pas complètement fermés.
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Siri Dahl @thesiridahl
Le document n’a pas de voix off narrative ; au lieu de cela, vos narrateurs principaux sont les voix de professionnel-les de l’industrie : Moi-même, @GwenAdora, @noelleperdue_, @mikestabile, @CherieDeVille, @WolfHudsonIsBi, @NATASSIADREAMSX,… https://t.co/rlkzNAJddB
7:22 PM ∙ Mar 14, 2023
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S’il est raisonnable d’inclure des voix de l’industrie dans un documentaire censé exposer ou au moins explorer des accusations d’activités criminelles graves et d’exploitation sexuelle, confier le contrôle de la narration aux gens qui s’investissent pour que l’industrie ne soit pas fermée ou que les profits ne soient pas limités de quelque manière que ce soit (par exemple, en empêchant les consommateurs d’utiliser leurs cartes de crédit sur des sites pornographiques) va clairement compromettre le résultat final. Aucune personne travaillant directement pour Pornhub n’admettra à l’écran que cette entreprise et l’industrie dans son ensemble tirent profit de la traite, de l’exploitation, du viol et de la pornographie enfantine.
Les voix manquantes dans ce film sont celles de femmes qui ont quitté l’industrie pornographique et qui sont désormais libres de dire la vérité sur leur expérience ; celles des recherchistes qui pourraient fournir des données et des informations sur les personnes qui se tournent vers le porno et sur les raisons de leur choix, sur la santé mentale, les MST et la dépendance dans l’industrie, et sur les conséquences psychologiques ou physiques pour les femmes concernées ; sans parler des voix des victimes de la traite des personnes elles-mêmes. Même les producteurs de porno, comme le montre la série Beyond Fantasy du fondateur de l’organisation Exodus Cry, Benjamin Nolot (en particulier le troisième épisode de la série, Hardcore, qui sort le 23 mars), peuvent donner un aperçu de la manipulation, de la coercition et du sadisme exercé en coulisses de ces productions prétendument « consensuelles », à condition que vous posiez les bonnes questions. Les producteurs auraient pu interroger les « travailleuses du sexe consentantes » sur leur passé et leurs expériences – comment et pourquoi elles se sont retrouvées dans le porno, et ce qui leur est arrivé dans l’industrie – mais ils ont choisi de ne pas le faire.
Les principales voix présentées dans le documentaire qui offrent une vision critique de l’industrie sont liées aux groupes de lutte contre la traite des personnes qui s’en prennent à PornHub – à savoir Exodus Cry (fondé par Nolot) et NCOSE – mais ces organisations sont assimilées à des intérêts fondamentalistes chrétiens ayant un « agenda caché ».
Comme beaucoup de débats, le débat sur le porno est traité de manière manichéenne : il y a d’une part les « travailleuses du sexe » qui se battent pour le droit de vendre des services sexuels légalement, à l’abri de la « censure », (elles sont présentées comme la partie faible), et puis il y a les conservateurs religieux moralisateurs et anti-sexe qui souhaitent réprimer la sexualité et qui font campagne contre la liberté des faibles.
On nous propose l’alternative « choix » ou « absence de choix », « liberté » ou « Corée du Nord », « pro-sexe » ou « anti-sexe ».
Mais ce n’est pas le véritable récit. Ce n’est même pas un récit. En réalité, le porno est une industrie de plusieurs milliards de dollars qui utilise quelques « putes heureuses » comme représentantes politiquement commodes pour parler au nom de ces industriels, en masquant la sombre vérité qui sous-tend le commerce du sexe.
Il existe de nombreuses raisons de s’opposer à l’industrie du sexe – notamment ses impacts sur le cerveau, la santé mentale et les relations des utilisateurs, ainsi que son impact sur les femmes et les jeunes filles utilisées dans le porno – mais la plupart des critiques sont présentées comme « détestant le corps des femmes », « essayant de contrôler la sexualité des femmes » ou « étant pudibonds et anti-sexe ». Il est toujours populaire de rejeter les critiques du porno en les qualifiant d’extrémistes religieux, car cela dissuade les libéraux et les progressistes de prendre au sérieux les arguments soulevés contre l’industrie du porno. L’inclusion de voix comme la mienne – une défenderesse de la liberté d’expression et des libertés civiles qui vient d’un milieu gauchiste et féministe et qui est loin d’être « anti-sexe » – compliquerait le récit. Élargir le contexte dépeint pour inclure les récits des femmes sur leur passé et leurs expériences dans l’industrie perturberait le récit simplifié de « l’adulte consentante ». Parler du choix des hommes de consommer de la pornographie violente et déshumanisante, ou de la pornographie qui sexualise les « adolescent-es » ou les enfants, est presque toujours exclu de la conversation.
Le mot d’ordre voulant qu’il faille « laisser les adultes faire comme il leur plaît » est presque toujours opposé aux femmes, sauf lorsqu’il est présenté comme un « contrôle de la sexualité des gens », ce qui implique une forme de contrôle de la pensée, mais exclut commodément le fait que le porno n’est pas limité à l’imagination des gens.
Les défenseurs de l’industrie ne manquent pas de limiter la discussion sur des catégories dérangeantes comme celle des « adolescent-es » à la consommation d’« adultes consentants », présentés comme libres d’imaginer ce qu’ils veulent. Mme Perdue affirme que la catégorie « adolescent-es » ne se réfère pas nécessairement à des jeunes, que « c’est plus une référence à un certain type de corps » – une défense assez habile puisqu’elle passe sous silence le fait que sexualiser des mineur-es et encourager des hommes à se masturber devant leur avilissement crée un marché pour de véritables scènes impliquant des adolescent-es et encourage les hommes à considérer les adolescentes comme des objets sexuels.
Siri Dahl, une actrice pornographique très présente dans le film, ne semble s’occuper des catégories comme celle des « adolescent-es » que pour trouver des « solutions à l’étiquetage » qui n’auront pas pour effet de « contrôler la sexualité des gens, une sexualité que les actrices et acteurs ont le droit d’avoir puisque ce sont légalement des adultes ». En d’autres termes, le problème n’est pas le contenu lui-même de ce porno, mais le fait que se référer à la catégorie « adolescenes » paraît mal sur papier. Malheureusement, les clients de Pornhub adorent cette catégorie, alors qu’est-ce que l’on peut faire, hein ?
Pour enfoncer le clou, les producteurs incluent une autre comédienne, Cherie Deville, qui déclare, avec une voix terrifiante de neutralité :
« Nous fournissons un divertissement dans les limites légales pour des adultes consentants et, dans ce buffet de contenu pornographique, cet adulte, s’il choisit de le consommer, peut choisir… n’importe quoi. »
Tous ces propos semblent incroyablement bien répétés, comme si les avocats de Pornhub avaient dicté leurs répliques à ces femmes. En présentant soigneusement les artistes-interprètes comme des « travailleuses du sexe indépendantes et autonomes », les producteurs du film construisent un discours sur le « libre choix » et parviennent à contourner le fait que le porno vend des agressions, de l’objectivation et de l’exploitation, quel que soit le « consentement » des personnes filmées. Et que dans ce « consentement » – ces contrats signés – ce qui se passe sur le plateau implique une sacrée dose de coercition.
Lorsque nous parlons de porno, nous ne parlons pas d’actrices indépendantes – nous parlons d’une industrie massive, qui vaut plusieurs milliards de dollars. Mettre de l’avant les « travailleuses du sexe indépendantes » pour faire comme si réclamer des comptes aux dirigeants de Pornhub était en fait une attaque contre ces femmes empouvoirées, qui essaient juste de s’en sortir alors, s’il vous plaît, soyez gentilles et arrêtez de parler de traite, c’est gênant pour nous, est de la désinformation dégueulasse.
Je ne sais pas si les réalisateurs de Money Shot étaient simplement naïfs, ou s’ils avaient des intentions trompeuses dès le départ, mais ils adhèrent pleinement à un scénario fictif de David terrassant Goliath.
L’intention qui sous-tend Money Shot est de soutenir que le porno est une industrie propre et heureuse, peuplée de femmes consentantes et enthousiastes, et que son « côté obscur » – la pornographie enfantine, la traite et les contenus non consensuels – est tout à fait autre chose et ne représente qu’une infime minorité de l’industrie (en fait, ils prétendent que cela ne fait même pas partie de l’industrie) – un accident impliquant des tricheurs qui discréditent injustement cette entreprise.
Ce n’est pas le cas. Le fantasme de la prostituée heureuse n’a toujours représenté qu’une infime minorité de femmes et, de toute façon, ne raconte généralement pas tout leur récit. Les quelques histoires d’exploitation et d’agressions qui parviennent au grand public ne représentent qu’une minuscule partie de la réalité. En effet, même les femmes dites « consentantes » témoignent de vécus horribles une fois qu’elles sont libres de le faire et capables d’y réfléchir honnêtement.
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Le documentaire reconnaît bien sûr que quelques incidents regrettables ont eu lieu à Pornhub.
MindGeek, la société propriétaire de Pornhub*, a été poursuivie par une foule de gens pour avoir distribué et tiré profit d’images porno de mineures et de vidéos sexuelles non consensuelles. La société savait sans aucun doute que ces contenus étaient affichés sur leur site, puisque de nombreuses femmes et adolescentes lui avaient envoyé des courriels pour les supplier désespérément de retirer leurs images du site, mais la société ne s’est aucunement empressée de faire quoi que ce soit à ce sujet. Les vidéos non consensuelles restaient affichées pendant des mois après le dépôt de ces plaintes, et lorsqu’elles étaient retirées, elles y réapparaissaient immédiatement, téléchargées à nouveau.
MindGeek a prétendu avoir « mis en place les mesures de protection les plus complètes de l’histoire des plateformes alimentées par leurs utilisateurs », mais jusqu’aux poursuites judiciaires, seuls 30 modérateurs humains étaient employés pour surveiller les millions de vidéos affichées sur Pornhub et aucune procédure de vérification n’était en place pour les utilisateurs qui y téléchargeaient du contenu. Même après la mise en place d’un processus de vérification (que des femmes comme DeVille et Perdue ont affirmé que les « travailleuses du sexe » imploraient, car il résoudrait le problème des vidéos de viol qui apparaissent sur le site), aucune vérification d’âge ou de consentement n’était exigée pour les femmes figurant dans ces vidéos. Toute personne disposant d’une pièce d’identité pouvait encore envoyer au site ce qu’elle voulait.
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Dans un article rédigé pour la revue Rolling Stone, une rédactrice comme DeVille écrit que « les campagnes contre la traite sexuelle sont des campagnes anti-porno déguisées ». Elle se plaint que « la guerre contre Pornhub est une guerre par procuration pour faire tomber toute l’industrie légale du sexe » et que « ce qu’ils veulent réellement, c’est fermer la Porn Valley ».
Et honnêtement, elle a raison.
Je ne veux pas uniquement mettre fin à la pédopornographie ou à la traite des femmes via Pornhub. Je ne veux pas uniquement voir Pornhub fermée en raison de cas isolés de viols et de vidéos non consensuelles apparaissant sur ce site. Je veux contribuer à ce qu’il devienne pratiquement impossible de tirer profit de la pornographie, parce que je veux qu’il devienne pratiquement impossible de tirer profit de l’exploitation, des agressions et de la déshumanisation des femmes et des filles. Je ne veux pas uniquement « démanteler » « l’industrie légale du sexe », car bien sûr une grande partie de ce qui se passe dans le commerce du sexe n’est pas légal – mais je crois en fait que l’industrie du porno dans son ensemble devrait devenir illégale. Je ne pense pas qu’il devrait être légal de payer une autre personne pour avoir des relations sexuelles ou de tirer profit de la contrainte exercée sur une autre personne pour qu’elle se livre à des actes sexuels.
Pour être réaliste, je ne crois pas que nous puissions mettre fin entièrement à la pornographie ou à la prostitution. Mais nous pourrions rendre impossible l’existence de sociétés comme Pornhub, rendre illégal le fait de tirer profit du porno et faire en sorte qu’un plateau de tournage pornographique respecte les normes de travail, y compris les normes de santé et de sécurité et les lois contre le harcèlement et les agressions sexuelles, rendant ainsi illégal tout ce qui se passe sur un plateau de tournage pornographique.
L’un des thèmes conducteurs du film Money Shot est celui de l’artiste indépendante empouvoirée, qui produit joyeusement ses propres contenus, dans le confort de son foyer, et qui se voit attaquée par ces tentatives de lutte contre la traite des personnes et les violences qui surviennent dans l’industrie. Et si j’ai beaucoup de sympathie pour les femmes qui se sentent dépendantes du porno pour survivre, je n’en ai aucune pour les femmes qui pourraient choisir de faire autre chose – qui ont les moyens, l’éducation, les occasions et les privilèges nécessaires – mais qui choisissent plutôt de faire la promotion d’une industrie ignoble responsable du traumatisme d’un nombre incalculable de femmes et de filles partout au monde. L’idée que l’horreur de cette industrie devrait être acceptée parce qu’une femme a réussi à acheter une maison avec ses revenus ne me suffit pas.
Qu’ils l’aient voulu ou non, les réalisateurs de Money Shot n’ont pratiquement rien fait de plus que de la propagande pour une industrie qui n’a guère besoin d’être encouragée.
Pour en savoir plus sur ce film et sur le débat qui entoure cette industrie, vous pouvez regarder une conversation entre Benji Nolot, Alix Aharon et moi-même, qui a été diffusée en direct sur YouTube le jeudi 16 mars.
Abonnez-vous au substack de Meghan Murphy, The Same Drugs, qui regroupe plus de 9 000 abonné-es payant-es, pour « des conversations échappant à l’algorithme ».
*N.d.T: DERNIÈRE HEURE: MindGeek vient d’être vendue au fonds d’investissements Ethical Capital. (Ça ne s’invente pas…)