Par aurora linnea, le 19 février 2023
L’idéologie transgenriste est exaspérante parce qu’elle est sexiste et misogyne ; elle méprise et rejette le corps biologique ; elle présente le narcissisme nombriliste comme une noble vertu et remplace la lutte collective pour le changement social par un projet néolibéral d' »amélioration » personnelle ; elle met en danger les femmes et les enfants tout en permettant au complexe médico-industriel de réaliser des profits considérables. Elle est aussi profondément stupide. En clair, elle s’avère insensée. Et bien que la stupidité de l’idéologie transgenre, la suffisance fatale qui la recouvre comme une onction, ne soit pas sa caractéristique la plus dommageable, elle est peut-être la plus angoissante à combattre. À l’examen, le système de pensée sur lequel repose le transgenrisme se révèle être un enchevêtrement de contradictions, dans lequel les mots perdent leur sens, le bon sens s’effondre et les platitudes sentimentales sans substance sont élevées au rang de vérités divines. Il y a des moments où, en me forçant à passer au crible de longs essais de propagande transgenriste, mon cerveau recule devant l’inanité de que je lui présente avec une telle violence que le risque que ma tête explose semble réellement inquiétant. Le pire, c’est l’insouciance avec laquelle des personnes par ailleurs intelligentes s’alignent pour applaudir l’idéologie transgenriste, malgré les rafales glaciales que laissent passe les trous béants de sa logique délabrée – un phénomène choquant à observer, qui ne devient pas moins stupéfiant ou insupportable avec le temps.
Kajsa Ekis Ekman épingle avec brio le maelström d’absurdités que constitue la débile idéologie transgenriste dans son nouveau livre, On the Meaning of Sex : Thoughts about the New Definition of Woman, publié ce mois-ci en traduction anglaise par Spinifex Press (une édition en suédois a été publiée en 2021).
Faisant appel à la même précision analytique bien affûtée qu’elle a appliquée aux industries de la sexploitation dans son précédent livre, L’être et la marchandise : prostitution, maternité de substitution et dissociation de soi (M Éditeur, 2013), Ekman entreprend de démonter le château de cartes théorique du transgenrisme, étonnante de verve dans sa réfutation de ces absurdités alors que l’édifice tremble, vacille, puis s’écroule, inapte à résister à une argumentation raisonnée.
On the Meaning of Sex se lit comme une dissection médico-légale, ses quarante chapitres concis démontant pièce par pièce le corpus de l’idéologie transgenriste. Le bistouri d’Ekman n’épargne aucune énigme faussement paradoxale, alors qu’elle éviscère chacun des arguments standard des transgenristes pour mettre en évidence les failles mortelles qui ulcèrent leur logique. Elle aborde ainsi le rétablissement soi-disant « progressiste » des stéréotypes rétrogrades coulés dans les rôles sexuels de Barbie et de G.I. Joe.
Elle démonte également le prétendu « dépassement » de la binarité de genre par le renforcement d’un système de genre binaire et dualiste, et s’en prend à l’enracinement de la masculinité et de la féminité comme piliers de l’identité humaine. Elle conteste la redéfinition de la réalité biologique (le sexe) comme une « construction sociale » et d’une construction sociale (le genre) comme « réalité » naturelle. Elle dynamite l’essentialisme inhérent à l’institution du genre comme une « essence » émergeant du cerveau rose ou bleu de chacun.
Il nous faudrait « accepter la science » de la théorie scientifiquement non fondée du cerveau rose/bleu, valider l’individualité par la conformité, en ramenant l’individu « incongru » à s’aligner sur les normes sociales, trouver son vrai moi en se changeant, en imitant les autres, en essayant de devenir ce que l’on n’est pas, accepter le soi par le rejet de son propre corps, prendre soin de soi en s’infligeant des blessures par l’écrasement des seins ou par des chirurgies électives induisant des douleurs chroniques. On prône l’authenticité par l’artifice, la diversité par l’uniformité fabriquée. On nous parle de transformer une culture oppressive en préservant les structures les plus fondamentales de cette culture, de se rebeller dans la conformité, d’accomplir l’inclusion par l’exclusion, de tolérer les plus menaces violentes contre les dissidentes à cette idéologie. On nous propose d’abolir le patriarcat en nous recentrant sur les hommes et en diabolisant les femmes, grâce à un prétendu « féminisme » qui donne la priorité aux sentiments et aux désirs masculins. Ce serait glorifier les hommes qui prétendent être des femmes en se présentant comme des caricatures d’une féminité pornifiée et infantilisée, alors même que les Blanc-hes qui prétendent être Noir-es sont condamné-es, et que la moindre équivalence soulignée entre ces deux pratiques est furieusement niée. On va jusqu’à affirmer un « privilège cis » dont bénéficieraient les femmes et les filles de subir systématiquement, de la naissance à la mort, une privation des droits, une exploitation et des sévices fondés sur le sexe.
Et puis il y a leur refrain qui se répercute dans nos crânes endoloris : « Les « transfemmes » sont des femmes ! » Oui, les « transfemmes » sont exactement comme les autres femmes à tous égards, mais elles doivent aussi être reconnues spécifiquement, car les mettre dans le même panier que les autres femmes reviendrait à ignorer leur « marginalité » spécifique. Les hommes qui se disent femmes sont en tous points semblables aux autres femmes, sauf qu’ils méritent davantage d’attention. Ils sont aussi plus féminins que les femmes « cis » ne pourraient jamais rêver de l’être, et plus opprimés par le patriarcat. Mais même ces affirmations seront balayées au moment de trébucher, têtes baissées, à leur conclusion ultime, lorsqu’il sera déterminé que les femmes n’existent vraiment pas, de manière significative.
Faut-il s’étonner que beaucoup de gens, face à des grondements aussi hideux, reculent les mains en l’air, déconcertées et soumises, se jugeant trop inintelligentes pour comprendre des raisonnements aussi compliqués ? Car les choses très compliquées ne sont-elles pas l’œuvre de gens très intelligents ? Mieux vaut plier que de risquer de sembler ignorants…
Mais la vérité est que la plupart des choses vraiment intelligentes sont plutôt claires, tandis que ce sont les idées insipides et bidons qui se parent d’une complexité byzantine, comme Ekman le démontre si brillamment. Son livre procède à un démontage clair, complet et acéré du fatras maniaque d’inversions que l’idéologie transgenriste diffuse en lieu et place du bon sens. On the Meaning of Sex devrait se retrouver au chevet de toutes les étudiants en contestation féministe qui cherchent à meubler leur arsenal de contre-arguments prêts à utiliser contre ce nouveau régime de novlangue.
Mais semer une confusion abrutissante est simplement la méthode, et non l’objectif de la confusion déployée par l’idéologie transgenriste. Cet objectif, écrit Ekman, est de « trancher les jarrets au mouvement des femmes en éliminant son concept le plus central », à savoir : celui de « FEMME ». Cette tactique s’inscrit dans ce qu’Ekman appelle un « retour de bâton néopatriarcal », qui a réaffirmé le droit des hommes, en tant que classe dirigeante, à définir la réalité comme façon d’affirmer leur autorité sur leurs subordonnés sociaux (par exemple, les femmes) et sur une nature subordonnée.
Dans le chapitre « Every Man’s Right » (Le droit de n’importe quel homme), Ekman explique comment le transgenrisme fonctionne comme une campagne de pouvoir masculin drapée dans la peau de mouton (ou, plus précisément, de brebis) d’un mouvement de défense des droits de la personne. Elle écrit : « La théorie de l’identité de genre… peut être décrite comme constituée de trois couches, où chaque nouvelle couche efface la précédente. » À la surface, rutilent les teintes arc-en-ciel d’un vernis amical et séduisant de tolérance, d’ouverture et de célébration de la différence où chacun serait « libre d’être toi et moi ». Immédiatement sous ce vernis se trouve une stricte allégeance aux stéréotypes sexuels, gravés dans le marbre, ne laissant qu’un seul choix possible : « se conformer, si nécessaire par des interventions médicales » conçues pour conformer le corps à un sexe logé dans l’esprit. Et une fois cette couche également décapée, on découvre la véritable moelle du transgenrisme, soit une domination masculine sans fard. La biologie est effacée, écrasée par des fictions créées par l’homme, dans ce qu’Ekman appelle « le triomphe de l’idéalisme sur le matérialisme », l’esprit primant sur la réalité matérielle, selon la procédure patriarcale standard. Les femmes sont ce que les hommes disent qu’elles sont, et tout homme qui dit être une femme en est une, car il n’existe aucun critère de féminité autre que la parole d’un homme. Après tout, la féminité est sans signification au-delà de la définition qu’il lui donne. « Et donc nous nous heurtons à un mur, observe Ekman, celui de la souveraineté masculine. Le sexe est devenu sa possession et n’est que ce que l’homme dit qu’il est. »
Le transgenrisme ajoute aux avoirs de la domination masculine, car il permet aux hommes non seulement de continuer à assumer des droits de propriété sur les femmes en tant que classe sexuelle subordonnée, mais aussi de revendiquer une propriété absolue sur le concept même du féminin. Dans la société créée par l’homme, le sujet féminin s’évapore donc. Nous ne sommes plus « ce sexe qui n’est pas un », selon l’expression de Luce Irigaray, mais ce sexe qui n’est vraiment rien du tout. Matériellement, les femmes continuent d’exister, nous continuons d’être utilisées et maltraitées par les hommes, du grain à moudre pour le patriarcat. Mais socialement et politiquement, nous devenons des énigmes. Le résultat, dans les mots d’Ekman ? « Les hommes se perpétuent, les femmes sont dissoutes. »
C’est sur cette base qu’Ekman défend un matérialisme féministe. Elle affirme que la réalité biologique doit être reconnue comme existant en dehors et avant la société créée par l’homme. Le sexe n’est pas une « construction sociale », mais reflète la nature de nos corps animaux, car les humains sont des mammifères, et nous nous reproduisons par voie sexuelle. Le féminin est une réalité biologique et les femmes sont opprimées sur la base du sexe par les hommes – le masculin étant également une réalité biologique – dans le cadre du patriarcat : un système de pouvoir dans lequel la différence sexuelle est harnachée et recrutée par les hommes de la classe dirigeante pour concrétiser une hiérarchie politique de domination masculine et de subordination féminine. La redéfinition du sexe comme étant immatériel – une sorte de jouet amorphe vacillant comme un fantôme dans l’esprit des hommes – occulte ces réalités du sexe et du pouvoir, rendant le patriarcat invisible et faisant de l’oppression des femmes une condition mystérieuse, idiopathique, impossible à résoudre. Pour Ekman en revanche, le mouvement des femmes dépend de l’analyse matérialiste car la classe sexuelle féminine ne peut être libérée de la domination masculine si nous perdons de vue qui est la femme et qui est l’homme, qui est la dominée et qui est le dominant.
Ekman formule ses arguments avec une admirable pondération, mettant à profit ses compétences en dialectique marxiste. Sa logique est incisive et ses réfutations toujours raisonnables, même en réponse aux assertions les plus outrancières de la doctrine transgenriste. Puisque c’est l’approche clairvoyante d’Ekman qui fait de On the Meaning of Sex un antidote aussi accessible et efficace à la présente entropie intellectuelle, il semble nécessaire de souligner la seule faiblesse du texte, qui a pour effet de saper la clarté qui distingue autrement le travail de l’autrice. Soit qu’elle tente d’être « généreuse », soit qu’elle y voit une branche d’olivier tendue de bonne foi, ou encore une mesure optimiste de protection contre des accusations de « fascisme transphobe », Ekman se plie tout au long de son texte au vocabulaire transgenriste, parlant toujours des « personnes trans » et leur prêtant les pronoms du sexe qu’ils n’ont pas. L’incohérence de cette capitulation constitue une rupture encore plus flagrante avec son souci typique de logique. Elle semble accepter comme « trans » certaines personnes qui revendiquent ce statut, alors qu’elle ne le fait pas pour d’autres. Parmi les personnes dont elle respecte « l’identité trans » se trouvent des femmes qui se disent « trans » – peut-être parce qu’elle considère, à juste titre, que ces « transhommes » souffrent de la discrimination réservée aux femmes dans toutes les niches sociales, et qu’elle les traite ainsi par solidarité – tout comme elle ménage certains hommes qui se disent femmes sans le faire de façon excessivement odieuse, arrogante, antagoniste ou carrément féminicidaire.
Ekman semble également croire que le fait de se lancer dans un « traitement » hormonal et des modifications corporelles rend crédible l’identification trans, même si beaucoup de personnes transidentifiées sont hostiles à l’idée que telle ou telle intervention chirurgicale ou médicamenteuse rende une personne plus ou moins réellement « trans ». Enfin, Ekman affirme également que ceux dont les revendications identitaires lui paraissent suspectes – dont les hommes opportunistes qui réclament un accès aux espaces féminins – « font semblant » d’être « trans ». Mais puisque l’idéologie transgenre soutient qu’affirmer qu’on est « trans » équivaut à l’être, toute personne qui se dit « trans » l’est réellement au lieu de simuler, par définition doctrinale. L’effet malheureux de l’affirmation sélective d’Ekman est que le terme « trans » se voit élevé au rang d’un statut mérité que l’on obtiendrait par auto-identification et par des critères non spécifiés de sincérité, de bon comportement et de médicalisation. Cette assertion est plutôt vague – et totalement illogique.
Je trouve également troublant l’empressement d’Ekman à présenter les « personnes trans » comme une catégorie de Victimes Innocentes manipulées par des cerveaux (« cis » ?) intrigants et extérieurs au mouvement, qu’il s’agisse de sombres seigneurs régissant le patriarcat profond, de capitaines d’industrie ou de carriéristes comme ceux de Big Pharma, du monde politique, des médias et du monde universitaire. « Les personnes trans, écrit-elle, sont des pions dans la justification d’une réaction néopatriarcale. » Mais le sont-ils vraiment ? Et si oui, qui exactement pilote ce mouvement ? Qui sont ces sombres seigneurs, si ce ne sont les hommes qui se sont érigés en porte-drapeaux et en fantassins du mouvement transgenriste ? Il est vrai que des personnes vulnérables – en particulier des jeunes femmes et des enfants – sont cruellement escroquées au nom du transgenrisme, au profit du pouvoir masculin et du profit des entreprises. Et, oui, il y a beaucoup de gens qui, sans être de vrais croyants, se sont joints à la croisade avec des arrière-pensées. Mais il est tout aussi vrai que de nombreux leaders du mouvement – des hommes comme Martine Rothblatt, Jennifer Pritzker, Janet Mock et Julia Serano – semblent dévotement fidèles à l’idéologie qu’ils promeuvent. Dans ses contorsions pour protéger les « personnes trans » de la critique en rejetant la faute sur de mauvais élèves sans visage et sans nom qui se trouveraient quelque part en coulisses, Ekman reproduit ainsi le trope de la « personne trans » mise de l’avant comme perpétuelle victime, et disculpe ceux des « personnes trans », dont la plupart sont des hommes, qui se sont rendus indispensables en tant qu’exécuteurs du transgenrisme les plus bruyants, les plus vicieux et les plus violemment misogynes.
En dépit des critiques d’Ekman sur les dérives logiques de l’idéologie transgenriste, et en dépit de ses appels à une pensée claire, basée sur la réalité, elle se soumet au langage pétri d’illusions, délibérément trompeur et confusionnant du transgenrisme. Ce faisant, elle infuse son texte d’une incohérence qui, si elle n’annule pas la valeur de son travail, en compromet tout de même l’intégrité. En s’en remettant au vocabulaire des forces de l’opposition – par respect, par politesse ou parce que leurs termes sont faciles à reprendre – nous légitimons l’idéologie que nous cherchons à discréditer et nous ajoutons à la confusion qui déroute de prime abord la plupart des gens de participer à la conversation. Le transgenrisme est un jeu dangereux de faux semblants et les hommes y jouent pour gagner. À votre avis, à qui profite le fait que les féministes soient gentilles et jouent le jeu ?
La clarté nécessaire pour contrer l’embrouillamini mental transgenriste n’est offerte qu’au moyen de la perspective matérialiste, comme le soutient Ekman – et le matérialisme inclut l’utilisation d’un langage matérialiste. L’expression « personnes trans » est dépourvue de tout référent matériel cohérent, car il n’existe pas de « personnes trans » ; il n’y a que des femmes, des hommes et des personnes intersexuées, et toute personne qui se dit « trans » appartient, matériellement parlant, à l’une de ces catégories. Les gens ne se transforment pas en de nouvelles créatures en s’accordant de nouveaux noms, ni en se modifiant par voie chirurgicale. Les féministes critiques du transgenrisme sont accusées d’une violence si extrême qu’elle priverait les « trans » de leur existence même, les effaçant sur le champ. Cette accusation est, dans un certain sens, exacte. Elle est exacte parce que l’analyse matérialiste des féministes nie l’existence des « trans », puisque contrairement au sexe – qui reste un fait biologique indépendamment de ce que l’on en pense – les « trans » existent exclusivement en théorie. Si l’on enlève l’idéologie transgenriste, il ne reste qu’un groupe d’hommes et de femmes ordinaires, des gens aliénées de leur corps et insatisfaites des prescriptions en matière de personnalité, de costume et d’affinité qui leur sont imposées en fonction de leur sexe, de simples personnes en quête de réconfort ou de validation, de gratification narcissique ou de plaisir sexuel.
Ekman est d’une clarté si limpide et vivifiante sur tout le reste de ce qu’elle décrit dans On the Meaning of Sex que j’aimerais seulement qu’elle soit également claire sur ce point.
Merci à Spinifex de nous avoir aimablement fourni un exemplaire de On the Meaning of Sex pour cette recension. Spinifex organisera un événement en ligne pour le lancement du livre lors de la Journée internationale des luttes des femmes, le 8 mars 2023, tôt le matin. Tout le monde est invité à s’y inscrire.
Aurora Linnea est une écrivaine (écoféministe) lesbienne radicale qui vit au bord de l’océan, dans la région d’Amérique du Nord que les colonisateurs ont surnommée le « Maine ». Elle s’efforce de contribuer à la lutte féministe globale pour mettre fin à la domination masculine par la dissidence poétique et la déloyauté intransigeante envers l’empire patriarcal nécrophile qui détruit actuellement la vie sur terre.
Traduction: TRADFEM