Ce qui doit changer ? Une prise de position des Mères de La Haye

La Campagne des Mères de La Haye a récemment publié son document de prise de position « Ce qui doit changer », rédigé par Adrienne Barnett. Il peut être consulté sur le site de la Campagne des Mères de La Haye, dans la Bibliothèque de ressources de l’organisation FILIA. En voici la version française.

Cette position repose sur des travaux approfondis de recherche universitaire, d’expertise juridique et de compréhension professionnelle de l’impact de la violence familiale sur les mères et leurs enfants, ainsi que sur l’expérience de mères protectrices qui sont revictimisées par le processus de La Haye. Il s’agit d’une liste de souhaits, mais elle est basée sur la réalité de la Convention de La Haye qui, dans plus de 75% des cas, porte directement et profondément atteinte à la sécurité et au bien-être des mères et des enfants.

Cette situation ne peut être tolérée plus longtemps.

Nous sommes reconnaissantes à l’autrice principale de ce document, Adrienne Barnett (Brunel University London), et aux autres membres de notre groupe de stratégie internationale qui ont fourni des conseils et des contributions : Nicole Fidler (Sanctuary for Families, États-Unis), Miranda Kaye (UTS, Australie), Cris McCurley (avocat, Royaume-Uni), Jessica Raffal (ISS Australie), Sudha Shetty (Université de Berkeley US), Merle Weiner (Université de l’Oregon, États-Unis). Merci également à l’équipe élargie des Mères de La Haye, et aux nombreuses mères qui ont généreusement fait part de leur expérience et leur expertise.

Lorsque nous avons commencé à discuter des injustices créées et perpétuées par la Convention de La Haye sur l’enlèvement d’enfants, quelqu’un de notre groupe d’orientation nous a rappelé le cas de Cassie Hasanovic qui avait fui le Royaume-Uni pour l’Australie avec ses deux fils pour échapper à son mari violent. Bien que la police britannique ait déterminé que Cassie et ses enfants couraient un « risque élevé », le tribunal de La Haye a ordonné le retour des garçons en Angleterre. La mère de Cassie s’est déclarée « terrassée par la crainte » à son retour, convaincue qu’elle serait tuée. Elle avait raison d’avoir peur. Elle a été assassinée par son ex-mari alors qu’elle et ses fils étaient sur le point d’être conduits en voiture à un refuge pour femmes.

La Convention de La Haye a coûté la vie à Cassie.

La prise de position suivante est notre point de vue sur les changements clés qui auraient pu prévenir l’assassinat de Cassie.

Beaucoup de gens – y compris certains membres de l’équipe des Mères de La Haye – soutiennent que la Convention est irrécupérable. Qu’elle est utilisée par les auteurs de crimes, encouragés par le soutien de la justice et de l’État, comme un moyen d’étendre leur contrôle sur leurs enfants et leur ex-conjointe. Des appuis à ce point de vue ne sont pas difficiles à trouver, bien que les 25 % d’actions intentées par des mères contre des pères ravisseurs y fournissent un contrepoint : lorsqu’elle fonctionne comme prévue à l’origine, la Convention de La Haye est hautement efficace pour rendre les enfants à la sécurité de leur parent de première ligne, qui sont invariablement des mères.

Quoi qu’il en soit, étant donné que plus de 100 pays ont paraphé cette Convention, il est peu probable qu’elle puisse être simplement révoquée. Le présent document commence donc par un examen, un peu plus réaliste, de ce qui doit changer au sein de la Convention elle-même. Par ordre décroissant de complexité, nous examinons ensuite les protocoles de la Convention et les changements à apporter à sa mise en œuvre dans les États contractants. Nous réclamons également une orientation plus ferme en ce qui concerne son article 13(1)b), une meilleure orientation de la pratique pour les tribunaux de La Haye et l’égalité des armes par le biais d’une assistance juridique aux mères ravisseuses.

Nous accordons la priorité dans ce texte aux victimes de violence familiale – les mères et leurs enfants – et sur la nécessité de veiller à ce que la Convention reconnaisse leur vulnérabilité particulière et rende prioritaire leur protection.

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1. Modifier la Convention de La Haye

– Inclure un moyen de défense contre un retour forcé dans des circonstances de violence ou de sévices familiaux et une reconnaissance explicite de l’impact sur les enfants de la violence ou de sévices familiaux.

– Inclure une disposition permettant de suspendre les décisions de retour forcé dans les cas de sévices familiaux et permettre la tenue à distance d’audiences sur la protection de l’enfance pour permettre au parent ravisseur de plaider à partir d’un endroit sûr.

– Limiter les circonstances dans lesquelles il est approprié de s’appuyer sur des « mesures de protection » et, en tout état de cause, veiller à ce que les tribunaux ne puissent pas accepter les engagements pris comme moyen de faire échec à l’article 13(1)b) dans les cas de violence ou de sévices familiaux.

– Veiller à ce que les souhaits et les sentiments des enfants soient pris en compte dans tous les cas impliquant de la violence ou des sévices familiaux.

Aussi souhaitable soit-elle, la modification de la Convention sera une tâche longue et difficile, et il est peu probable qu’elle soit réalisée. Il faudrait que tous les États signataires soient d’accord ; l’histoire du Guide de bonnes pratiques démontre les problèmes rencontrés pour y parvenir. Néanmoins, si c’est la seule façon de mettre fin aux injustices causées par la Convention de La Haye (l’objectif principal du projet des Mères de la Haye), cela restera un objectif clé.

2. Inclure un Protocole à la Convention qui soit sensible à la violence familiale.

– Inclure une défense contre le retour forcé dans des circonstances de violence familiale ou de sévices, et une reconnaissance explicite de l’impact sur les enfants de la violence ou de sévices familiaux.

– Inclure une disposition permettant de suspendre les ordonnances de retour forcé dans les cas de sévices familiaux et permettre la tenue à distance d’audiences sur la protection de l’enfance pour permettre au parent ravisseur de plaider à partir d’un endroit sûr.

– Limiter les circonstances dans lesquelles il est approprié de s’appuyer sur des « mesures de protection » et, en tout état de cause, veiller à ce que les tribunaux ne puissent pas accepter les engagements pris comme moyen de faire échec à la défense prévue à l’article 13(1)b) dans les cas de violence ou de sévices familiaux.

– Veiller à ce que les souhaits et les sentiments des enfants soient pris en compte dans tous les cas de violence ou de sévices familiaux.

L’élaboration d’un tel Protocole ne serait pas facile, mais on peut reconnaître qu’elle ne serait pas aussi difficile qu’une modification de la Convention.

3. Modifier les lois nationales qui mettent en œuvre la Convention dans ses États contractants

La législation nationale habilitante doit préciser explicitement les « risques graves de préjudice » et la « situation intolérable » qui découlent de circonstances de violence familiale ou de sévices. Et que :

– l’enlèvement n’est pas « illicite » lorsque le parent ravisseur fuit de la violence ou des sévices familiaux

– la définition de la « situation intolérable » doit s’inspirer du modèle suisse

– il devrait y avoir une présomption réfutable de non-retour dans les cas de violence familiale

– les décisions de retour forcé peuvent être suspendues dans les cas de violence familiale (comme ci-dessus)

– les circonstances dans lesquelles il est approprié de s’appuyer sur des « mesures de protection » doivent être restreintes

et, en tout état de cause, les Etats doivent s’assurer que les tribunaux ne peuvent pas accepter les engagements comme moyen de faire échec à la défense prévue à l’article 13(1)b) dans les affaires de violence ou de sévices familiaux.

– les tribunaux doivent procéder à une évaluation correcte des risques, y compris l’examen des opinions, des souhaits et des sentiments de l’enfant en cause.

– les auteurs ou auteurs présumés de violence ou de sévices familiaux ne doivent pas être autorisés à présenter une contre-plainte pour allégation d’aliénation parentale

– Au Royaume-Uni : veiller à ce que la Loi de 1985 sur l’enlèvement et la garde des enfants soit compatible avec la Loi sur les violences familiales de 2021 (y compris la définition des violences familiales et la reconnaissance que les enfants subissant des violences familiales en sont eux aussi victimes).

Bien qu’une approche du changement pays par pays entraînerait nécessairement un traitement inégal des mères et des enfants d’un territoire à un autre, des pays pourraient fournir des exemples de bonnes pratiques en matière de protection des victimes de violence ou de sévices familiaux, et potentiellement inspirer le changement dans d’autres pays.

4. Renforcer le Guide de bonnes pratiques relatif à l’article 13(1)(b)

Le guide doit préciser explicitement que les notions de « risque grave de préjudice » et de « situation intolérable » découlent de circonstances de violence ou de sévices familiaux. Et que :

– le retrait de l’enfant n’est pas « illicite » lorsque le parent ravisseur fuit des violences ou des sévices familiaux.

– la définition d’une « situation intolérable » doit s’inspirer du modèle suisse

– il devrait y avoir une présomption réfutable de non-retour dans les cas de sévices familiaux

– les ordonnances de retour forcé peuvent être suspendues dans les cas de sévices familiaux (comme ci-dessus)

– les circonstances dans lesquelles il est approprié de s’appuyer sur des « mesures de protection » doivent être restreintes et, en tout état de cause, les Etats doivent s’assurer que les tribunaux ne peuvent pas accepter les engagements pris comme moyen de faire échec à la défense prévue à l’article 13(1)b) dans les cas de violences ou de sévices familiaux

– les tribunaux doivent procéder à une évaluation correcte des risques, y compris l’examen des opinions, des souhaits et des sentiments de l’enfant en cause.

Les orientations relatives à la Convention ont eu tendance à éviter la question de la violence familiale et à se concentrer plutôt sur la rationalisation et l’alignement du processus. Le Guide accorde également une confiance excessive aux soi-disant « mesures de protection » – celles-là même qui étaient en place lorsque Cassie Hasanovic a été assassinée.

Néanmoins, comme l’a souligné Me Merle Weiner dans son document de 2021, les juges peuvent appliquer la Convention de manière à protéger les victimes de violence familiale.1 Des orientations claires permettraient de garantir que, même lorsque la législation est problématique, la politique appliquée par défaut est d’accorder la priorité à la sécurité et au bien-être des enfants et des mères.

1 Weiner, M. (2021). You Can and You Should: How Judges Can Apply the Hague Abduction Convention to Protect Victims of Domestic Violence. UCLA Journal of Gender and Law, 28(1).

@2023 FiLiA. Tous droits réservés.

Source : https://www.hague-mothers.org.uk/wp-content/uploads/2023/02/HM-What-needs-to-change-02-23-1.pdf

Traduction: TRADFEM

Écoutez aussi le podcast présenté ci-dessous du groupe des Mères de La Haye, enregistré lors de la Conférence 2022 de FILIA.

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Mères de la Haye : De l’injustice au militantisme


Elles ont échappé à leur agresseur. Ce traité international va les ramener à lui.

La Convention de La Haye de 1980 avait pour but de contrer les pères qui enlèvent leurs enfants et les emmènent au-delà des frontières internationales sans la permission de la mère. Elle a été transformée en arme. Dans plus de 75 % des cas, les pères violents l’utilisent désormais pour contraindre les enfants, et donc les mères, à retourner dans le pays qu’elles ont fui. La campagne Mères de La Haye vise à mettre fin à cette terrifiante injustice.

Ce podcast nous fait entendre l’avocate et militante Sudha Shetty, du Projet de lutte contre la violence familiale de La Haye (États-Unis), l’universitaire et militante Gina Hope Masterton (Australie), la mère de La Haye devenue universitaire spécialiste de la Convention de La Haye Kim Fawcett (Royaume-Uni) et les membres de notre équipe de projet internationale : avocates, universitaires, professionnel-les de la violence familiale, psychologues pour enfants, travailleuses sociales, spécialistes des médias, féministes et militantes, et les mères de La Haye elles-mêmes.

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